Chapitre V Le cycle biogéochimique du bore sur le site de Montiers
2 Résultats
3.2 Flux de bore
3.2.1 Interaction atmosphère canopée
Les flux de bore issus des pluviolessivats échantillonnés en 2012 varient entre 6.7 µg.m-2.j-1
en hiver et 61.0 µg.m-2.j-1 en automne en station 1 tandis qu’ils évoluent de 9.1 µg.m-2.j-1 en hiver à
31.6 µg.m-2.j-1 en automne en station 3. Ces valeurs sont globalement supérieures aux apports via
l’atmosphère (4.8±2.0 µg.m-2.j-1, 1σ). Un constat similaire est effectué vis-à-vis des compositions
isotopiques puisque ces dernières sont globalement supérieures à leur composante atmosphérique.
Concernant les ruissellements de tronc, ces derniers représentent environ 10% des apports via les
pluviolessivats avec des valeurs allant de 0.9 à 7.8 µg.m-2.j-1 en S1 et de 1.0 à 3.1 µg.m-2.j-1 en S3. On
observe une forte variabilité saisonnière au sein de ces deux compartiments, caractérisée par un fort
enrichissement en B, ainsi qu’en 11B, en période de sénescence. L’interface entre la canopée et
l’atmosphère est le siège de plusieurs mécanismes. Ces derniers consistent principalement en la
dissolution des apports atmosphériques solides captés par la couche supérieure de la canopée ainsi
que les phénomènes d’absorption/récrétion qui ont lieu au niveau des stomates des feuilles. Dans ce
contexte, l’augmentation des flux observée en période de sénescence combinée à une composition
isotopique proche, voire supérieure à celles de la végétation tend à mettre en évidence des
phénomènes de récrétion de bore dans les pluviolessivats plutôt que d’autres interactions avec la
canopée. De la même manière, les ruissellements de tronc reflèteraient, à l’inverse de ce qui est
proposé dans de précédentes études (Guéguen et al., 2012; Guéguen et al., 2011), des interactions
avec la végétation plutôt que des sources atmosphériques en lessivant l’écorce des arbres sur le site
de Montiers.
Cet effet saisonnier est également observé sur d’autres éléments majeurs tels que le silicium
ou le potassium avec lesquels le bore affiche de bonnes corrélations dans les pluviolessivats de S1
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ruissellements de tronc des deux stations (B-SiS1 = 0.96 ; B-SiS3 = 0.98, fig V-12c). Cette relation se
retrouve également entre Si et δ11B dans les pluviolessivats avec des coefficients de corrélation
supérieurs en station 3 (δ11B-SiS1 = 0.86, δ11B-SiS3 = 0.56, fig V-12a). Ainsi, Si étant mesuré durant
l’intégralité de l’année 2012, son utilisation comme indicateur de la teneur en bore nous permet de
modéliser les concentrations et compositions isotopiques en bore durant l’intégralité de l’année
2012 en estimant au plus juste les valeurs manquantes du cycle du bore. Ce modèle génère une
erreur moyenne respective de 2.1 et 1.9 ppb en S1 et S3 pour les concentrations dans les
pluviolessivats, de 3.1 et 2.2 ppb dans les ruissellements de tronc et de 4.2 et 2.2 ‰ pour les
compositions isotopiques des pluviolessivats. Les mécanismes qui contrôlent ces corrélations sont
inconnus à ce jour mais nécessiteraient d’être étudiés.
D’après ce modèle, en 2012, nous obtenons des flux issus des pluviolessivats variant en S1 de
plus d’un ordre de grandeur avec des valeurs allant de 6.7 µg.m-2.j-1 en février 2012 à 83.3 µg.m-2.j-1
en novembre 2012 (fig V-13). Cette variabilité se retrouve dans une moindre mesure en S1 puisque
les flux évoluent de 8.6 µg m-2.j-1 en avril 2012 à 39.8 µg m-2.j-1 en novembre 2012 (fig V-13). On
observe ainsi un flux de bore relativement similaire entre les deux stations jusqu’à la période de
sénescence qui se caractérise par des flux beaucoup plus importants en station S1. Ceci traduirait
donc un mécanisme de récrétion plus fort dans S1 que dans S3. Nous observons une évolution
similaire pour les compositions isotopiques avec les valeurs les plus basses observées durant les mois
d’hiver (δ11BfevrierS1 = 12.3 ‰, δ11BjanvierS3 = 20.0‰, fig V-13) et les valeurs les plus élevées durant le
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Figure V-12 : Corrélations entre Si, B et 11
B utilisées pour modéliser les concentrations en bore des
pluviolessivats(b) et ruissellement de tronc (c) ainsi que les compositions isotopiques en bore des
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Figure V-13 : Evolution des flux et compositions isotopiques en bore issus des pluviolessivats en
station S1 et station S3 ainsi que les apports atmosphériques dissous (Aw) durant l’année 2012. Les
résultats non mesurés ont été estimés à partir des corrélations observées dans la figure V-12.
Il est intéressant de noter que durant la période de sénescence des feuilles, les compositions
isotopiques des ruissellements de tronc et pluviolessivats, toutes stations confondues, affichent des
valeurs nettement supérieures à celle des feuilles mesurées au mois d’août de la même année
d’environ 10‰. Cette observation implique deux hypothèses : la première (1) est que le bore soluble
a une composition isotopique plus élevée que la fraction utilisée dans la stabilisation des parois
cellulaires, plus difficilement mobilisable. La seconde hypothèse (2) est que la récrétion est un
processus actif qui fractionne les isotopes du bore en privilégiant l’isotope lourd. Pour contraindre
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période de sénescence. Ainsi, l’augmentation nette des flux de bore sous canopée est accompagnée
d’une évolution plus graduelle des compositions isotopiques. Ceci est partiellement du à
l’augmentation des compositions isotopiques des apports atmosphériques durant la période estivale.
