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Interprétation des résultats

L’approche statistique a mis en évidence un certain nombre de résultats significatifs qui, en général, confirment les données médicales sur les effets du jeûne. Même si cette étude présente certaines limites : le nombre de personnes ayant jeûné plus de deux semaines est faible (7) par rapport à l’ensemble des participants examinés au cours du jeûne (55). A partir d’un échantillon de 7 personnes, il est difficile de tirer des conclusions générales, tant sur l’évolution des symptômes que sur celle des différents paramètres. Néanmoins, l’exploitation des données dégage des résultats suffisamment marqués pour qu’ils soient intéressants.

Ces résultats sont présentés point par point dans les chapitres suivants, en comparaison, le plus souvent, avec les résultats d’une étude menée par Kalk et ses collègues en Afrique du Sud sur 33 grévistes de la faim lors de leur hospitalisation (22). Il s’agit, en effet, de l’étude la plus documentée sur ce sujet à notre connaissance. Elle concerne 33 personnes, ce qui a permis de recueillir des informations précises sur la fréquence d’apparition et l’évolution des symptômes et des différents paramètres physiques. Bien que la durée du jeûne et la population observée par Kalk soient différentes de celles du cadre de ce travail, la comparaison entre les deux études des observations faites sur l’évolution de certains paramètres au cours du jeûne reste pertinente.

Le cas échéant, les résultats de cette étude sont également comparés à l’étude de Frommel (16) et aux autres données de la littérature (3, 6, 7, 8, 11, 14, 15).

1. La fréquence des symptômes présentés durant le jeûne

La fréquence d’apparition des différents symptômes au cours du jeûne peut être comparée à celle trouvée dans l’étude de Kalk, sauf en ce qui concerne la sensation de soif et de faim, les nausées et les difficultés de concentration qui n'ont pas été relevées par Kalk et son équipe. Dans ce suivi, les participants étaient tous constipés quand leur jeûne durait deux semaines ou plus. Il est vrai que de façon générale, la constipation est mentionnée par la littérature comme l’un des symptômes liés à la poursuite d’un jeûne (14, 15) sans être pour autant le plus souvent cité. Par exemple, dans l'étude de Kalk, seuls 26% des participants présentaient cette plainte. La plus grande fréquence de ce symptôme dans le cas présent peut certainement s’expliquer par la consommation de thé noir par les participants.

Les symptômes de fatigue (64% dans cette étude contre 61% dans celle de Kalk), d'insomnie (44% contre 42%) et la survenue de cauchemars (13% contre 10%), sont cités avec des fréquences identiques dans les deux études. En revanche, d’autres symptômes ont été moins fréquemment observés dans cette étude que dans celle de Kalk : 18% des personnes étaient tristes (contre 77% selon Kalk), 51% des personnes souffraient de vertiges (contre 69%), 47%

de céphalées (contre 74%), 31% de maux de ventre (contre 71%) et seulement 5% de diarrhées (contre 13%).

Il n'est pas très étonnant que les participants à cette grève de la faim aient présenté moins de tendance dépressive que dans l'étude menée en Afrique du Sud où les grévistes venaient de prison. Dans le cas présent, les participants bénéficiaient d’un important soutien moral : ils vivaient ensemble, avaient beaucoup d'activités organisées, étaient très soutenus par la communauté kurde et le parti travailliste kurde, le PKK.

De même, il est possible que certains symptômes interprétés comme signes de faiblesse aient été sous-rapportés, ce d’autant plus que les entretiens n’ont pas été organisés en dehors des locaux où se tenait la grève et que les participants n’étaient jamais seuls avec les médecins. Par exemple, après deux semaines de jeûne, cinq personnes sur six (85%) avaient une hypotension orthostatique, ce qui est une proportion bien supérieure à celle mesurée sur les personnes au début de leur jeûne (7%), alors qu’elles affirmaient ressentir moins de vertiges que les personnes au début de leur jeûne, probablement dans le but d’être admirées par les autres pour leur résistance.

2. L'évolution des symptômes au cours du jeûne

Les symptômes suivants deviennent plus fréquents au cours du jeûne : la constipation, les céphalées, l'insomnie, les sensations de faim et de tristesse. La littérature décrit bien une augmentation au cours du jeûne de tous ces symptômes, à l'exception de la sensation de faim qui devrait diminuer au cours de celui-ci. Il faut rappeler ici que la diminution de la sensation de faim est une conséquence de la présence des corps cétoniques dans le sang (cf. tableau 12) ; or, la majorité des urines des participants ne contenaient pas de corps cétoniques, ce qui peut s’expliquer par l’inhibition de la cétogenèse suite à leur consommation de sucre.

