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L’ INTERET DE L ’ INTERPRETATION RATIONALISEE : LA LEGITIMITE DE LA JURIDICTION

Néanmoins, l’Organe d’appel lui-même contredit cette approche et montre que l’interprétation est un exercice difficile à systématiser, nécessairement subjectif ; une opération finalement normative qui laisse une large marge de manœuvre à l’interprète. (Titre 2)

323 WAINCYMER, J., WTO Litigation, Procedural Aspects of Formal Dispute Settlement, London: Cameron

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TITRE 1. L’intérêt de l’interprétation rationalisée : la légitimité de la

juridiction

L’Organe d’appel, en 1995, était une nouvelle juridiction obligatoire sur la scène internationale. Elle qui ne devait, à l’origine des négociations n’être qu’un recours exceptionnel, prit finalement la forme d’un organe permanent, entre les « mains » duquel plus de la moitié des rapports des groupes spéciaux sont envoyés324. En outre, ses décisions, contrairement à la pratique du GATT selon laquelle le consensus des parties était nécessaire, sont adoptées de façon quasi automatique grâce à la règle du consensus négatif. Lorsque l’on connaît la réticence des États à confier le règlement de leurs différends à un tiers, on conçoit fort bien qu’une des missions premières de l’Organe d’appel était de justifier son existence et de la maintenir. Il devait donc impérativement gagner (et conserver) sa légitimité auprès de ceux qui l’avaient créé et qui seraient ensuite ses justiciables : les Membres de l’OMC. Claus- Dieter Ehlermann, qui fut parmi les premiers membres de l’Organe d’appel, explique à quel point lui et ses collègues avaient conscience de l’importance de la tâche qui leur incombait : « every one of the seven Appellate Body members was conscious and determined to contribute to the building of a new institution. Every one of us wanted to contribute to the strength an authority of this new institution. We were of course aware that we had to build up the reputation, acceptability, and the ensuing legitimacy of the Appellate Body from scratch»325. C’est en effet seulement si les Membres ont confiance en l’action de cette juridiction qu’ils la saisiront, et que, ainsi, elle fonctionnera et se développera326. C’est cette

confiance aussi qui les poussera à respecter le droit dont elle contrôle l’application, « stade où l’on retrouve les disparités de puissance »327. Elle est donc une condition essentielle pour la

survie du système juridique dans son ensemble.

Dans un premier temps, il était « essentiel que le juge inspire confiance aux parties en

324 ABI-SAAB, G., « The Appellate Body and Treaty Interpretation », in FITZMAURICE, M., ELIAS, O.,

MERKOURIS, P., (dir.), Treaty Interpretation and the Vienna Convention on the Law of Treaties, Leiden: Martinus Nijhoff, 2010, p. 100.

325 EHLERMANN, C.D., « Reflections on the Appellate Body of the WTO », J.I.E.L., vol. 6, n° 3, 2003, p. 696. 326 MAKI, P.C., « Interpreting GATT using the Vienna Convention on the Law of Treaties: A Method to

Increase the Legitimacy of the Dispute Settlement System », Minnesota Journal of Global Trade, vol. 9, n° 1, 2000, p. 347: « A key factor in developing a rule-based adjucative system is that the parties using it must have confidence in the substantive decisions of the adjucative body».

327 RUIZ FABRI, H., « L’appel dans le règlement des différents de l’OMC, trois ans après, quinze rapports plus

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litige »328. Les règles qui régissent la composition de cette juridiction sont alors très importantes. Le processus de sélection des membres de l’Organe d’appel présente en soit des garanties non négligeables sur les qualités professionnelles de ces derniers, puisque l’article 17:3 du Mémorandum stipule qu’il « comprendra des personnes dont l'autorité est reconnue, qui auront fait la preuve de leur connaissance du droit, du commerce international et des questions relevant des accords visés en général ». D’autre part, l’indépendance et l’impartialité de cette juridiction sont ainsi « le gage de [sa] légitimité et de [sa] crédibilité auprès des parties et mais aussi de l’opinion publique internationale»329. L’Organe

d’appel répond à cette exigence puisque ces sept membres ne doivent avoir « aucune attache avec une administration nationale », et « ne participeront pas à l'examen d'un différend qui créerait un conflit d'intérêt direct ou indirect » 330. La collégialité de l’Organe d’appel (sept membres, dont trois siègent pour régler une affaire), renforce aussi la confiance qui lui est accordée, et donc sa légitimité331.

