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2 Les aérosols stratosphériques

2.3 Interactions des aérosols avec la physico-chimie de l’atmosphère

2.3.1 Implication des aérosols sur le climat

Les particules, à l’instar des gaz à effet de serre, influencent le climat. Cependant, leur rôle est ambivalent. Dans certaines situations les particules agissent en renforçant l’effet de serre et dans d’autres situations elles agissent en diminuant la quantité d’énergie entrant dans l’atmosphère. Les particules possèdent 3 types d’effets sur le rayonnement : l’effet direct, l’effet indirect et l’effet semi direct.

L’effet direct est lié à l’interaction entre des particules et le rayonnement solaire et/ou tellurique (rayonnement terrestre). La quantité d’énergie lumineuse réfléchie par un aérosol par rapport à la quantité

d’énergie lumineuse incidente est définie comme étant l’albédo. Les aérosols atmosphériques ont la capacité de moduler la quantité de rayonnement solaire atteignant la surface planétaire, mais également l’énergie tellurique émise par la planète. Les aérosols diminuent le forçage radiatif en agissant comme des parasols renvoyant l’énergie solaire vers l’espace et limitant ainsi la quantité d’énergie atteignant le sol ce qui tend à diminuer la température globale au sol. Parallèlement, les aérosols augmentent le forçage radiatif en envoyant l’énergie tellurique vers le sol et tendent à augmenter la température globale au sol. Les aérosols possèdent donc un rôle ambivalent sur le climat suivant leur composition et leur distribution verticale dans l’atmosphère.

Les aérosols impactent également le climat de façon indirecte par leur rôle sur la formation des nuages. Deux effets sont distingués, l’effet Twomey et l’effet Albrecht (Kaufman, 2006; Penner et al., 2006; Ramanathan, 2001). Ces deux effets sont la conséquence de l’augmentation du nombre de noyaux de nucléation. Typiquement, plus il y a de particules de petites tailles, plus le nuage a une forte capacité à interagir avec le rayonnement par l’augmentation de son albédo (effet Twomey) et par l’allongement de son temps de vie (effet Albrecht).

Il existe encore de nombreuses incertitudes sur l’implication des aérosols sur le climat. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat publie en 2013 (GIEC 2013) le forçage radiatif pour les principaux gaz à effet de serre et aérosols (Figure 2.21). Les modèles climatiques intègrent de plus en plus la contribution des aérosols à mesure que notre connaissance de leur effet grandit. Le GIEC publie le degré de confiance associé à chaque composé. Le degré de confiance sur le CO2 est noté TE (très élevé). Le degré de confiance associé au forçage radiatif des aérosols hors influence sur les nuages est estimé comme élevé. Celui lié aux interactions avec les nuages est cependant estimé encore faible. Les aérosols considérés par le GIEC sont globalement troposphériques (poussière minérale, sulfate, nitrate, carbone organique,

Figure 2.21 : Estimations du forçage radiatif en 2011 par rapport à 1950 exprimé en W.m-2 pour les différents contributeurs gazeux et particulaires. Le degré de confiance associé à chaque résultat est

carbone suie). La distribution spatiale et temporelle des aérosols autres que le sulfate pur dans la basse stratosphère est relativement méconnue pour le moment et n’est pas intégrée dans les rapports de ce groupe. Leurs effets sur le forçage radiatif est attendu comme élevé individuellement (indice de réfraction possédant une particule imaginaire traduisant le caractère absorbant) mais leur concentration étant faible, il est supposé que leur implication sur le climat soit limité bien que cela ne soit pas pour le moment démontré. Concernant la stratosphère, seuls les aérosols sulfatés sont pris en compte dans les rapports du GIEC (GIEC, 2013). Les nuages sont des contributeurs importants au forçage radiatif, cependant leur répartition est complexe et les différents types de nuage selon leur altitude possèdent des effets différemment sur le climat.

