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Intermédiation et de la mise en réseau

Première Partie : Cadre théorique

Chapitre 2 : Intermédiation touristique et création de valeur - une analyse théorique

2.3.2. Intermédiation et de la mise en réseau

La socio-économie des réseaux propose une vision de l’analyse de l’intermédiation qui est intéressante à aborder ici. Elle nous rappelle qu’en réalité, l’échange de l’information entre agents est accompagné par les liens sociaux (Chateauneuf-Malcles 2012; Ferrary 2010), autrement dit : les liens sociaux interviennent dans les relations économiques. L’analyse socio-économique de l’intermédiation est à la fois proche et éloignée de l’analyse classique de l’intermédiation. Elles sont proches parce que toutes les deux se basent sur la circulation de l’information pour expliquer le phénomène d’intermédiation. Elles sont éloignées parce que, pour l’une, le caractère de l’échange entre acteurs est uniquement économique tandis que pour l’autre, cet échange est aussi social parce que les relations sociales influencent les transactions économiques (Ibid.; Mark Granovetter 1985; Mark Granovetter 1974; Mark S. Granovetter 1973; Jackson et Rogers 2007; Laumann 1975). Tandis que l’analyse classique s’attache à raisonner

par la dimension purement économique pour expliquer le phénomène d’intermédiation, l’analyse socio-économique est soucieuse d’intégrer l’influence des réseaux de relations sociales sur la dimension économique. On parle alors de l’ « analyse de réseaux » de l’intermédiation.

En effet, « l’analyse de réseaux » et le rôle des « relations sociales » dans les transactions économiques sont discutés pour la première fois par Granovetter (Mark Granovetter 1985; Mark S. Granovetter 1973). Depuis, les économistes prennent de plus en plus en compte, dans leurs travaux, la dimension sociale des relations entre les acteurs. Les acteurs du marché sont membres de réseaux sociaux et leurs transactions économiques sont influencées par les relations sociales avec les membres de réseaux ; et, inversement, les transactions économiques entre acteurs peuvent également donner naissance à des relations sociales (Bidet 2000; Blair et Larsen 2010; Cochoy 1999; Cross, Parker et Sasson 2003; Katz et Shapiro 1986; Shapiro et Varian 2013; Varian et Repcheck 2010; Wasserman et Faust 1994). Ces études citent souvent l’exemple d’une relation d’amitié ou de confiance entre acteurs économiques du marché. En cas de besoin, il y a plus de chances qu’un agent fasse appel à un acteur faisant partie de son réseau de connaissances plutôt qu’à un inconnu. À l’inverse, on montre aussi que le succès de la transaction économique entre deux agents, inconnus l’un de l’autre jusque là, crée une relation sociale, voire même une relation de confiance, qui, à son tour, amène de nouvelles relations.

Granovetter (Mark Granovetter 1974) est le premier à noter qu’un chercheur d’emploi sera mieux renseigné par un ami qu’à travers les annonces officielles. Par la suite, les économistes se sont particulièrement intéressées au marché de la recherche d’emploi, pour mettre davantage en évidence l’aspect social des relations entre acteurs. Ils confirment, à leur tour, l’importance des liens sociaux et du « réseautage » pour trouver un emploi (Bel 2007; Bridges et Villemez 1986; Calvó-Armengol 2004; Calvó-Armengol et Jackson 2004; Duran et Morales 2009; Fernandez et Castilla 2001; Fontaine 2006; Mark Granovetter 1974; Ioannides et Loury 2004; Montgomery 1991; Shapiro et Stiglitz 1984; Simon et Warner 1992). Une grande partie des offres d’emploi est invisible du grand public et est pourvue par des réseaux de relations amicales ou professionnelles. Ces travaux de recherche prouvent que, comparé à un chercheur d’emploi sans relations, celui qui se trouve dans un tel réseau aura, non seulement plus de chances de retrouver un travail, mais a aussi accès à de meilleures offres. Ces recherches montrent que l’inverse de ce constat est également valable : l’entreprise bénéficie de ses relations sociales pour pouvoir recruter un demandeur d’emploi compétent et accroître son capital humain. De plus, on constate que la dimension sociale des relations est devenue fort importante pour la DRH, dans la mesure où elle peut recruter une personne, ne serait-ce que pour accroître le capital social de l’entreprise (Ferrary 2010).

