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Interférence entre les systèmes juridiques : relation de contrôle?

Titre II: Le droit coutumier de l'adoption autochtone

3. Reconnaissance en droit étatique de l'adoption coutumière

3.8. Interférence entre les systèmes juridiques : relation de contrôle?

Nous l’avons mentionné, les Autochtones se retrouvent au centre d’un phénomène de pluralisme juridique, étant appelés à choisir entre deux régimes créant chacun leurs effets juridiques. Qui plus est, dans les territoires où s'est opéré une forme de colonialisme, le pluralisme juridique est régulièrement teinté d'ethnocentrisme et entraîne souvent une hiérarchisation des systèmes juridiques, voire l’assimilation d’un système par l’autre. La quête de reconnaissance poursuit nécessairement des objectifs pratiques liés à l'interaction entre les communautés autochtones et les instances de l'État. Mais, elle tend aussi vers un but symbolique, celui de l’affirmation des communautés autochtones en tant qu’entités créatrices de normes. Ce que rejette le peuple colonisateur pour qui le droit étatique prime sur le droit autochtone, ce qui se constate notamment dans le contrôle351 qu’il semble exercer avec

350 Id.

351 A.FOURNIER, préc., note 10, p. 185 et 186. Pour une analyse approfondie de l’interaction entre les deux ordres

normatifs, voir Sébastien GRAMMOND et Christiane GUAY, « L’interaction entre le droit innu et le droit québécois de l’adoption », (2018) 48 R.G.D. 123.

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certains concepts introduits par des modifications législatives liées à la reconnaissance étatique du droit coutumier de l'adoption.

Citons à ce propos, l'article 71.3.2 de la Loi sur la protection de la jeunesse352 qui

prévoit ce qui suit :

« Dès lors que l’enfant fait l’objet d’un signalement et jusqu’à la fin de l’intervention du directeur, aucun certificat de tutelle ou d’adoption coutumière autochtone ne peut être délivré, selon le cas, conformément à l’article 199.10 ou 543.1 du Code civil sans l’avis du directeur eu égard à l’intérêt de l’enfant et au respect de ses droits.

À cette fin, le directeur et l’autorité compétente échangent les renseignements nécessaires pour permettre au directeur de rendre son avis. La divulgation des renseignements par le directeur s’effectue conformément à l’article 72.6.1.

L’avis du directeur doit être donné par écrit et être motivé. »353

Cette disposition fait interférer une instance étatique, le directeur de la protection de la jeunesse, dans le processus coutumier de l'adoption. Mentionnons que le directeur de la protection de la jeunesse représente pour les communautés autochtones un organisme étatique hautement controversé, avec lequel le lien de confiance est loin d’être acquis354.

On constate ici l’exercice d’un contrôle. Pour empêcher celui-ci et faciliter le rapport qu’entretiennent les Autochtones avec les autorités étatiques, les processus d'évaluation d'un signalement et d'adoption coutumière pourraient se faire en parallèle, d'autant plus que la délivrance d'un certificat ne fait qu'attester une situation de faits déjà existante. Même si, suivant l’avis du directeur, l’autorité compétente refuse d'émettre un certificat, cela n'aura aucune incidence concrète sur la situation de l'enfant qui ne sera pas déplacé du milieu inadéquat où il se trouve. C’est une autre institution, soit la direction de la protection de la jeunesse, qui pourra agir si la sécurité ou son développement de l’enfant est compromis. Ainsi,

352 L.R.Q., c. P-34.1. 353 Art. 71.3.2 L.P.J.

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le refus d’émettre le certificat (document qui ne fait qu’attester d’une situation ayant déjà produit ses effets) ne protège pas l’enfant. L’émission du certificat, qui serait conforme à la réalité vécue par cette famille autochtone, n’empêcherait pas la direction de la protection de la jeunesse de par ailleurs choisir de déplacer l’enfant.

Citons également l'article 95.0.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse355 qui

prévoit que, suivant une déclaration judiciaire d'admissibilité à l'adoption, les dispositions incompatibles de l'ordonnance de protection deviennent inopérantes après l'expiration du délai d'appel du jugement de déclaration d'admissibilité à l'adoption. Le troisième alinéa de l'article édicte désormais ce qui suit:

« Dans le cas d’une adoption coutumière autochtone pour laquelle un nouvel acte de naissance a été dressé par le directeur de l’état civil en application de l’article 132 du Code civil, les conclusions incompatibles de l’ordonnance visant à protéger l’enfant deviennent inopérantes sur décision du tribunal à la demande du directeur, qui agit en application de l’article 95 dès qu’il reçoit du directeur de l’état civil une copie du nouvel acte de naissance. »356

C’est ainsi que les dispositions incompatibles de l'ordonnance de protection mèneront à un procédé différent selon que l’on a affaire à une adoption étatique ou à une adoption coutumière. Dans le premier cas, les dispositions deviennent automatiquement inopérantes, alors que dans le second, le tribunal doit trancher. Il semble donc qu'une certaine forme de contrôle de l'ordre juridique du peuple colonisateur sur l'ordre juridique du peuple colonisé persiste.

L'article 543.1 du Code civil du Québec prévoit que les conditions d'adoption d'une coutume peuvent se substituer aux conditions d’adoption prévues par le Code en autant qu’elles respectent, notamment, les règles relatives aux consentements des personnes concernées. De ce fait, si une coutume ne prévoit pas, par exemple, le consentement du père d'origine, on peut s’interroger à savoir si l’adoption coutumière pourrait être reconnue par

355 L.R.Q., c. P-34.1. 356 Art. 95.0.1. LP.J.

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l’État. Dans l’éventualité où l’adoption ne serait pas reconnue en l’absence du consentement du père, il s'agirait donc de la priorisation d'un concept de droit étatique, soit le consentement, sur les principes de droit coutumier.

Également, certaines nouvelles dispositions législatives prévoient le respect de l'intérêt de l'enfant lors du processus de reconnaissance de l'adoption coutumière. La transposition de ce concept étatique en droit coutumier peut relever d'une forme de contrôle. Cet aspect sera longuement analysé dans les sections ultérieures357.

3.9. Enjeux en lien avec les dispositions législatives concernant l'adoption