Cet aspect présente une bonne base pour gagner la confiance des justiciables, mais il est insuffisant : c’est en effet sur son action concrète qu’une juridiction pourra asseoir sa légitimité, et en tout premier lieu, de façon évidente, sur la qualité de ses décisions332. Claus Dieter Ehlermann affirmait ainsi : « We were convinced that this reputation, acceptability, and legitimacy could only derive from (…) the quality of the work that we were charged to accomplish, i.e. notably the quality of our reports »333. Or la qualité d’une décision dépend, entre autres, de sa clarté, de sa cohérence, et plus globalement, de son caractère rationnel et prévisible334. En effet, « les États qui acceptent de soumettre leur différends à l’arbitre ou au juge international », rappelle Charles de Visscher, « attachent du prix à un certain degré de

328 CAVARE, L., « La notion de juridiction internationale », A.F.D.I., 1956, p. 499.

329 JOUANNET, E., « Actualité des questions d’indépendance et d’impartialité des juridictions internationales :

la consolidation d’un tiers pouvoir international ? », Indépendance et impartialité des juges internationaux, Paris : Pedone, 2010, p. 285.

330 Article 17.3 du Mémorandum d’accord.

331 Sur la collégialité comme facteur de légitimité voir COHENDET, M-A., « La collégialité des juridictions : un

principe en voie de disparition ? », Revue française de droit constitutionnel, vol. 4, 2006, pp. 713 et suivantes. Disponible sur : http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2006-4-page-713.htm.

332 MAKI, P.C., « Interpreting GATT Using the Vienna Convention on the Law of Treaties: A Method to

Increase the Legitimacy of the Dispute Settlement System », Minnesota Journal of Global Trade, vol. 9, n° 1, 2000, p. 348.

333 EHLERMANN, C.D., « Reflections on the Appellate Body of the WTO », J.I.E.L., vol. 6, n° 3, 2003, p. 696. 334 BEHBOODI, R., « Legal Reasoning and the International Law of Trade: the first steps of the Appellate Body

of the WTO », in MENGOZZI, P., (dir.) International Trade Law on the 50th anniversary of the multilateral system, Milano: Giuffre, 1999, p. 318.

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prévisibilité de la décision à venir »335. Par conséquent, si une partie à un différend considère que la décision ne présente pas ces qualités, elle négligera ce moyen d’action et lui en préfèrera un autre ou agira de façon unilatérale336. Les États doivent donc être convaincus de cette prévisibilité, doivent se sentir en sécurité.

L’Organe d’appel337, dans ce but, a utilisé sa compétence d’interprétation : en développant et

appliquant une méthodologie stricte d’interprétation, il tente d’encadrer cette opération plus strictement que ne le fait la Convention de Vienne, et de lui donner une apparence de prévisibilité (Chapitre 1). En ce sens, ce « raisonnement interprétatif s’insère dans un raisonnement juridictionnel dominé par son caractère argumentatif »338, et plus large, qui inclut la motivation. Celle-ci est en effet incontestablement liée à l’interprétation puisqu’elle l’explique, la décrit et surtout la justifie339. L’Organe d’appel va ainsi soigner particulièrement

son discours pour renforcer ce sentiment de sécurité et consolider la confiance des Membres (chapitre 2).

335 VISSCHER, Ch. de, Les problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, Paris : Pedone,

1963, p. 44.

336 MAKI, P.C., « Interpreting GATT Using the Vienna Convention on the Law of Treaties: A Method to

Increase the Legitimacy of the Dispute Settlement System », Minnesota Journal of Global Trade, vol. 9, n° 1, 2000, p. 347.

337 Car c’est finalement lui l’ultime responsable de la sécurité, la prévisibilité et donc de la légitimité du droit

international du commerce, rappelle R. BEHBOODI, in « Legal Reasoning and the International Law of Trade: the first steps of the Appellate Body of the WTO », in MENGOZZI, P., (dir.) International Trade Law on the

50th anniversary of the multilateral system, Milano : Giuffre, 1999, p. 317.

338 MOUTON, J.-D., Étude de la méthode d’interprétation dite de l’effet utile en droit international public. Contribution à la compréhension de l’idée juridictionnelle du Droit, Thèse soutenue publiquement le 10

décembre 1986, Université de Nancy II, p. 19.

339 TROPER, M., « La motivation des décisions constitutionnelles », in PERELMAN, C., FORIERS, P., (dir.), La motivation des décisions de justice, Bruxelles : Bruylant, 1978, pp. 290.

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Chapitre 1. Une méthodologie d’interprétation : argument d’objectivité

« …il nous est difficile d'imaginer les circonstances dans lesquelles un groupe spécial pourrait accroître les droits et obligations d'un Membre de l'OMC si ses conclusions traduisent une interprétation et une application correctes des dispositions des accords visés ».