On montre également que de la même manière qu’une personne fait appel à son entourage pour solliciter ses relations, le carnet d’adresses personnel ou professionnel d’un employé sert à créer de nouvelles relations (Burt 2000a; Burt 1992). À tire d’exemple, le capital social des conseillers commerciaux ou des managers est un atout indéniable pour assurer les activités économiques de l’entreprise (Bah 2008; Ferrary 2010). On montre également qu’un candidat à l’emploi qui

dispose d’un réseau social fort intéressant, est une cible privilégiée pour l’entreprise qui recrute. Au niveau managérial, Fracassi (Fracassi 2012) montre que les décisions prises par les directeurs d’entreprises sont influencées par leurs liens sociaux. Au niveau des relations bilatérales entre deux entreprises, Fracassi démontre que plus les décisionnels partagent leurs liens sociaux, plus leurs investissements financiers sont similaires et, à l’inverse, plus les liens sociaux entres deux entreprises s’atténuent, moins leurs investissements se ressemblent. Plus loin encore, Fracassi montre même que les entreprises qui se placent au cœur d’un réseau social investissent de manière moins idiosyncrasique et affichent une meilleure performance économique.

Très proche de cette étude de Fracassi, Uzzi (Uzzi 1999) montre qu’au niveau de relations bilatérales, quand les entreprises intègrent des attachements sociaux dans leurs relations commerciales avec leurs créanciers, ces dernières auront des crédits avec des taux d’intérêt plus intéressants. Et plus globalement même, les entreprises auront plus de chance d’avoir un crédit avec des taux d’intérêt moins élevés quand leur réseau de relations bancaires est constitué d’un mélange d’encastrement social et de relations concurrentielles.

Pour revenir à l’analyse du rôle des intermédiaires, nous avons déjà dit qu’elle se base sur le principe de l’imperfection du marché. Le marché est imparfait et présente, de ce fait, des opportunités pour des agents de combler ou diminuer l’imperfection. Selon l’analyse classique de l’intermédiation, cette imperfection est informationnelle et l’analyse de l’intermédiation porte, naturellement, sur la diminution de l’asymétrie informationnelle entre les agents du marché. La même démarche est également valable pour l’étude de l’intermédiation selon la socio-économie du marché, à cette différence que les flux d’informations entre agents, dans l’analyse classique, sont de nature purement économique, tandis que dans l’autre, ils sont à la fois d’ordre social et économique puisqu’elle considère que les relations sociales interviennent dans les transactions économiques.

Selon les modèles classiques de l’intermédiation, l’intermédiaire profite de son avantage informationnel pour servir, d’une façon ou d’une autre, de lien économique entre les agents du marché. Comme la socio-économie du marché considère que les liens sociaux affectent les relations économiques, naturellement, sa vision de l’intermédiaire porte sur la création de liens sociaux, pour aboutir à des échanges économiques dans le(s) réseau(x). De la même manière que l’analyse économique de l’intermédiation, la présence de l’intermédiaire se justifie par le déséquilibre informationnel entre les agents. On y montre donc que plus l’information est partagée entre les agents moins ceux-ci auront recours à des réseaux sociaux (Ferrary 1999). À l’inverse, plus il y a déséquilibre informationnel, plus les agents feront appel à leurs réseaux sociaux pour réduire le facteur d’incertitude (Ferrary 2010; Uzzi 1997; Uzzi 1999; Zaheer et Soda 2009) et par conséquent, plus d'opportunités pour l’intermédiaire d’y jouer un rôle. Dans ce cas, selon la vision socio-économique, deux approches de l’analyse du phénomène d’intermédiation peuvent être distinguées :

imperfections informationnelles appelées « les trous structuraux » (Burt 2000a; Burt 1995; Burt 1992; Burt 2000b). Selon Burt (Burt 1995), l'intermédiaire est un acteur qui profite de ces trous structuraux de manière à devenir un passage obligé pour les membres de réseaux. L'intermédiation s’intéresse à la maîtrise des flux informationnels pour relier les membres de réseaux sociaux.

