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Chapitre III : Caractérisation des matières nucléaires par la mesure du rayonnement

IV. P ERFORMANCES POUR DES FUTS DE DECHETS DANS LA CELLULE MEDINA

IV.6. Interférence de l’isotope 238 U

L’ensemble des résultats précédents ont été obtenus sur la base des seuls isotopes fissiles 235U

et 239Pu. Dans le cas du plutonium, l’isotope 239Pu est très souvent majoritaire à plus de 50 % et

l’isotope fissile 241Pu très minoritaire. La majorité des fissions se produiront donc bien sur l’isotope 239Pu. Pour l’uranium, les deux principaux isotopes présents sont 235U et 238U. Bien que seul l’isotope 235U soit fissile par des neutrons thermiques, l’utilisation d’un générateur de neutron de 14 MeV peut

induire des fissions rapides et notamment sur l’isotope 238U (voir courbes de section efficace de

fission, Figure 59) qui représente généralement plus de 95 % de la masse d’uranium (appauvri, naturel ou enrichi à des fins de production d’électricité). Nous avons donc cherché à savoir dans quelle mesure cette présence de l’isotope 238U contribue au signal des rayonnements gamma

retardés.

De nouvelles simulations ont donc été réalisées en répartissant de manière homogène dans les matrices bitume et béton 10 g d’isotopes 235U et la quantité d’isotope 238U associée, avec trois

compositions isotopiques :

 Uranium légèrement enrichi : 1,5 % 235U et 98,5 % 238U

 Uranium naturel : 0,7 % 235U et 99.3 % 238U

 Uranium appauvri : 0,2 % 235U et 99,8 % 238U

L’évolution du rapport entre les taux de fission de l’isotope 238U et total (238U plus 235U) dans

chacune des 24 sous cellules de segmentation du fût de 225 L décrites au paragraphe III.2, dans le cas des matrice béton et bitume, est représentée en Figure 60.

Bitume Béton

Figure 60. Variation des taux de fission par unité de volume dans chaque sous segment du colis de déchets de 225 L (cf. Figure 49), en fonction de la proportion d'isotopes 235U/238U.

1,5 % 235U 1,5 % 235U

0,7 % 235U 0,7 % 235U

Ces résultats montrent que le plus grand pouvoir modérateur de la matrice bitume par rapport à la matrice béton limite en partie l’interférence due aux fissions rapides de l’isotope 238U. De plus, une

proportion plus élevée de ces dernières est observée pour la partie intermédiaire du colis, par rapport aux régions (haute et basse) en raison de la position de cette zone en vue directe du générateur de neutrons. Dans le cas d’uranium naturel ou enrichi à 1.5 %, moins de 15 % du nombre total de fissions provient de l’isotope 238U. Cette proportion dépasse 30 % dans le cas d’uranium

appauvri dans la matrice béton qui est moins modératrice. De plus, du fait de la thermalisation des neutrons dans la matrice, la proportion de fissions de l’isotope 238U est plus importante en périphérie

du colis (jusqu’à plus de 40 % dans le cas le plus pénalisant), zone présentant également la meilleure efficacité de détection. Une attention particulière devra donc être portée quant à la détermination de la contribution des fissions rapides de l’isotope 238U.

Au regard des rendements cumulés de fission représentés en Figure 61, on constate que la fission rapide de l’isotope 238U produit une plus grande quantité d’isotopes avec un nombre de masse

compris entre 100 et 130 que la fission thermique de l’isotope 235U. Cette différence est liée à

l’énergie des neutrons incidents, la fission rapide de l’isotope 235U ayant la même allure que celle de

l’isotope 238U [JEFF05]. Toutefois, la majorité des fissions induites par des neutrons rapides provient

de l’isotope 238U. En effet, bien que les deux isotopes de l’uranium aient des sections efficaces de

fission entre 1 et 14 MeV similaires (2,06 b et 1,17 b à 14 MeV, respectivement pour 235U et 238U

[JEFF05]), la plus grande quantité de noyaux 238U résulte en un nombre de fissions induite par des

neutrons rapides bien plus grand pour cet isotope.

Figure 61. Rendements de production cumulés des produits de fission thermique de l’isotope 235U et de fission rapide de

l’isotope 238U [JEFF05].

