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5.3 Interprétation des résultats

Les résultats du questionnaire sont d’ordre quantitatif, alors que ceux issus des focus groupes sont qualitatifs. Je vais tenter de concilier les deux dans cette interprétation avec un accent sur les focus groupes car ils permettent de préciser les attentes par rapport à ma propre institution.

Dans la grande majorité des thèmes, les éléments reconnus par les participants confirment ceux soulevés dans la revue de la littérature. On voit d’ailleurs que la plupart des réponses au questionnaire (94%) obtient, soit « tout à fait » soit « plutôt oui ». Pour éviter la redondance, j’ai choisi de mettre uniquement en évidence les éléments me semblant primordiaux ou complémentaires aux aspects théoriques.

Tout d’abord, le bonheur ne semble pas découler d’éléments pouvant être isolés, mais bien d’une juxtaposition de plusieurs choses interdépendantes. De ce fait, la classification par importance est délicate, voire inadéquate.

Le plaisir et l’intérêt pour l’activité remportent un accord collectif. Pour se sentir heureux au travail, il semble indispensable d’apprécier ce qu’on fait, ce que Seligman (2015) nomme la vocation et qui permet de ressentir des émotions positives. Bien que les éléments induisant le bonheur varient d’une personne à l’autre, ils sont majoritairement liés à la motivation intrinsèque décrite par Deci et Ryan. Les réponses, tant dans le questionnaire que dans les focus groupes, montrent qu’une importance nettement plus faible est accordée aux éléments de motivation extrinsèque. L’environnement favorise le plaisir, notamment par rapport à l’extérieur de l’institution (jardin, possibilités de promenades, etc.), mais n’est pas jugé primordial pour autant.

J’ai trouvé très intéressant de voir que les personnes interrogées estiment qu’une grande partie de la motivation dépend de la personne elle-même, que ce soient son amour du métier ou ses traits de personnalité, ce qui confirme l’impossibilité de motiver de l’extérieur. Par contre, la direction peut réfléchir à offrir un environnement permettant aux collaborateurs de trouver leur propre source de motivation, comme préconisé par la psychologie positive et les entreprises libérées.

Ainsi, l’utilisation des forces personnelles, notamment au travers de différents projets institutionnels ou d’objectifs individuels permet au collaborateur de vivre des gratifications qui participent à l’accomplissement de soi, comme Seligman (2015) le préconise. Dans les focus groupes, l’intérêt de relever des défis abordables a unanimement été souligné, car cela permet de développer ses compétences et ainsi la confiance en soi, tout en évitant d’entrer dans une routine, ce qui s’apparente à la volonté de vivre le flow proposé par Csikszentmihalyi (2004). Toutefois, les personnes interrogées ont bien précisé que ces défis sont intéressants uniquement s’ils sont en accord avec les compétences actuelles.

De plus, le bonheur au travail dépendrait de l’interprétation de chacun vis-à-vis de ce qu’il vit au travail, c’est-à-dire ce sur quoi la personne choisit de porter son attention. Les collaborateurs ont souligné l’intérêt de la positivité au sein du collectif, faisant écho à l’optimisme présenté par Seligman (2015) qui permet de nourrir un cercle vertueux. En effet, l’état d’esprit positif et le plaisir se partagent et augmentent ainsi ceux d’autrui. On retrouve le fait que les émotions positives sont favorables à celui qui les vit, mais également à toute l’organisation. Les idées des uns trouvant écho chez les collègues, les projets collectifs se multiplient avec un plaisir évident à y participer, comme les journées décloisonnées. On retrouve ici le cercle vertueux présenté par Caillé et Grésy (2014) du

demander-donner-recevoir-rendre. Naturellement et de manière totalement libre, les gens ont envie

de donner et de partager, ce qui participe à la performance de l’organisation.

De ce fait, la qualité des relations au sein de l’équipe participe grandement au bonheur en permettant une acceptation et valorisation des compétences de chacun, des échanges sincères et une construction collective de la prise en charge. Ainsi, le respect, l’écoute, la franchise et la confiance sont des attitudes indispensables. La convivialité et le rire collectif permettent d’augmenter ce bien-être en créant un réel sentiment d’appartenance et de confiance.

