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Interaction ostéoblastes – staphylocoques

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II. Interactions hôte-pathogène au cours des infections ostéo-articulaires staphylococciques

4. Interaction ostéoblastes – staphylocoques

L’invasion et la persistance intra-cellulaire de S. aureus a été décrite chez de nombreux type de cellules hôtes qualifiées de « phagocytes non professionnels » telles que les cellules épithéliales, endothéliales, ou encore les kératinocytes [162–164]. La capacité d’invasion des ostéoblastes a été démontrée par plusieurs modèles ex vivo utilisant des cellules osseuses de différentes espèces comme la souris, la poule et l’homme [165–168]. Une photographie en microscopie électronique de S. aureus intra-cellulaire est présentée en Figure 12, obtenue dans notre laboratoire en utilisant notre modèle ex vivo d’infection d’ostéoblastes humains.

Figure 12. Photographie en microscopie électronique de S. aureus intra-cellulaires (flèches) après infection d'ostéoblastes humains de lignée MG63. Photographie Dr. Céline Dupieux.

En dehors de ces constatations in vitro, Bosse et al. ont objectivé la présence de bactéries à l’intérieur d’ostéoblastes et d’ostéocytes chez un patient souffrant d’une ostéite fibulaire chronique et récurrente (Figure 13) [169]. Bien que non formellement identifiés, la morphologie de ces cocci Gram positif était très évocatrice de S. aureus.

Figure 13. Visualisation en microscopie électronique à transmission de cocci intra-cellulaires au sein d’ostéocytes (A et B, x15,000) et d’ostéoblastes (C, x5,000), ou libres dans la matrice osseuse (D, grossissement x15,000, chez un patient présentant une ostéite fibulaire chronique, d’après [169].

Dans ce contexte, l’hypothèse selon laquelle le caractère intra-cellulaire facultatif de S. aureus fournirait à la bactérie une niche de protection, à l’abri de l’action du système immunitaire de l’hôte et de la plupart des antibiotiques, a progressivement été acceptée par une majorité d’auteurs. Elle est de plus considérée comme un phénomène explicatif plausible du caractère chronique, récurrent et indolent de certaines infections osseuses d’une part, et d’autre part du taux élevé d’échec de l’antibiothérapie [170,171].

Dans une étude récente, Kalinka et al. ont étudié 41 souches de SASM (n=27) et de SARM (n=14, dont 7 appartenant au même clone de spa type t149) responsables d’ostéites aiguës (évoluant depuis moins de 2 mois ; n=11) ou chroniques (évoluant depuis plus de 1 an ; n=10), de bactériémies (n=10) et de portage nasal (n=10) dans un modèle ex vivo d’infection d’ostéoblastes humains primaires [172]. Si l’ensemble de ces souches adhéraient à la matrice osseuse de manière équivalente, celles issues d’IOA présentaient une capacité d’internalisation par les ostéoblastes augmentée. De plus, les souches d’ostéomyélite chronique étaient moins cytotoxiques que les autres, et notamment que celles responsables d’IOA aiguës. Toutefois, aucune différence n’a pu être mise en évidence entre les souches d’IOA aiguës et chroniques en termes d’internalisation et de persistance intra-ostéoblastique.

Les étapes impliquées lors de l’interaction entre staphylocoques et ostéoblastes sont détaillés ci-après.

● Adhésion de S. aureus à la cellule hôte

L’internalisation de S. aureus par différents types cellulaires, dont les ostéoblastes, nécessite l’expression à la surface bactérienne de FnBP, adhésines appartenant aux MSCRAMMs [162,173,174], interagissant avec la fibronectine et l’intégrine α5β1 de l’hôte [174–176]. S. aureus fixe la fibronectine via les FnBP exprimées à sa surface. La fibronectine joue alors un rôle de pont entre les FnBP et l’intégrine α5β1, cette dernière agissant comme un déclencheur de la phagocytose [165,174]. Cependant, bien que la présence de FnBP soit nécessaire à une internalisation efficace, cette molécule ne rend pas compte à elle seule de l’importante variabilité des taux d’internalisation observés selon les souches de S. aureus [173]. Des mécanismes d’invasion indépendants de la fibronectine semblent en effet exister, puisqu’un mutant ∆fnbA/B de S. aureus est toujours capable d’envahir des kératinocytes, et cette invasion n’est pas abolie par l’inactivation de la liaison entre la fibronectine et

l’intégrine α5β1 [163]. Toutefois, Kalinka et al. retrouvent un taux plus important de souches positives pour le gène fnbB parmi les souches issues d’ostéites aiguës (81.8%) et chroniques (100%) que pour les souches de portage ou de bactériémies (40%) [172].