Les symptômes suivants sont restés stables ou ont diminué au cours du jeûne : la fatigue, les vertiges, les difficultés de concentration, les maux de ventre, les nausées, les cauchemars et les diarrhées. La baisse des douleurs abdominales au cours du jeûne est conforme aux données de la littérature, ceux-ci étant principalement dus aux spasmes gastriques qui se produisent en début de jeûne. Par contre, l’observation de la diminution des autres symptômes (vertiges, difficultés de concentration, nausées) ne correspond pas aux données de la littérature. Il est possible que ces symptômes interprétés comme des signes de faiblesse aient été sous-rapportés à l’équipe médicale. Enfin, les cauchemars et les diarrhées sont peu fréquents et, vu la taille de l'échantillon, il n’est pas légitime de relier ces symptômes aux effets du jeûne.

Il est intéressant de constater que des symptômes tels que la constipation sont présentés par beaucoup de grévistes, et ce de façon permanente. La fatigue est aussi, bien que dans une moindre mesure, présentée presque en permanence. Les autres symptômes se manifestent de façon plus épisodique.

3. Les mesures cliniques

La différence moyenne entre les tensions artérielles systoliques debout et couché est de 2,7 mmHg au début du jeûne, et de 32 mmHg à la fin du jeûne. Ainsi, on observe un creusement de l’écart entre les tensions artérielles systoliques du début à la fin du jeûne. Ce résultat est concordant avec l’étude de Frommel qui a observé une hypotension orthostatique après 20 jours de jeûne (16). Il l’est aussi avec l’étude de Kalk, où les tensions artérielles ont été mesurées sur six personnes au moment de leur hospitalisation (soit à 16,5 jours de jeûne en moyenne) avec une différence entre les tensions systoliques debout et couché de 13 mmHg en moyenne.

Le pouls moyen, toutes mesures confondues (personnes différentes ou non, début de jeûne ou jeûne avancé), est comparable entre cette étude et celle de Kalk (63 pulsations par minute contre 61) et est dans la partie inférieure de la norme, ce qui est rapporté également dans la littérature (3, 8, 14, 15). Nous notons une tendance à la baisse avec la durée du jeûne.

La température axillaire moyenne est de 36,3°C avec des valeurs allant de 35,7 à 36,8°C alors que Kalk a observé une température moyenne orale de 36,3°C pour des températures variant entre 35 et 37°C. La température moyenne est donc légèrement plus élevée dans notre étude compte tenu que la température axillaire est en moyenne inférieure d’un demi-degré à la mesure orale. La diminution de la température au cours du jeûne est observée dans les deux cas, conformément à ce qui est rapporté dans la littérature (3, 8, 14).

La perte quotidienne moyenne de poids est plus importante dans cette étude que ce qui est rapporté dans la littérature. En effet, elle est de 588 +/- 428 g/jour, alors qu’elle est de 420 +/- 150 g/jour dans l'étude menée par Kalk (22), et de 269 g/jour, après une semaine de jeûne, dans l’étude de Frommel (16). Ces différences peuvent être expliquées par les conditions propres à cette étude : personnes pesées habillées et à différents moments de la journée, utilisation d’une balance peu précise et arrondissement inférieur systématiquement effectué en cas de doute sur la lecture du poids. D’autre part, l’activité importante (danses, chants, nettoyage des locaux,...) des participants au jeûne peut aussi expliquer qu’ils aient dépensé plus d’énergie que les grévistes des autres études, et donc perdu plus rapidement du poids. 4. Les examens d'urine

Il est intéressant de noter que la densité urinaire moyenne est inférieure à la norme : plus de la moitié des analyses effectuées révèlent des densités en dessous de celle-ci. Or, la densité urinaire dépend de la concentration d'urée et de sodium dans l’urine. Etant donné que la quantité de sodium excrété est importante tout au long du jeûne, notamment dans la première phase d'adaptation au jeûne (7, 14), la baisse de la densité urinaire est probablement due à la baisse de la concentration urinaire d'urée. Est-ce à cause de leur consommation de sucre que les grévistes auraient préservé leurs protéines et donc excrété moins d’urée, ou tout simplement étaient-ils bien hydratés ?

Les études précédentes sur le jeûne ont toutes conclu à la présence de corps cétoniques dans les urines après que les participants aient jeûné depuis plusieurs jours (3, 14, 16). Pourtant, ce n’est pas le cas dans cette étude où les tests sont en majorité négatifs (62%).