Pour avoir envie de partager, la confiance semble être une condition sine qua non, tant pour les personnes interrogées que pour les différents auteurs. La confiance par rapport à la direction apparaît lors des focus groupes comme prioritaire, certainement liée à l’aspect hiérarchique et au pouvoir qui y est associé. Alors que Vanhée (2015) propose une confiance a priori, les personnes interrogées estiment qu’elle se construit plutôt au travers d’expériences partagées. Ainsi, même si la direction accorde une confiance a priori, certains peuvent avoir besoin de temps pour accorder la leur et reconnaître celle qui leur est proposée par la direction.

Il est unanimement souligné que la reconnaissance, tant individuelle que collective, participe à la construction du lien de confiance et favorise l’estime de soi. Toutefois, autant lors des focus groupes, le retour régulier sur l’activité de la part de la direction est plébiscité, autant, ce feed-back n’apparait qu’en 68ème position dans le questionnaire. Je me demande si cette grande différence pourrait être due à une crainte du jugement hiérarchique, voire un manque de confiance.

Dans le questionnaire, on observe une distinction claire entre la reconnaissance interne à l’institution (direction et collègues) et externe (parents, comité, instances politiques). Je pense que nous pouvons faire alors la même différenciation qu’entre la motivation intrinsèque et extrinsèque. Même si les personnes interrogées trouvent que la reconnaissance des parents est agréable, elle n’est jamais considérée comme indispensable, a contrario de celle de la direction. De la même manière, le

jugement de beauté (Dejours, 2003) portant sur la qualité du travail réalisé ne peut venir que des

personnes connaissant le métier de l’intérieur, ce qui s’apparente à cette reconnaissance interne. Afin de pouvoir reconnaître, Dejours (2003) avait souligné qu’il faut connaître. De la même manière, tant dans le questionnaire que lors des focus groupes, le cadre institutionnel est jugé nécessaire pour pouvoir s’y référer. Les personnes interrogées ont, quant à elles, souligné l’importance de participer aux réflexions afin d’adhérer aux décisions prises ou tout du moins les comprendre. Le fait que la direction explique ses choix, tout en pouvant être questionnée, puisse entendre les arguments divergents et les prendre en compte est essentiel pour se sentir bien. On retrouve la transparence de l’information préconisée par les entreprises libérées (Getz & Carney, 2012).

Au sein des focus groupes, ce cadre institutionnel a beaucoup été mis en parallèle avec la liberté offerte. En effet, les personnes apprécient de savoir globalement ce qui est attendu et accepté, tout en ayant besoin d’une marge de manœuvre importante, notamment dans l’organisation et la gestion quotidienne des groupes ou les propositions de projets pour s’épanouir dans leur activité.

J’ai vu apparaître, au fil des discussions, quelques différences entre les générations. Les plus âgées semblant attendre davantage de contrôle et une présence plus importante de la direction dans les groupes alors que les jeunes préfèrent la liberté et l’autonomie, même si elle est couplée à une responsabilisation individuelle. Je dirais même que les jeunes souhaitent cette responsabilité

personnelle qu’ils estiment motivante car elle les oblige à assumer leurs choix et actes, ce que nous retrouvons dans les entreprises libérées (Getz & Carney, 2012).

La liberté et l’autonomie, lors des focus groupes, ont vraiment été valorisées, tout en soulignant la nécessité d’avoir l’assurance de pouvoir compter sur le soutien de la direction en cas de besoin. Ainsi, les personnes souhaitent globalement pouvoir agir par elles-mêmes, tout en ayant l’assurance que la direction jouera le rôle de « filet de sécurité » si elles se sentent impuissantes. Je trouve que nous retrouvons bien la manière d’accompagner les jeunes enfants dans leurs apprentissages, en mettant l’accent sur cette confiance de pouvoir revenir si besoin vers la figure d’attachement, permettant d’explorer le monde de manière sécure pour développer ses propres compétences. Je pense que l’on retrouve l’accompagnement par les leaders proposé par les entreprises libérées, qui soutient le collaborateur pour qu’il trouve ses propres manières de faire et développe ses compétences.