Organe d’appel de l’OMC340.

L’Organe d’appel, conformément à son mandat, clarifie les dispositions des accords en se basant sur les règles coutumières d’interprétation du droit international public 341. Il va, dans

un premier temps, les identifier, puis en dégager une méthodologie, basée sur l’analyse textuelle.

Le but de cette méthodologie est de désigner clairement les règles et techniques d’interprétation applicables. En effet, plus il y a de règles et de techniques d’interprétation, plus les chances de conflits entre elles seront nombreuses, entraînant une impression d’imprévisibilité342. A l’inverse, la clarté et la prévisibilité des règles d’interprétation343

participent à l’instauration d’un sentiment de sécurité juridique344. Ch. de Visscher l’affirme :

de « bonnes méthodes d’interprétation contribuent à la prévisibilité des décisions judiciaires »345. Et, pour Serge Sur, « l’obligation de recourir à certaines méthodes pour obtenir une interprétation juridiquement valide constituerait un des garde-fous les mieux

340 Rapport de l’Organe d’appel, Chili — Boissons alcooliques, 1999, § 79

341 CHARNEY, J.I., « Is International Law threatened by Multiple International Tribunals? », R.C.D.A.I., vol.

271, 1998, pp. 151.

342 WAINCYMER, J., WTO Litigation, Procedural Aspects of Formal Dispute Settlement, London: Cameron

May, 2002, p. 373.

343 « Toute « jurisprudence » et, a fortiori, une jurisprudence émergente, repose sur un principe de sécurité

juridique, qui est assuré par la clarté et la prévisibilité de la règle de droit mais aussi par la clarté et la prévisibilité des règles d’interprétation ». CANAL-FORGUES, E., THILLIER, A., Le règlement des différends à

l’OMC, Bruxelles : Bruylant, 2003, p. 95.

344 Voir aussi à ce sujet T. SKOUTERIS selon lequel: « (…) rules of interpretation are perceived to be

fundamental for the good functioning of a legal system because, the argument goes, they strongly enhance legal certainty and predictability », in « Customary rules of interpretation of public international law and interpretative practices in the WTO dispute settlement System », in MENGOZZI, P., (dir.) International Trade Law on the 50th anniversary of the multilateral system, Milano : Giuffre, 1999, p. 115.

345 VISSCHER, Ch. de, Les problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, Paris : Pedone,

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élaborés contre les prétentions arbitraires ou abusivement discrétionnaires (…) »346. Les

règles de la Convention de Vienne permettraient donc, de ce point de vue et dans une certaine mesure, d’assurer une prévisibilité au système347.

Cependant, l’Organe d’appel, conscient peut-être des mille et unes façons d’utiliser ces dispositions, a établi une méthodologie qui limite le nombre de moyens mis à la disposition de l’interprète, le nombre de combinaisons possibles et donc le nombre de divergences348 : elle a

une fonction unificatrice349, qui renvoie « l’image d’une continuité, d’une cohérence »350.

Cette méthodologie est aussi, d’après G. Abi Saab, ancien membre de l’Organe d’appel, d’autant plus utile que les accords couvrent un large champ matériel, très spécifique, avec un degré de complexité et de précision parfois important351. Enfin, et surtout, interpréter dans un cadre strict inspire confiance, permet de légitimer la fonction judiciaire de l’Organe d’appel, et l’effet de ses décisions352. Cette méthodologie, obligatoire et basée sur la méthode textuelle

rationnalise le processus d’interprétation (section 1), en donne priorité à la recherche du sens ordinaire des termes (section 2).

346 SUR, S., L’interprétation en droit international public, Paris : LGDJ, 1974, p. 241. Notons ici l’usage par

l’auteur du conditionnel, qui reflète ses doutes quant à l’efficacité de ces méthodes pour atteindre un tel but, doutes que nous partageons.

347 MERKOURIS, P., « Introduction: Interpretation is a science, is an art, is a science», in FITZMAURICE, M.,

ELIAS, O., MERKOURIS, P., (dir.), The Issues of Treaty Interpretation and the Vienna Convention on the Law

of Treaty: 30 years on, Leiden: Martinus Nijhoff, 2010, p.10.

348 Cette démarche méthodologique et unifiée n’est pas adoptée par tous les organes de règlement des différends.

Le CIRDI, par exemple, met en œuvre les techniques interprétatives au cas par cas. Voir LATTY, F., « Les techniques interprétatives du CIRDI », R.G.D.I.P., Dossier : Les techniques interprétatives de la norme

internationale, n°2, 2011, pp. 459-480.