La première explication de cette différence est la possibilité de faux négatifs, parce que les mesures n’étaient pas faites immédiatement après les prélèvements, en général 1-2 heures après, ce qui pourrait laisser le temps aux corps cétoniques de se volatiliser. L’existence de faux négatifs est illustrée par le cas d’une personne qui a consulté le service médical d’urgence pendant la grève : aucun corps cétonique n’avait été détecté dans ses urines la veille de son hospitalisation, alors que les analyses faites le lendemain à l’hôpital en révélèrent un taux élevé (+++).

La seconde explication est que l’absorption quotidienne d’une certaine quantité de sucre dans le thé est suffisante pour inhiber la production des corps cétoniques. La relation observée entre la consommation de sucre et la quantité de corps cétoniques dans les urines le laisse suggérer.

5. Les examens sanguins

Les prises de sang ont été effectuées sur 13 participants à différents stades d’avancement du jeûne, entre 6 et 20 jours, avec une moyenne de 11 jours.

De façon générale, la moyenne des résultats d’analyse sanguine est dans la norme, mais il y a des cas de personnes dont les résultats d’analyse de sang ne sont pas dans la fourchette de la norme.

Bien que la moyenne des glycémies soit dans la norme, il est remarquable d’observer que les personnes (7 sur 13) ayant une glycémie diminuée sont celles qui consommaient le moins de sucre. Cette observation complète ce que décrit Greenberg (11), qui note que la glycémie augmente en cas de consommation de sucre. Dans l’étude de Frommel où les participants ne consommaient pas de sucre la glycémie moyenne était plus basse que dans le cas présent, elle était de 4,1 ± 0,9 mmol/l (16).

Les taux de potassium sont comparables à ceux observés par Kalk (22). Frommel (16) cite cependant un cas de kaliémie inférieure d’environ 30% (2,8 mmol/l après 38 jours de jeûne). En principe, la kaliémie est effectivement supposée baisser au cours d’un jeûne, car elle est liée à la masse musculaire (15). Cette réduction du taux de kaliémie n’a été observée ni dans le cas présent, ni dans l’étude de Kalk : elle ne semble donc apparaître, a priori, que pour des jeûnes prolongés, d’une durée supérieure à 30 jours.

Les teneurs en sodium sont plus élevées que celles mesurées dans l'étude de Kalk, où 30% des grévistes avaient une hyponatrémie. Pour comprendre l’origine de cet écart, il est important de préciser que beaucoup des participants à la grève suivaient les conseils formulés par l’équipe médicale en consommant régulièrement du sel.

La concentration moyenne d'urée dans le sang est dans la fourchette de la norme, dans la partie inférieure, avec une valeur de 3,7 +/- 1,3 mmol/l. Dans l'étude menée par Kalk, la

concentration d'urée est plus élevée, à 5,9 +/- 1,8 mmol/l. Dans cette même étude il est précisé que la synthèse d'urée diminue au cours du jeûne, et que la concentration d'urée dans le sang est plutôt basse chez une personne normalement hydratée, ce qui n’était pas le cas de leur collectif mais du notre. De nouveau, la consommation de sucre par les grévistes a peut-être permis la préservation des protéines et par là-même de diminuer l’urémie.

Les concentrations sanguines moyennes de créatinine sont conformes à la norme ; trois personnes sur treize avaient des valeurs légèrement augmentées mais elles ne présentaient par ailleurs aucune anomalie clinique. Dans le cas de l'étude menée par Kalk, le taux moyen de créatinine était augmenté, 40% des participants ayant une valeur supérieure à la norme.

Les concentrations sanguines de protéines et d'urate sont dans la partie supérieure de la norme. Sabatini (15) décrit au contraire des taux diminués de protéine dans le jeûne avancé, mais ces conclusions ne sont pas applicables à cette étude où la durée du jeûne n’a pas excédé 26 jours. En revanche, Van Geuns (14) décrit bien une augmentation de la concentration d'urate dans le sang qui peut être à l'origine d'une crise de goutte au cours du jeûne.

Les résultats des tests thyroïdiens pratiqués sur les 4 personnes qui jeûnaient entre 14 et 20 jours (en moyenne 18 jours) sont tous dans les valeurs normales, quoique dans la partie inférieure de la fourchette.

