5.2.1 Transport dans un liquide de Luttinger en-dessous de 70 K
Le comportement à basse température (en dessous de 100 K) de la résistance des fils en NTC est
très bien décrit par une fonction puissance de la température avec un exposant d’environ 0.15 (voir
figure 5.6a). Il est donc cohérent que notre modèle varie en fonction puissance de la température à
basse température. Comme expliqué en détail dans le chapitre 1, la variation de la résistance en
fonction puissance de la température peut laisser supposer que le transport électronique dans les
fils en NTC suit la théorie d’un liquide de Luttinger à basse température. Afin de valider la
possibilité d’un transport du type liquide de Luttinger, nous avons effectué des mesures I vs V tel
que eV ≫k
BT (typiquement entre -1 V et 1V dans notre cas). Nous présentons les variations de la
conductance différentielle (dI/dV) en fonction de la tension en figure 5.6b. Nous pouvons observer
que la conductance différentielle est dépendante de la tension à basse température (en dessous de
78 K) et qu’elle suit une fonction puissance de la tension avec un exposant d’environ 0.15
au-dessus de 0.2 V (figure 5.6c).
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Figure 5.6 : Résistivité en fonction de la température jusqu'à 100 K pour un fil de NTC brut ajusté avec une loi puissance (a). dI/dV en fonction de la tension pour 4 températures : 3, 4, 10 et 78 K entre -1 V et 1 V (b) et entre 0.01V et 1V ajusté par une loi puissance au-dessus de 0.2V.
Nos mesures expérimentales montrent qu’à basse température, la résistance du fil varie en fonction
puissance de la température et sa conductance différentielle en fonction puissance de la tension.
Ces deux comportements associés au fait que dans les deux cas l’exposant a la même valeur
(environ 0.15), suggèrent fortement que le transport électronique à basse température dans les fils
en NTC suit la théorie d’un liquide de Luttinger.
Cette expérience justifie la présence d’un terme en T
-αdans notre modèle (équation 5) et que ce
terme peut s’analyser avec la théorie d’un liquide de Luttinger. Quelles que soient leurs techniques
d’élaboration, les fils bruts ont tous des paramètres α (voir table 5.1 et 5.2) entre 0.17 et 0.36
(échantillons 1-6, 9-16, 18-20, 30-32). Les valeurs de α sont plus faibles dans le cas d’échantillons
dopés entre 0.16 et 0.20 (échantillons 13, 14, 17, 21, 22, 26). Les nappes présentent des valeurs de
α plus élevées entre 0.4 et 0.75 (échantillons 27-29) comme les fils recuits où α se situe entre 0.4
et 0.9 (échantillons 23-25, 33,34).
D’après la théorie d’un liquide de Luttinger, le paramètre α est lié au paramètre de Luttinger g
indiquant la nature de transport tunnel entre les NTC [12]. Ainsi que présenté en détail dans le
chapitre 1, quand l’injection de l’électron se fait en bout du NTC (end): 𝛼
𝑒𝑛𝑑= (𝑔
−1− 1) 4⁄ et
quand l’injection se fait tout le long du NTC (bulk): 𝛼
𝑏𝑢𝑙𝑘= (𝑔
−1+ 𝑔 − 2) 8⁄ . L’agencement
compact des NTC dans un fil favorise les contacts entre NTC et l’on peut considérer que l’injection
de l’électron entre les NTC se fait tout le long du NTC (contact bulk). D’un autre côté, les nappes
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ou les networks sont faits de NTC relativement isolés les uns des autres et il est probable que
l’injection de l’électron se fasse principalement en bout de tube (contact end). Nous avons vu dans
le chapitre 4 que les recuits à plus de 2000 °C augmentaient significativement le comportement
semi-conducteur des fils. Nous avons conclu qu’à basse température les NTC métalliques se
retrouvaient isolés par des NTC semi-conducteurs de bonne qualité. Cette structure entraîne
probablement une connexion des NTC métalliques par leurs extrémités (contact end).