Par contre, les entreprises libérées ne veulent pas que les leaders tranchent, alors que les personnes des focus groupes ont cette attente en cas de conflit ou de discussions qui s’éternisent lors de colloques par exemple, ce qui rejoint le positionnement de Dejours et Gernet (2012) par rapport à l’arbitrage.

Tout en valorisant l’autonomie, les personnes des focus groupes ont manifesté un fort intérêt quant à l’observation et au questionnement des pratiques par la direction, car cela permet la remise en question et participe à l’évolution de chacun, tout en précisant toutefois qu’ils peuvent être source de stress. Par contre, l’évaluation de l’importance de ces items arrive vraiment en fin dans le questionnaire.

De la même manière, le fait de pouvoir proposer des projets et relever des défis semble très important pour les collaborateurs des focus groupes, alors que ces éléments apparaissent à la 61ème et 53ème place dans le questionnaire.

Ces différences dans les résultats entre les focus groupes et le questionnaire par rapport à la liberté et l’autonomie, les propositions de projets, la possibilité de s’exprimer ou le questionnement et l’observation des pratiques m’interpellent. Je me demande s’il serait possible que les réponses au questionnaire diffèrent entre nos collaborateurs et ceux d’autres institutions ou que les personnes ayant participé aux focus groupes ne soient pas suffisamment représentatives de l’ensemble de notre équipe. Pourrait-on aussi en déduire que les différentes pratiques que nous avons mis en place à l’EVE du Plateau représente maintenant une réelle culture d’entreprise propre à notre institution et valorisée par nos collaborateurs ?

Globalement, lors des focus groupes, le rôle de la direction dans le bonheur au travail n’était pas jugé primordial dans un premier temps. Puis, au fil des échanges et des questionnements, les participants sont arrivés à la conclusion que c’est la direction qui non seulement pose le cadre, donne les grandes lignes directrices mais est également garante des manières de faire. Elle donne l’exemple, valorise ou non certaines pratiques et donne les impulsions. Ainsi, si l’ambiance de travail initiée par la direction n’est pas de qualité, il est très difficile pour l’équipe de se sentir réellement heureuse dans son travail, ce qu’une éducatrice a résumé ainsi : « Si on est bien dans les groupes, c’est parce que l’on sait que ça va bien avec la direction, qu’on sait qu’on a cette liberté et qu’on sait qu’en individuel, on est reconnu, on est respecté et on sait que vous approuvez, etc. » (groupe 1). Cela confirme le postulat de Getz (2016) qui affirme que la libération d’une entreprise n’est possible que si la direction est intimement convaincue de cette philosophie.

Finalement, j’ai eu l’impression que le fait de débattre de ces sujets au sein des focus groupes a permis de dégager les grands axes de notre culture institutionnelle. La confrontation des points de vue a permis de réfléchir à ce qui se pratiquait. Au fil de cette recherche, je me suis rendue compte que nous n’avions certainement pas été très clairs, en tant que direction, dans la transmission de notre vision institutionnelle et surtout des choix opérés quant à l’accompagnement des équipes. Bien que nous parlions régulièrement de confiance et de liberté, nous n’en expliquions pas, ou peu, les tenants et les aboutissants. Nous avons mis en place différentes actions, comme le travail réflexif sur

les valeurs ou notre accompagnement quotidien dans les groupes, mais avec un manque d’explicitation. D’ailleurs, certaines personnes ont exprimé cette année, lors de leur évaluation annuelle, qu’elles avaient enfin vraiment compris et intégré le sens de notre accompagnement. En conclusion, je dirais que nous sommes en chemin, dégageant de plus en plus clairement notre propre philosophie de l’accompagnement des équipes. Nous valorisons la liberté et la responsabilisation des équipes, mais savons également qu’il faut laisser du temps à chacun pour construire sa propre route. De ce fait, nous devons absolument tenir compte des attentes des collaborateurs pour pouvoir construire sereinement et ensemble notre avenir.

6 LES ASPECTS POUVANT ÊTRE AMÉLIORÉS OU DÉVELOPPÉS À L’EVE DU

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