Les dernières éruptions majeures, El Chichon et le Pinatubo respectivement en 1982 et 1991 ont largement perturbé la quantité d’énergie solaire transmise au sol (Figure 2.22) et influençant le forçage radiatif (Solomon et al., 2011). Ces éruptions ont réduit la température globale au sol de plus de 0,4 °C au plus fort des évènements et produit un retard dans le réchauffement global de 0,07°C (Solomon et al., 2011). Cependant, si les éruptions majeures ont un impact sur le climat, les éruptions plus modérées mais plus fréquentes peuvent également l’influencer comme le montre la Figure 2.22 à partir des années 2005. Dans cette période, la courbe représentant les observations satellites (courbe bleue) n’est plus confondue avec le scénario « aucune éruption stratosphérique majeure » (courbe verte claire). Solomon et al. (2011) expliquent que l’influence d’éruptions plus modérées aurait contribué à réduire le réchauffement global de 0,07°C. L’effet des particules sur le forçage radiatif lié à la pollution anthropique à cette tendance n’est pas démontré. Notre connaissance des effets radiatifs des aérosols pris indépendamment est relativement robuste, cependant il est également nécessaire de prendre en compte la répartition des concentrations de ces composés dans le temps et l’espace. En stratosphère, les gouttelettes d’acide sulfurique peuvent comporter des inclusions (Bigg, 2012). La formation de ces particules constituées de deux phases, comportant un cœur solide et une enveloppe sont encore mal connue. Bigg (2012) propose que la concentration de particules météoritiques contrôle la concentration de particules soufrées en basse stratosphère en tant que noyau de nucléation. Cette hypothèse comporte des implications climatiques importantes, car le forçage radiatif est actuellement calculé en ne tenant compte que d’indice de réfraction purement diffusant et non absorbant. Nous notons que le GIEC considère en 2013 l’implication des principaux gaz à effet de serre en stratosphère (O3, CO2, H2O, CH4), ainsi que l’épaisseur optique des aérosols volcaniques lors des éruptions importantes. Cependant, une partie importante des aérosols stratosphériques hors éruption volcanique ne sont pas encore pris en compte dans les modèles climatiques. Réduire les niveaux d’incertitudes sur l’implication des aérosols stratosphériques sur le climat est possible en augmentant notre connaissance de ces aérosols et de leur variabilité (GIEC, 2013).

Figure 2.22 : Modélisation de la puissance lumineuse surfacique de 1980 à 2020 pour différents scénarii considérant aucun aérosol stratosphérique (courbe verte turquoise), seulement les aérosols stratosphériques hors influence des éruptions majeures (courbe verte claire) et tous les aérosols stratosphériques (courbe noire). La courbe bleue représente

la puissance surfacique transmise au sol déduite de mesure satellite et les courbes violettes en trait discontinu différents scénarios d’évolution (adapté d’après Solomon et al. 2011)

2.3.2 Implication des aérosols sur la chimie stratosphérique

Dans la stratosphère, les réactions chimiques hétérogènes sur les aérosols sulfatés sont au cœur des processus répartissant les composés chimiques azotés et halogénés qui gouvernent le bilan de l’ozone. Deux réactions principales entrent en jeu dans ces mécanismes :

D’abord, l’hydrolyse du pentoxyde d’azote N2O5, réservoir d’oxydes d’azote (NOx = NO + NO2), permet de transformer de manière indirecte des NOx en un réservoir plus stable, l’acide nitrique HNO3.

N2O5+ H2O (aqueux) → 2 HNO3 (R1)

R1 tend donc à diminuer les quantités de NOx et à réduire l’efficacité de destruction d’ozone par les cycles catalytiques impliquant ces composés, particulièrement efficaces dans la stratosphère moyenne (au-dessus du niveau d’altitude ~30 hPa). R1 étant plutôt insensible à la température, elle joue un rôle à l’échelle globale. Sa prise en compte a permis d’améliorer fortement les comparaisons entre modèles et mesures ((Solomon, 1999) ; et références incluses).