● Internalisation de S. aureus dans la cellule hôte

La liaison entre fibronectine et intégrine α5β1 est impliquée dans l’adhésion entre cellules eucaryotes. Ce pontage engendre une force de traction centripète du cytosquelette exercée sous la surface cellulaire par le cortex d’actine, nécessaire à la cohésion et à l’adhésion inter- cellulaire [177]. Cependant, lorsque la fibronectine n’est pas présentée de façon diffuse à la surface d’une cellule eucaryote, mais de façon très concentrée à la surface d’une bactérie, ces forces de traction centripètes sont également concentrées sur une surface réduite. En conséquence, après l’étape d’adhésion bactérienne à la surface cellulaire, apparaissent des protrusions membranaires venant recouvrir la surface bactérienne, ainsi qu’une invagination attirant la bactérie vers le cytoplasme cellulaire. La poursuite de ce phénomène aboutit à la séquestration de la bactérie dans une vacuole de membrane plasmique, désignée sous le terme de phagosome par analogie avec le phénomène de phagocytose observé chez les phagocytes professionnels, comme montré sur la Figure 14 [178].

Figure 14. Visualisation par microscopie électronique à balayage de l'invasion cellulaire (vert) par S. aureus (rouge) passant par la formation de protrusions membranaires (têtes de flèche), aboutissant à l'internalisation bactérienne (flèche), d'après [178].

L’internalisation de S. aureus médiée par l’intégrine α5β1 est donc associée à un remodelage du cytosquelette d’actine [179]. La protéine integrin-linked kinase (ILK) joue un rôle de premier intermédiaire entre l’α5β1 et le cytosquelette. L’ILK interagit avec le domaine cytoplasmique des intégrines β et est activée par la liaison de l’α5β1 à la fibronectine. Cette protéine ILK est nécessaire à l’internalisation de S. aureus par les cellules épithéliales [180]. Son activation déclenche le recrutement de la focal adhesion kinase (FAK), ainsi que d’autres protéines d’adhésion focale dont la tensine, la zyxine et la vinculine [181]. FAK est ensuite activée par phosphorylation. Son action, combinée à celle des tyrosine-kinases de la famille Src, semble essentielle car des cellules inactivées pour FAK internalisent S. aureus de façon peu efficace. La suite du phénomène d’invasion fait intervenir la phosphorylation de substrats de FAK dont la cortactine, dont le blocage réduit également le niveau d’internalisation. Les voies de signalisation de l’intégrine α5β1, qui font intervenir l’ILK, FAK et la cortactine, jouent donc un rôle important dans l’invasion des cellules eucaryotes par S. aureus, tout au moins chez certains types cellulaires, et sont présentées par la Figure 15 [179,180].

Figure 15. Mécanismes impliqué par le pontage S. aureus – fibronectine – intégrine α5β1, d’après [182]. S. aureus se fixe à la fibronectine par ses protéines de surface FnBP. La fibronectine est ensuite reconnue par l’intégrine α5β1 de la cellule hôte. La liaison de multiples molécules de fibronectine induit le regroupement des intégrines et le recrutement local, via ILK, de protéines de structure dont la tensine, la vinculine et la zyxine, ainsi que des enzymes de signalisation FAK et les tyrosine-kinases de la famille Src. L’activité combinée de FAK et Src aboutit à la phosphorylation de différents effecteurs d’aval dont la cortactine. L’impact de cette dernière sur l’invasion bactérienne est très probablement lié à l’induction de réarrangements du cytosquelette d’actine.

● Induction de la mort cellulaire par S. aureus internalisé

La survenue de la mort chez les cellules infectées par S. aureus est dépendante du type de cellule hôte, de la souche infectante et de l’inoculum bactérien utilisé. Il en va de même pour la voie de mort, apoptotique ou nécrotique, et pour les mécanismes moléculaires et surtout les facteurs de virulence de S. aureus impliqués dans la mort cellulaire.

Le contact direct entre S. aureus et les ostéoblastes déclenche l’expression chez ces derniers du tumour necrosis factor apoptosis inducing ligand (TRAIL) [183]. TRAIL fait partie des cytokines de la famille du TNF et se lie à deux récepteurs à domaine de mort, les TRAIL- receptors de type 1 et 2. L’activation de ces récepteurs déclenche le recrutement de la protéine adaptatrice Fas-associated protein with death domain (FADD) qui active à son tour les caspases 8 et 10. Cette activation déclenche l’engagement de la cellule sur la voie apoptotique [184]. Le facteur TRAIL sécrété par des ostéoblastes infectés par S. aureus déclenche aussi l’apoptose des ostéoblastes non infectés par la voie de la caspase 8 [183]. Ces observations suggèrent que l’apoptose des ostéoblastes infectés, ainsi que celle des cellules avoisinantes non infectées, participent à la perte osseuse au cours des ostéomyélites [185]. L’induction de la mort cellulaire par S. aureus semble dépendante de l’expression du régulateur staphylococcique majeur accessory gene regulator (agr), qui module schématiquement la balance d’expression entre les exotoxines bactériennes et les protéines de surface. En effet, les mutants ∆agr de S. aureus sont incapables de déclencher la mort des cellules infectées [186]. A l’inverse, des mutants inactivés pour le gène staphylococcal accessory regulator A (sarA), un autre régulateur de virulence de S. aureus, sont toujours capables de déclencher l’apoptose [186].

