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Interactions dipolaires et champ démagnétisant

IV.5 Influence de l’agrégation sur la SLP

IV.5.1 Interactions dipolaires et champ démagnétisant

IV.5.1.1 Interactions dipolaires

Tout comme de nombreuses revues le soulignent (e.g. [161, 216]), l’effet des interactions dipolaires magnétiques interparticulaires est encore très mal connu et difficile à modéliser.

Sans avoir pour but l’étude de leur impact sur le pouvoir chauffant de nanoparticules, les interactions dipolaires font l’objet de nombreux articles depuis près de trente ans, notamment écrits par Dormann, Mørup et Tronc. En effet, dans un article de 1988 [217], Dormann et

al. proposent un mécanisme qui suit la théorie des verres de spins et décrit les interactions dipolaires entre nanoparticules, prédisant une augmentation de la barrière énergétique d’ani-sotropie magnétique des objets avec l’accroissement de la concentration en nanoparticules et entraînant alors sur un allongement du temps de relaxation de Néel. Tronc et Mørup pro-posent ensuite en 1994 un mécanisme débouchant sur les conclusions opposées [218], résultat qui sera ensuite remis en question par Tronc et Dormann [219, 220], mais défendu par Mørup [221], qui, finalement, dans un article de 2010, essaie de concilier les deux théories [222]. Cette dispute scientifique illustre le fait que la modélisation des interactions dipolaires demeure dé-licate et qu’il est nécessaire de fournir les résultats expérimentaux les plus clairs possibles pour bien les étayer.

Les études dédiées à la modélisation de l’influence des interactions dipolaires sur la SLP sont également multiples. On peut citer, entre autres, les travaux conséquents de Carrey et al. [223, 224], ceux de Nowak et Haase [225] ou encore de Landi [226, 227]. Ces différentes études présentent par des modélisations différentes des conclusions généralement cohérentes les unes avec les autres, résumées par Landi dans son article de 2014 [227]. En effet, ces travaux montrent tous que le temps de relaxation de Néel augmente avec la concentration en nano-particules. Dès lors, si les nanoparticules présentent une faible anisotropie (caractéristique des matériaux doux et des petites nanoparticules, telles que ωτ  1), cette augmentation du temps de relaxation aura pour effet de rapprocher le système des conditions de résonance (ωτ = 1) dans la gamme de fréquences d’excitation utilisées en hyperthermie, augmentant alors la SLP des particules. En revanche, si ces nanoparticules sont constituées d’un matériau dur (forte anisotropie magnétique, telles que ωτ  1), les interactions dipolaires, en aug-mentant davantage l’énergie de barrière du matériau, auront pour conséquence d’éloigner le système des conditions de résonance en fréquence, abaissant ainsi sa SLP.

Cependant, on peut relever comme limite de ces modèles le fait qu’ils proposent rarement un mécanisme d’interaction simple et facilement quantifiable, car ils s’appuient généralement sur des simulations numériques ou des approches de champ moyen. Ces modèles regroupent ainsi les interactions dipolaires discrètes en un terme qui décrit leur effet global, ce qui

empêche l’établissement d’un mécanisme microscopique schématique permettant d’expliquer les effets observés.

Une petite proportion des articles publiés sur l’étude de la SLP s’attache à étudier l’effet des interactions dipolaires, la plupart du temps par variation de la concentration en particules dans les échantillons considérés. Certains d’entre eux ont été résumés par Deatsch et Evans dans leur revue [161] sous la forme d’un tableau dont certaines colonnes sont reprises et complétées dans le tableau IV.1, qui se veut aussi exhaustif que possible.

Divers résultats sont ainsi disponibles, traitant de systèmes assez variés. Certains auteurs mettent en évidence des tendances claires d’augmentation, de diminution ou d’absence d’effet de la concentration sur la SLP, mais d’autres résultats semblent plus compliqués à analyser. Citons par exemple les travaux de Piñeiro-Redondo et al. déjà évoqués plus haut et qui observent, lorsque leur concentration augmente, une diminution du pouvoir chauffant de nanoparticules recouvertes de PAA alors que ces mêmes nanoparticules, lorsqu’elles sont nues, voient leur SLP augmenter dans les mêmes conditions.

Quelques études particulières présentent des systèmes déjà confinés, soit par agrégation (généralement peu contrôlée) [228, 229, 203], soit par une matrice ad hoc comme des nano-sphères de polystyrène [230] ou des liposomes [231]. Leurs conclusions sont convergentes dans le cas de grosses nanoparticules (la SLP augmente) [229, 203] mais pas dans le cas de plus petites nanoparticules [231, 230].

Si l’on considère l’évolution du pouvoir chauffant de nanoparticules de magnétite de dia-mètre moyen 10 nm, comparable aux particules C1 ou C2, on constate que toutes les évolu-tions possibles de la SLP ont été observées sur la gamme de fracévolu-tions massiques 0,1-1,0 %m (à des fréquences différentes, cependant) [232, 230, 202, 233, 185]. On peut noter que la sta-bilité colloïdale des nanoparticules n’est que trop rarement caractérisée dans ces études. Ce paramètre clef permettrait peut-être de mieux interpréter les différents résultats observés.

Notons par ailleurs que la plupart des modélisations publiées s’attachent uniquement à décrire l’évolution de la SLP de dispersions de nanoparticules de concentration croissante. Seuls quelques articles comme celui de Lévy et al. [241], s’intéressent au pouvoir chauffant de nanoparticules confinées, mettant en exergue le rôle de la concentration locale en nanoparti-cules. Dans leur article, les auteurs se placent explicitement dans un cadre où l’influence du champ démagnétisant peut être négligée, ce qui n’est pas le cas dans la plupart des expériences présentées ici.