En tenant compte de ces hypothèses d’injection entre les NTC, on peut calculer les paramètres de
Luttinger g (voir figure 5.7). Les valeurs moyennes de g (<g>) sont pratiquement identiques pour
les fils brut (0.28) et les nappes et network (0.27). Elle sont en accord avec les prédictions
théoriques qui situe le paramètre g pour les NTC entre 0.2 et 0.3 [13], [14]. Après dopage, les
valeurs de g sont en moyenne légèrement supérieures et hors de la gamme théorique. Egger et al.
ont montré que pour des NTC multiparois, le paramètre g pouvait être calculé avec 𝛼
𝑏𝑢𝑙𝑘=
(𝑔
−1+ 𝑔 − 2) (8𝑁)⁄ avec N étant le nombre de parois métalliques dans le NTC multi parois. Dans
les calculs précédents, nous avons considéré N égale à 1 pour les fils fabriqués avec des multi
parois comme dans nos fils car, d’après Bourlon et al. [15], seules les deux parois externes du NTC
multiparois participent au transport électronique. Ainsi, sachant que la paroi d’un NTC a une
probabilité d’un tiers d’être métallique alors la probabilité qu’il y ait plus d’une paroi conductrice
dans un multi parois est d’environ 10%. Etant donné cette faible probabilité, il est raisonnable de
prendre N = 1. Néanmoins, cette approximation n’est plus valide dans le cas des échantillons dopés
car le dopage entraine une augmentation du nombre de parois conductrices. L’utilisation de la
mauvaise expression pour les échantillons dopés explique pourquoi les valeurs de g sont
légèrement supérieures. Ainsi, la différence entre la valeur de α brut et dopé d’un même échantillon
peut être reliée à une efficacité de dopage.
Nous avons pour la première fois montré expérimentalement que le transport électronique à basse
température dans les matériaux à base de NTC suivait très probablement la théorie d’un liquide de
Luttinger. De plus, les valeurs des paramètres de Luttinger g ont des valeurs moyennes cohérentes
avec ce qui est théoriquement attendu pour les nanotubes de carbone.
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Figure 5.7 : Paramètres de Luttinger g calculés en fonction des hypothèses d'injection. Les barres bleues représentent les valeurs de g pour des fils bruts, les barres rouges pour des fils dopés et les barres vertes pour des nappes et fils recuits. La valeur moyenne de g (<g>) est indiquée pour les trois catégories d’échantillons.
5.2.2 Explication du comportement polynomial au-dessus de 70 K
Bien que la théorie de Luttinger décrive très bien le comportement à basse température des
matériaux en NTC, elle n’est pas suffisante pour expliquer le comportement de ces matériaux
jusqu’à 300 K. En effet, elle ne permet pas d’expliquer pourquoi certains matériaux en NTC ont
un comportement métallique au-dessus de T
0alors que d’autres ont un comportement
semi-conducteur. Dans notre modèle, le comportement à plus haute température est traduit par un
polynôme P(T) du deuxième ordre :
𝑃(𝑇) = 1 + 𝛽𝑇 + 𝛾𝑇
2(6)
Lors de l’ajustement de notre modèle (équation 5) aux courbes expérimentales, nous avons
remarqué que le polynôme P(T) se présentait sous 3 formes différentes en fonction des techniques
d’élaborations. Les trois formes du polynôme P(T) sont répertoriées en tables 5.1 et 5.2 présentées
en figure 5.8.
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Figure 5.8 : Les trois formes du polynôme P (T) (équation 6) observées pour les différents échantillons présentés en table 5.1 et 5.2. La forme 1 (courbe en tirets rouges) et la forme 2 (courbe en pointillés rouges) représentent les fils et network en catalyseur flottant. La forme 3 (courbe en tiret-pointillés bleues) correspond aux échantillons fabriqués à partir de tapis de NTC.