349 COMBACAU, J., SUR, S., Droit International Public, Paris : Montchrestien, 10ème éd., 2012, p. 178.

350 RUIZ FABRI, H., « Le Juge de l’OMC: ombres et lumières d’une figure judiciaire singulière », R.G.D.I.P.,

n°1, 2006, p. 52.

351 ABI-SAAB, G., «The Appellate Body and Treaty Interpretation», in FITZMAURICE, M., ELIAS, O.,

MERKOURIS, P., (dir.), The Issues of Treaty Interpretation and the Vienna Convention on the Law of Treaty:

30 years on, Leiden: Martinus Nijhoff, 2010, p. 103. Voir aussi supra.

352 VAN DAMME, I., Treaty Interpretation by the WTO Appellate Body, Oxford: Oxford University Press, 2009,

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Section 1. Une analyse méthodique: la rationalisation du processus d’interprétation

Le premier différend examiné dans le cadre des procédures de règlement des différends de l’OMC, l’affaire Malaisie — Prohibition des importations de polyéthylène et de polypropylène, ayant été réglé à l’amiable, il fallut attendre le mois de janvier 1996 pour découvrir le premier rapport du Groupe spécial, et le 29 avril de la même année pour celui de l’Organe d’appel. Dans cette affaire États-Unis — Essence353 le Groupe spécial a interprété

une disposition (l’article III:4 du GATT) en se référant, sans hésitation, et « conformément à l'article 3:2 du Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, à la Convention de Vienne sur le droit des traités (…) », et notamment à son article 31354. Pour le Groupe spécial donc les règles coutumières d’interprétations du droit international public évoquées à l’article 3:2 du Mémorandum d’accord étaient, sans aucun doute, les règles contenues dans la Convention de Vienne. Il suivait ainsi les pas des autres juridictions internationales, mais aussi ceux de quelques groupes spéciaux de l’ancien GATT355.

L’Organe d’appel, dans son rapport a confirmé sur ce point l’analyse du Groupe spécial : il fait lui aussi référence à ce qu’il considère comme « une règle fondamentale de l’interprétation des traités », (…) « formulée de manière succincte dans un texte qui fait

353 Dans un souci de cohérence, nous donnerons aux affaires leurs intitulés abrégés, tels qu’établis par l’OMC

Nous indiquerons aussi, en note de bas de page l’année de leur rédaction. Voir dans la bibliographie les titres complets, ainsi que les références et les dates.

354 Rapport du Groupe spécial États-Unis — Essence, 1996 § 6.7. p. 38.

355 Car, sous l’empire du GATT 1947, en matière d’interprétation, l’« anarchie » était plutôt de mise, et les

décisions rendues par les groupes de travail étaient en général très contestables sur le plan juridique. Au fil des ans, une ébauche de « rationalisation » de la démarche interprétative s’est néanmoins faite sentir (TOMKIEWICZ, V., L’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce, Thèse soutenue

publiquement le 15 juin 2004, Université Paris I, p. 159-170). A la fin des années quatre-vingt la méthode textuelle a fait son apparition dans les rapports des groupes spéciaux. On a ainsi pu reconnaître les différentes étapes décrites dans l’article 31 de la Convention de Vienne dans le rapport États-Unis — Restrictions à

l’importation de sucre et dans une moindre mesure dans le rapport CEE – Restrictions à l’importation de pommes de table (Rapport du Groupe spécial États-Unis — Restrictions à l’importation de sucre, (L/6514 -

36S/372) (BISD 36S/331), 9 juin 1989, adopté le 22 juin 1989 et rapport du Groupe spécial CEE — Restrictions à l’importation de pommes de table – Plainte du Chili, (L/6491 - 36S/100), (BISD 36S/93), 8 avril 1989, adopté

le 22 juin 1989, §§ 12 et 13). Enfin, quelques références expresses aux articles concernant l’interprétation de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités peuvent être trouvées dans les rapports. Citons ainsi le Groupe spécial dans l’affaire États-Unis — Saumons de Norvège qui s’appuie sur l’article 31.2 de la Convention de Vienne, et surtout celui de l’affaire États-Unis – Restrictions à l’importation de thon. Celui-ci en effet « a rappelé qu'il était généralement admis que la Convention de Vienne sur le droit des traités énonçait les règles fondamentales de l'interprétation des traités (…) et que les parties au différend partageaient cet avis ». (Voir le rapport du Groupe spécial États-Unis — Imposition de droits antidumping sur les importations de saumons frais et réfrigérés en provenance de Norvège (ADP/87), 30 novembre 1992, adopté par le Comité des pratiques anti- dumping le 27 avril 1994 et le rapport du Groupe spécial États-Unis – Restrictions à l’importation de thon,