La Figure 23 montre qu’à partir de l’analyse des différents rayonnements gamma retardés issus des produits de fission de la région des nombres de masse compris entre 100 et 130, il est a priori possible de déterminer les masses relatives des trois isotopes 239Pu, 235U et 238U. La limitation

principale réside ici dans la différence de localisation des fissions rapides (plutôt en surface) et des fissions thermiques (plus en profondeur), résultant en des contributions différentes au signal

retardés. En l’absence de donnée sur la répartition des isotopes dans la matrice, l’hypothèse d’homogénéité peut entrainer ici une incertitude encore bien plus significative qu’en présence seul d’isotopes fissiles.

On pourra également mentionner que l’isotope 238U émet un rayonnement gamma prompt de

capture radiative à 4,06 MeV [AIEA07] qui permettrait également de quantifier cet isotope et d’en déduire sa contribution au signal retardés à l’aide de simulations numériques.

V. Conclusion

La mesure des rayonnements gamma retardés de fission à partir de l’irradiation d’échantillons d’uranium et de plutonium dans la cellule REGAIN du CEA Cadarache a permis d’identifier les raies gamma intéressantes pour la caractérisation des isotopes 235U et 239Pu. Les rendements d’émission

de ces rayonnements gamma retardés de fission, déterminés à partir des mesures expérimentales, sont cohérents avec ceux calculés à partir de données tabulées. Les écarts les plus grands observés sur certaines raies gamma sont dus principalement aux incertitudes de mesures : détermination de la surface nette des pics de faible amplitude ou en interférence avec d’autres raies. Néanmoins, les ratios entre rendement mesurés et tabulés restent dans une plage de 0,7 à 1,55 pour toutes les raies d’intérêt étudiées, associées aux isotopes 235U et 239Pu.

La simulation MCNP d’une irradiation pulsée de 7200 s d’un colis de déchets radioactifs de 225 L contenant une matrice bitumée, ou bétonnée, dans la cellule MEDINA du FZJ, montre que le signal des rayonnements gamma retardés de fission n’est que de quelques dizaines de coups par gramme d’isotope 235U ou 239Pu. La principale limitation dans le cas des déchets bitumés vient du haut niveau

d’activité gamma du colis, produisant une saturation de l’électronique de spectrométrie gamma haute résolution (pour détecteur GeHP) en l’absence de collimateur et d’écran supplémentaire. L’utilisation de ces derniers réduirait d’autant le signal utile, le rendant finalement indétectable. Toutefois, la méthode reste prometteuse dans le cas de colis de déchets moins irradiants, comme notamment les déchets bétonnés produits en Allemagne.

Le calcul de la sensibilité de détection des rayonnements gamma retardés de fission, combiné avec une mesure du bruit de fond actif d’un colis bétonné maquette dans la cellule MEDINA, a permis d’estimer des limites de détection de l’ordre de quelques dizaines de grammes d’isotopes

235U ou 239Pu. Ces limites de détection peuvent potentiellement être améliorées grâce à l’utilisation

d’un générateur de neutrons possédant une émission supérieure au GENIE 16, ou encore d’un LINAC avec une source de conversion adaptée. L’optimisation de l’écrantage du détecteur, abordée dans le chapitre IV de ce mémoire, est aussi une voie d’amélioration des performances.

D’autre part, l’étude de différents cas enveloppe quant à la position de la matière fissile montre un impact très significatif pour les matrices hydrogénées comme le bitume. Bien que le phénomène soit plus modéré dans le cas de la matrice bétonnée, l’absence d’information sur la répartition de la matière fissile entraine une incertitude significative sur sa quantification. Un moyen de réduire cette incertitude serait de mesurer les rayonnements gamma retardés émit à plus haute énergie [Carrel11a].

Enfin, la présence de l’isotope 238U avec l’isotope 235U nécessite de prendre en compte la

contribution des fissions rapides. L’étude de leur contribution pour plusieurs enrichissements d’uranium a montré que cette composante n’est significative que dans le cas d’une teneur en isotope

235U inférieure à 0,2 %, et que celle-ci devrait pouvoir être quantifiée par adaptation des équations

de mesure des rayonnements gamma retardés de fission.

En conclusion, malgré ces réserves, la méthode semble donc intéressante dans le cas de fûts ayant un niveau d’émission gamma modéré et contenant quelque dizaines de grammes de matière fissile. Pour de futurs travaux, l’utilisation des nouvelles versions de MCNP [MCNP6] et MCNPX [MCNPX260], capables de générer les rayonnements gamma retardés, permettra d’étudier plus en détails les performances de la méthode à partir des simulations numériques.