Enfin, chez les monocytes et polynucléaires neutrophiles humains, l’α-toxine et la LPV peuvent déclencher à elles seules la mort cellulaire [187,188].

● Survie de S. aureus en intra-cellulaire : résistance à l’oxydation, détournement de l’autophagie et échappement phagosomal

Une fois internalisé au sein du phagosome, S. aureus a développé plusieurs mécanismes visant à assurer sa survie dans la cellule-hôte, résumés sur la Figure 16.

Figure 16. Mécanismes de survie intra-cellulaire de S. aureus (source personelle).

Lors de la fusion phagosome-lysosome, les premiers changements environnementaux auxquels S. aureus est confronté sont la diminution du pH et l’augmentation du potentiel oxydant apportée par les radicaux libres issus d’H2O2. Un des régulateurs de S. aureus impliqués dans les voies de réponse au stress, rsbU, a pour rôle de stimuler la production d’un anti-oxydant, la staphyloxanthine, facilitant la survie bactérienne en neutralisant l’H2O2 [189].

Le second mécanisme bactérien de survie intra-cellulaire est l’échappement du phagosome, initialement associé à l’expression d’α-toxine, toxine induisant des pores (pore-forming toxin, PFT) codée par le gène hla sous le contrôle des régulateurs agr, sarA et le locus S. aureus exoprotein expression (saeRS) [186]. Des travaux plus récents ont montré que d’autres toxines pourraient être impliquées, dont la β-toxine, exotoxine à activité sphingomyélinase

codée par hlb, et la δ-toxine, petit peptide dont le gène hld est porté par un des effecteurs du régulateur agr, l’ARNIII [190,191].

Enfin, l’autophagie constitue un mécanisme cellulaire de défense contre la survie intra- cellulaire de S. aureus. Ce processus, servant physiologiquement à réguler la biomasse cellulaire, peut également jouer un rôle de défense contre les pathogènes intra-cellulaires, prenant dans ce contexte le nom de xénophagie [192]. Schématiquement, ce phénomène correspond au recrutement d’une vésicule issue du réticulum endoplasmique (pré-auto- phagosome) circonscrivant la bactérie ou le phagosome contenant la bactérie pour former un auto-phagosome, siège de la destruction bactérienne avant fusion avec un lysosome. Une particularité de l’interaction auto-phagosome-S. aureus est l’incapacité du processus d’autophagie à tuer la bactérie. S. aureus n’est pas lysé par l’auto-phagosome et peut même se multiplier à l’intérieur de façon plus efficace qu’en l’absence d’autophagie, à condition de posséder un système agr fonctionnel [192,193].

● Interaction de S. epidermidis avec les cellules non phagocytaires

L’interaction de S. epidermidis avec les cellules-hôtes non phagocytaires a été beaucoup moins étudiée que pour S. aureus.

Chez l’animal, l’internalisation de S. epidermidis dans les cellules épithéliales a été impliquée dans la physiopathologie des mastites bovines [194,195].

Chez l’homme, l’internalisation de S. epidermidis dans des cellules endothéliales a également été étudiée, permettant de mettre en avant un mécanisme d’interaction basé sur une autre famille d’adhésine, les autolysines, et notamment l’autolysine Atl, qui ciblerait la protéine de choc thermique Hsc70 [196]. En effet, S. epidermidis n’étant pas porteur de FnBP, son adhésion et internalisation par des cellules non phagocytaires passent par des mécanismes différents de S. aureus, peu connus. D’autres études n’ont pu mettre en évidence d’internalisation de S. epidermidis, comme par exemple dans les cellules épithéliales cornéennes [197].

L’interaction de S. epidermidis avec les cellules osseuses n’a été évaluée que dans une seule étude utilisant un modèle cellulaire d’infection d’ostéoblastes humains de lignée MG63 [198].

Dans ce modèle, Khalil et al. ont ainsi étudié 6 souches de S. epidermidis, dont 2 souches de référence et 4 souches cliniques responsables d’une infection de voie veineuse centrale, d’une bactériémie, d’une péritonite, et d’une seule ostéite. Seule la souche isolée de la péritonite était significativement internalisée par les ostéoblastes. De plus, pour obtenir la même quantité de bactéries intra-cellulaires qu’avec une souche de référence de S. aureus, un inoculum 6 fois plus important devait être utilisé.

Enfin, alors qu’il empêchait l’internalisation de S. aureus, le blocage des FnBP ou de l’intégrine α5β1 par des anticorps monoclonaux n’avait aucun effet sur l’invasion des ostéoblastes par S. epidermidis, suggérant un mécanisme d’interaction différent.

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