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autorité, la Convention de Vienne sur le Droit des Traités », l’article 31 plus précisément356. Il

s’inscrit donc lui aussi dans la droite ligne des autres juridictions internationales et de la doctrine357, en considérant que cette règle est une règle du droit international coutumier ou général358, originairement359 et par nature360. Elle est ainsi bien une des règles coutumières d’interprétation du droit international public visées à l’article 3:2 du Mémorandum d’accord qu’il doit « appliquer lorsqu’il s’emploie à clarifier les dispositions… »361. Rappeler le

caractère coutumier362 des règles contenues dans la Convention de Vienne lui permet en outre de justifier l’application de ce traité, auquel tous les Membres de l’OMC ne sont pas parties363. Lors du règlement de la deuxième affaire, dite Japon — Boissons alcooliques II, il complète son raisonnement364 en joignant à la règle générale de l’article 31 l’article 32, qui traite des moyens complémentaires d’interprétation et qui est, selon lui, sans conteste aussi une règle coutumière. A cette occasion, il cite dans son intégralité ces deux dispositions365.

Il convient cependant de noter que l’Organe d’appel ne déclare pas que les articles de la Convention de Vienne concernant l’interprétation des traités sont les règles coutumières d’interprétation du droit international public. Il considère seulement que la règle générale d’interprétation énoncée à l’article 31.1 de ladite Convention « fait partie »366 des règles

356 D. MACRAE considère à ce sujet que ce choix est le reflet de la composition de l’Organe d’appel : ses

membres sont plus spécialistes de droit international général que de droit international du commerce, in « The Emerging Appellate Juridiction in International Law », in Proceeding of the Annual Conference of the Canadian

Council on International Law, 25, Ottawa, 1996, p. 34.

357 Voir par exemple CHARNEY, J.I., « Is International Law threatened by Multiple International Tribunals? », R.C.D.A.I., vol. 271, 1998, pp. 151.

358 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis — Essence, 1996, p. 19.

359 A ce sujet, un doute peut être permis car il difficile de dégager une pratique généralisée et considérée comme

obligatoire en matière d’interprétation avant la rédaction de la Convention de Vienne. Les comptes rendus des débats à la CDI en sont une preuve. Voir aussi KLABBERS, J, « Virtuous interpretation», in FITZMAURICE, M., ELIAS, O., MERKOURIS, P., (dir.), The Issues of Treaty Interpretation and the Vienna Convention on the

Law of Treaty: 30 years on, Leiden: Martinus Nijhoff, 2010, p. 25.

360 KLABBERS, J, « Virtuous interpretation », in FITZMAURICE, M., ELIAS, O., MERKOURIS, P., (dir.), The Issues of Treaty Interpretation and the Vienna Convention on the Law of Treaty: 30 years on, Leiden: Martinus Nijhoff, 2010, p. 24.

361 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis — Essence, 1996, p. 19.

362Caractère coutumier qu’il réaffirmera de nombreuses fois dans ses rapports. Voir par exemple les rapport de

l’Organe d’appel, États-Unis — Acier au carbone, 2002, § 61 : «Il est bien établi dans la jurisprudence de l'OMC que les principes codifiés dans les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (la "Convention de Vienne") constituent de telles règles coutumières », États-Unis — Loi sur la compensation 2003,

§ 276, Chine — Matières premières, 2011, § 278, États-Unis — Pneumatiques (Chine), 2011, § 118.

363 CAMERON, J., GRAY, K.R., « Principles of International Law in the WTO dispute settlement body », I.C.L.Q., vol. 50, 2001, p. 254.

364 Rapport de l’Organe d’appel, Japon — Boissons alcooliques II, 1996, p. 12. 365 Rapport de l’Organe d’appel, Japon — Boissons alcooliques II, 1996, p. 13. 366 Rapport de l’Organe d’appel, États-Unis — Essence, 1996, p. 19.

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coutumières d’interprétation du droit international public367. En effet, il fait aussi, de façon

explicite, référence dès ces premiers rapports à la règle de l’effet utile368, qui est l’« un des

corollaires de la « règle générale d’interprétation » citée par la Convention de Vienne et selon laquelle « l’interprétation doit donner sens et effet à tous les termes d’un traité »369. Or, ce

principe n’est pas mentionné dans la Convention de Vienne. L’Organe d’appel donc, pas plus que les autres juridictions, ne souhaite se contenter de la Convention de Vienne pour appliquer sa mission de clarification370.

Néanmoins, elle est sa matière première et il n’aura de cesse d’affirmer sa place fondamentale

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