Compte tenu de la consommation de sucre des participants et du risque d’encéphalopathie de Wernicke, les taux de vitamines B1 ont été mesurés. Les taux de vitamines B1 dans le sang sont tous diminués, sauf l’un d’entre eux qui est dans la norme, quoique dans la limite inférieure de celle-ci. Ceci peut s’expliquer par le fait que les réserves initiales en vitamines B1 des participants étaient déjà diminuées (ce qui est possible compte tenu de la précarité de la situation économique d’une partie des ressortissants kurdes), que le jeûne en lui-même entraîne une consommation plus importante de ces vitamines, et, enfin, que la diminution de vitamines B1 est liée à la consommation de sucre pendant le jeûne. Cette dernière hypothèse est mise en avant par les graphiques qui montrent que la diminution du taux de vitamines B1 apparaît davantage liée à l’augmentation de la consommation de sucre qu’à la durée du jeûne. En revanche, les taux de vitamines B2 sont tous dans la fourchette de la norme, sauf l’un d’entre eux. Ils ne semblent pas varier avec la durée du jeûne, ni avec la consommation de sucre.

Les taux de vitamines B6 sont bas, sept résultats étant inférieurs à la norme, l'un étant très élevé et les trois autres étant dans la fourchette basse de la norme. Ils ne semblent pas varier avec la consommation de sucre, ni avec la durée du jeûne.

6. La période de réalimentation

Les personnes recontactées après leur jeûne étaient au nombre de onze, représentatives de la population qui a fait la grève de la faim du point de vue de la répartition hommes-femmes (71% d’hommes et 29% de femmes pendant le jeûne, 72% et 28% après celui-ci) et de la durée du jeûne : leur durée moyenne de jeûne était de 10,8 jours, alors que celle de toute la population était de 10,3 jours.

La première constatation que l’on puisse faire est qu'il est difficile de se remettre d'une grève de la faim : toutes les personnes interrogées se sentaient fatiguées après le jeûne, l'une seulement pendant 2-3 jours, alors que les autres ressentaient encore la fatigue lors du suivi téléphonique qui a eu lieu en moyenne après 15,4 jours de réalimentation.

La majorité des personnes interrogées n'a retrouvé l’appétit qu'après une semaine. Elles ont ressenti des douleurs abdominales qui ont duré entre une et trois semaines, alors que la moitié d’entre elles n’en avait pas eu durant la grève, et ont eu des diarrhées pendant une semaine. De plus, huit personnes sur dix ont trouvé difficile de se retrouver chez elles principalement à cause du sentiment de solitude après avoir vécu en communauté. Il est intéressant de remarquer que la reprise pondérale n'est pas constante : il y a autant de personnes qui ont pris du poids que de personnes qui en ont perdu. Le suivi d'une personne après un mois a permis de remarquer que même si la reprise pondérale est satisfaisante les premières semaines, la personne qui a jeûné ne retrouve pas rapidement son poids habituel.

En règle générale, les conseils de réalimentation ont bien été suivis, ce qui n'a néanmoins pas empêché les personnes de souffrir de diarrhées. Relevons que ces conseils étaient le régime proposé par Sabatini, controversé car contenant du lait. Nous proposons en annexe un autre régime de réalimentation que nous conseillons car il pourrait être mieux toléré. Il est intéressant de remarquer que la personne qui a commencé sa réalimentation par des hamburgers a souffert de maux de ventre et de diarrhées, ce qui l'a conduit à reprendre d’elle- même le régime de réalimentation et même de retarder la prise de nourriture solide. Ce sont les personnes qui ont jeûné le plus longtemps qui ont eu le plus de difficultés à reprendre une nourriture solide.

Toutes ces constatations mettent en évidence que la période de réalimentation est une période difficile, tant en ce qui concerne les symptômes ressentis (fatigue, douleurs abdominales, diarrhées) que les difficultés psychologiques dues au sentiment de solitude. En effet, après la fierté d’accomplir un acte difficile, après plusieurs semaines de vie en communauté, chaque participant est retourné chez lui retrouver les difficultés du quotidien, seul face aux symptômes qui suivent un jeûne prolongé.

Le plus souvent, le soutien médical s’arrête à la fin du jeûne. Pourtant, grâce à ce suivi, on remarque que l’aide médicale est très importante pendant la période de réalimentation, souvent considérée à tort par les gréviste et par l’équipe médicale comme une période beaucoup plus facile que le jeûne et qui ne nécessite pas de soutien particulier. Vu les nombreuses plaintes liées au sentiment de solitude pendant cette période, il semble important que l’équipe médicale propose en plus du régime de réalimentation une information sur cette difficulté. Elle pourrait par exemple encourager les grévistes à garder contact entre eux après le mouvement de grève pour pouvoir continuer à se soutenir.

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