Deux autres réactions hétérogènes sont d’une importance capitale dans les processus de destruction de l’ozone stratosphérique. Il s’agit d’abord de l’hydrolyse de l’un des deux réservoirs de composés chlorés dans la stratosphère, à savoir ClONO2 (l’autre étant HCl). Elle se décrit ainsi :

ClONO2 + H2O (aqueux) → HNO3 + HOCl (R2) Il y a aussi la réaction :

ClONO2 + HCl (aqueux) → HNO3 + Cl2 (R3)

Elles produisent des quantités supplémentaires d’acide nitrique sur les aérosols sulfatés. Cependant R2 et R3 sont hautement dépendantes de la température et ne sont efficaces qu’en dessous de ~215 K, conditions que l’on rencontre dans la stratosphère polaire. Elles conduisent alors à la diminution de NOx et à la formation de composés chlorés actifs (tel ClO) sur la destruction d’ozone quand les quantités de HOCl et Cl2 accumulées sont photo-dissociées après la nuit polaire. Au-dessus de ce seuil de température, R1 domine très largement R2 et R3 au niveau de la répartition des composés azotés. On note aussi que des travaux montrent que l’hydrolyse du réservoir de brome BrONO2 (formant HNO3 et HOBr) joue un rôle significatif dans la basse stratosphère.

L’augmentation drastique du contenu en aérosols sulfatés après les éruptions volcaniques a des conséquences différentes selon l’altitude. Au-dessus de ~30 hPa où la perte d’ozone est largement dominée par les NOx, la présence d’aérosols volcaniques diminue les NOx et a donc tendance à augmenter l’ozone. Par contre, dans la basse stratosphère se produit l’effet inverse. Les cycles catalytiques de destruction d’ozone impliquant les espèces actives halogénées (chlorées ClOx et bromées BrOx) et hydrogénées (HOx) y dominent. Leur abondance qui dépend des quantités de NOx en présence augmente, tout particulièrement pour les ClOx dont la conversion en réservoir ClONO2 (via la réaction en présence d’air : ClO + NO2 → ClONO2) se trouve fortement ralentie du fait de la diminution des NOx par la réaction R1.

R1 est limitée en terme d’impact direct sur l’ozone car elle finit par saturer à partir d’une certaine quantité d’aérosols en présence (ou plus précisément de surface de réaction disponible qui est directement liée au nombre de particules et à leur taille). Au final, mis à part les processus liés à la formation des nuages stratosphériques polaires en hiver, seules les réactions R2 et R3 peuvent conduire à des pertes d’ozone importantes par les aérosols volcaniques quand les températures sont basses ((Solomon, 1999) ; et références incluses), d’où la nécessité de bien connaître les propriétés physiques des aérosols volcaniques au cours du temps et en fonction de la latitude (concentration, distributions en taille).

Les interactions entre les particules et les gaz sont complexes et très nombreuses (Figure 2.23). L’enveloppe d’une particule liquide est le siège de différents processus d’adsorption, absorption/désorption, solvatation/désolvatation, tandis que le milieu interne en solution dans lequel les molécules transitent est également réactif. Ces réactions chimiques aux interfaces gaz/liquide sont difficiles à appréhender en milieu naturel, les différentes réactions et devenir des espèces chimiques issues de ces réactions hétérogènes sont des thèmes de recherche en soi. Cette vision concernant les particules liquides peut être étendue aux particules solides et aux particules contenant des enveloppes liquides autour d’un cœur solide ou bien aux particules hydratées partiellement. Les particules solides possèdent des formes plus complexe et un rapport surface sur volume plus important de par leur géométrie permettant une plus grande porosité, augmentant de fait leur potentiel de réaction (Seinfeld et Pandis, 2006). La diversité des particules ainsi que leur évolution physique complexifient encore la science des réactions chimiques hétérogènes et l’évolution des propriétés optiques des particules.