IV.5.1.2 Champ démagnétisant

À notre connaissance, l’influence du champ démagnétisant n’est traitée en tant que telle dans aucun article s’intéressant à la SLP de nanoparticules en interaction. Un champ dé-magnétisant, Hdmg, apparaît lorsqu’un échantillon de taille finie est plongé dans un champ magnétique. Il correspond à une excitation magnétique qui s’oppose à l’intérieur de l’échan-tillon au champ et qui peut être modélisée comme créée par l’apparition de "pôles

magné-NP Diamètre Fraction massique Fréquence (kHz) Évolution de la SLP Référence Fe3O4 7-9 nm 0,1 - 1,0 %m 104 augmentation Salas, 2014 [208]

Fe3O4 8 nm 0,4 - 0,9 %m 63 aucun effet Shah, 2015 [204]

Fe3O4 10 nm 0,01 - 0,12 %m 765 aucun effet Bakoglidis, 2012[232]

Fe3O4 10 nm 0,3 - 1,0 %m 13 560 diminution Sadat, 2014 [230]

Fe3O4 10 nm 0,1 - 2,0 %m 308 diminution(NP PAA) Piñeiro-Redondo,2011 [205] Fe3O4 10 nm 0,1 - 2,0 %m 308 augmentation(NP nues) Piñeiro-Redondo,2011 [205]

Fe3O4 10 nm 0,1 - 32 %m 63 aucun effet Wang, 2005 [202]

γ−Fe2O3 10,5 nm 0,5 - 3,0 %m 140 aucun effet Eggeman, 2007 [233]

Fe3O4 11 nm 3,7 - 37 %m 500 diminution Ota, 2015 [185]

Fe3O4 12 nm 0,2 - 0,8 %m 63 diminution Urtizberea, 2010[234] γ−Fe2O3 13 nm 0,5-2,0 %m 110 diminution de la Presa, 2012[228]

Fe3O4 15 nm 0,4 - 0,9 %m 600 aucun effet Murase, 2011 [235]

Fe3O4 15-17 nm 0,3 - 1,5 %m 184 diminution Linh, 2009 [236]

Fe3O4 18 nm 0,01 - 0,12 %m 765 diminution Bakoglidis, 2012[232] Fe3O4 19 nm 0,5 - 4,5 %m 500 diminution Branquinho, 2013[237] γ−Fe2O3 7 - 9 nm confinées 765 augmentation Béalle, 2012 [231]

Fe3O4 10 nm confinées 13 560 diminution Sadat, 2014 [230]

γ−Fe2O3 13 nm agrégées 110 diminution de la Presa, 2012[228]

Fe3O4 44 nm agrégées 150 augmentation Dennis, 2008 [229]

Fe3O4 44 nm agrégées 205-765 augmentation Serantes, 2014 [203] Fe3O4

(cubes) 20 - 40nm 0,05 - 0,2 %m 765 diminution Martinez-Boubeta,2013 [175] Fe3O4

(cube) 30 nm 0,3-1,0 %m 249 augmentation Vergés, 2008 [238]

Fe@MgO (cœur-coquille) 37 - 65 nm 0,5 - 4,0 %m 765 dépend deH0 Martinez-Boubeta, 2012 [239] MnFe2O4 12 nm 0,5 - 4,5 %m 500 diminution Branquinho, 2013[237]

MZF 12 nm 0,2 - 1,0 %m 265 diminution Khot, 2015 [240]

NZF 14 nm 0,2 - 1,0 %m 265 diminution Khot, 2015 [240]

CZF 8 nm 0,2 - 1,0 %m 265 diminution Khot, 2015 [240]

Table IV.1: Principales études traitant de l’effet des interactions dipolaires sur la SLP. MZF : Mn0,4Zn0,6Fe2O4, NZF : Ni0,4Zn0,6Fe2O4, CZF : Co0,4Zn0,6Fe2O4.

tiques" à la surface du matériau. Il est proportionnel via un coefficient N, dit coefficient de

champ démagnétisant, à l’aimantation M du matériau. Ce coefficient dépend de la forme de

l’échantillon.

Afin d’évaluer l’influence du champ démagnétisant sur l’excitation magnétique perçue par des nanoparticules agrégées, les agrégats ont été modélisés par des sphères (de coefficient de champ démagnétisant égal à 0,33 [186]) de concentration variable en nanoparticules. On no-tera que la taille de ces agrégats n’a pas d’influence sur le coefficient de champ démagnétisant. En notant Hef f l’excitation magnétique ressentie par les nanoparticules et H0 l’excitation imposée, on peut alors écrire :

Hef f = H0− Hdmg = H0− N M = H0− N χHef f

On peut alors déterminer le lien entre l’aimantation et l’excitation magnétique imposée :

M = χ

1 + NχH0

Il vient alors :

Hef f = H0 1

1 + Nχ (IV.5.1)

En utilisant l’évolution de χ avec la concentration proposée par Gazeau et al. [242], on peut alors représenter Hef f

H0 en fonction de la concentration en nanoparticules (figure IV.18). Cette grandeur représente l’excitation magnétique réellement perçue par les nanoparticules au sein de l’agrégat. On observe qu’elle chute quasi-linéairement pour devenir égale à seule-ment la moitié du champ appliqué H0 pour une fraction volumique dans l’agrégat de l’ordre de 35 %vol. Cette baisse significative de l’excitation magnétique effective est d’autant plus importante pour le pouvoir chauffant des particules qu’on a vu plus haut que la SLP présente généralement une dépendance quadratique en l’excitation magnétique. Une baisse de 50 % de celle-ci correspond ainsi à une baisse de 75 % de la SLP.

Ce modèle simple permet donc de montrer qu’un terme de champ démagnétisant pourrait causer une diminution significative du pouvoir chauffant de nanoparticules agrégées.