 Selon Uzzi (Uzzi 1997; Uzzi 1999), l’intermédiaire est un faiseur de relations sociales qui favorisent la naissance d’un réseau « dans lequel la confiance constitue un mode de

gouvernance efficace » (Curchod 2004, p. 6). L’intermédiaire, selon Uzzi (Uzzi 1997; Uzzi

1999), est un faiseur d’encastrement social : il aide à instaurer un effet de réseau pour s’occuper du transfert d’information fine et de coopération dans la résolution de problèmes entre les membres du réseau.

En réalité, le phénomène d’intermédiation sous une perspective de mise en réseau, peut être retracé dans les travaux de recherches en innovation et le transfert de technologies (Dibiaggio et Ferrary 2003; Häusler, Hohn et Lütz 1994; Hsieh, Lee et Ho 2012; Katz et Shapiro 1986; Lundvall 2010; McEvily et Zaheer 1999; Oerlemans, Meeus et Boekema 1998; Provan et Human 1999). Stankiewicz (Stankiewicz 1995), dans son étude sur l’industrie de l’ automatisme en Suède, met en lumière l’existence des acteurs intermédiaires qui assurent la mise en relation entre les industriels du secteur.

Quant à Lynn et al. (Lynn, Mohan Reddy et Aram 1996), ils constatent que les entreprises innovantes forment des « communautés d’innovation » et il existe des organisations intermédiaires qui s’occupent de la coordination et du partage de flux d’informations entre acteurs et entre réseaux. Il est vrai qu’ici, l’aspect social des relations n’est pas explicitement évoqué. Mais de par le fait que l’intermédiaire facilite la mise en relation et le partage de l’information entre agents, son intermédiation est tout à fait en accord avec l’idée d’Uzzi. L’intermédiaire dans ces études, comme Uzzi le note, instaure un effet de réseau et assiste ses membres dans la réalisation de leurs projets communs et individuels. Bien évidemment, pour accomplir une telle mission, l’intermédiaire devra, avant tout, établir une relation de confiance au sein du réseau.

Alix et Krieger (Alix et Krieger 1999) étendent l’échelle de leurs études au niveau de la société française pour montrer, comme Uzzi, l’importance de la confiance au sein des réseaux de relations sociales dans le succès des entreprises innovantes. Ils soulignent également que la société française est caractérisée par une forte organisation sociale qui facilite l’innovation et ils prouvent « que le concept de confiance joue un rôle tout à fait déterminant dans la genèse et

dans le succès des entreprises innovantes » (Ibid., p. 125).

Callon (Michel Callon 1989) nous rappelle l’implication de la sociologie et de la société dans le contenu de la science et la production de connaissances par les scientifiques et montre que ces derniers sont, avant tout, « d'infatigables constructeurs de réseaux […qui tiennent à bâtir] un

couverture). Callon et Cohendet et al. (M. Callon 1980; M. Callon 1994; M. Callon 1999; Cohendet, Héraud et Llerena 2013) nous rappellent par ailleurs que l’innovation est un processus de construction collective qui exige des échanges d’informations et d’interactions. Callon (M. Callon 1980; Michel Callon 1989; M. Callon 1994) identifie alors le rôle important des intermédiaires dans l’instauration d’échanges d’informations et le transfert de connaissances au sein de « réseaux de sciences ».

Dans le cadre du transfert de technologies, Clergeau et al. (Clergeau, Quinio et Detchessahar 2000) analysent de façon plus précise le rôle des intermédiaires à l’aune de la mise en réseau des acteurs. Selon ces derniers, l’intermédiation consiste à mettre en relation les agents avec un réseau ou à mettre en relation des réseaux entre eux. Les intermédiaires ont alors des fonctions qui vont de l’accompagnement à l’animation, de la traduction à la proposition, de l’information à la co-création. Ces fonctions peuvent être résumées par :

 la mise en relation, la circulation de l’information entre acteurs ;

 l’animation de réseaux d’acteurs ;

 dans une acceptation plus large de l’intermédiation, la traduction, l’interprétation des propositions des acteurs permettant leur ajustement ;

 la coordination d’acteurs d’un projet commun, la définition des objectifs communs, la fédération des moyens pour les atteindre.