Néanmoins, ceci pourrait également être relié à une masse résiduelle de bore dans les feuilles encore
sur l’arbre. Néanmoins, une telle évolution nécessite la présence d’un fractionnement isotopique lors
de la récrétion de bore depuis les feuilles, privilégiant ainsi l’hypothèse (2).
A l’échelle annuelle, les flux de bore sous couvert (pluviolessivats et ruissellement de tronc)
intégrés sur toute l’année atteignent en S1 une valeur de 103±17 g.ha-1.an-1 avec une composition
isotopique de 24.2±3.1 ‰ (±2SD, n=13) mais n’atteignent en S3 qu’une valeur de 71±8 g.ha-1.an-1
avec une composition isotopique légèrement supérieure de 28.7±1.9 ‰ (±2SD, n=13) (table 6). Afin
de déterminer le bilan net d’échange de bore avec la canopée, il est nécessaire de corriger ces flux de
leur composante atmosphérique, déterminée à 17 g.ha-1.an-1 (δ11B = 22.1‰). Ceci peut être réalisé
grâce aux équations suivantes :
Avec Φcanopy exchange, ΦTF, ΦSF et Φatm, respectivement les flux du bilan net de bore avec la canopée, des
pluviolessivats, des ruissellements de tronc et des apports atmosphériques dissous. Les termes
δ11
Bcanopy exchange, δ11
BTF, δ11
BSF et δ11
Batm correspondent respectivement aux compositions isotopiques
du bilan net de bore avec la canopée, des pluviolessivats, des ruissellements de tronc et des apports
atmosphériques dissous. Ainsi, les flux de bore issus de la récrétion des feuilles durant l’année 2012
sont de 54±8 g.ha-1.an-1 en S3 et de 87±17 g.ha-1.an-1 en S1. La différence de flux observée entre les
deux stations est simplement due à un taux de récrétion plus important en S1 qu’en S3 durant la
période de sénescence. Les compositions isotopiques annuelles affichent des valeurs allant de
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3.2.2 Chute de litière
Parmi tous les flux mesurés durant 2012, ceux issus de la chute de feuilles montrent la plus
forte variation puisqu’ils augmentent de plus de deux ordres de grandeur. En S1, les flux passent 0.2
µg.m-2.j-1 en hiver à 30.2 µg.m-2.j-1 (fig V-14a) en automne en station 1 tandis qu’en S3, les flux
évoluent de 0.2 µg.m-2.j-1 à 52.6 µg.m-2.j-1 (fig V-14b). Ces variations sont également visibles dans le
bois de litière puisque ces derniers varient d’un facteur de 3 à 9. Cela se traduit par des flux dans les
litières de bois évoluant de 0.2 à 1.8 µg.m-2.j-1 en S1 et de 0.4 à 3.7 µg.m-2.j-1 en S3. A l’échelle
annuelle, le flux de bois de litière varie entre 0.5% et 0.7% du stock total de bore au sein de la
végétation. Dans les autres types de litière, les flux varient respectivement d’un facteur 18 à 53 en S1
et S3 avec des flux allant de 0.2 à 3.4 µg.m-2.j-1 (S1) et de 0.1 à 4.2 µg.m-2.j-1.
Figure V-14 : Evolution temporelle des flux de bore issus des litières de type feuille (LL), bois (LW) et
autres (LO) échantillonnées sur l’année 2012 sur les stations 1 (a) et 3 (b).
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L’évolution des flux de bore issus des litières reflète la croissance végétale avec un maximum
de flux atteint au printemps pour les litières « autres » qui traduit la chute des écailles de bourgeons
et en automne pour les feuilles qui traduit la période de sénescence. Au final, à l’échelle annuelle,
nous calculons des flux de bore plus importants en S3 de près de 60% avec 72 g.ha-1.an-1 contre 45
g.ha-1.an-1 en S1. Concernant le bois de litière, nous observons que selon la station considérée, le flux
varie entre 0.5% et 0.7% du stock total de bore au sein de la végétation. En moyenne, les
compositions isotopiques associées à cette chute de litière affichent également une nette différence
avec les valeurs les plus basses observées en S1 (7.3‰) par rapport en S3 (17.3‰). Il s’agit du
compartiment où nous observons la plus large différence de composition isotopique entre les deux
stations.
Les flux sous canopée traduisent deux tendances différentes selon la station considérée.
Ainsi, 2/3 des flux de bore en S1 retourne au sol principalement sous forme liquide tandis qu’en S3,
2/3 des flux de bore retourne au sol sous forme solide. Ces différences se traduisent également sur
les compositions isotopiques puisque nous observons une différence de compositions isotopiques
entre les flux de litière et de récrétion plus importante en S1 (17.5‰) qu’en S3 (13.5‰). Cette
différence semble être issue d’un flux de récrétion plus important en S1. Ce dernier privilégiant
l’évacuation de l’isotope le plus lourd, résulterait en un flux de litière appauvrie en 11B. Ainsi, les
hêtres de la station S1 affichent une fraction de bore labile beaucoup plus importante qu’en station
S3. Les raisons de cette différence sont encore à découvrir à ce jour.
L’intégralité des flux de bore sous canopée (hors sol) ainsi que leur composition isotopique sont
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Figure V-15 : Récapitulatif des stocks et flux de bore issus de l'interaction atmosphère-canopée ainsi que les chutes de litières durant l'année 2012 en S1 (ligne pleine) et S3
(ligne pointillée)
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Dans le document
Cycle biogéochimique du bore dans un écosystème forestier : étude de la hêtraie du site de Montiers
(Page 181-189)