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A. Le Trouble Obsessionnel Compulsif

I. Description sémiologique

3. Intérêt d'une approche dimensionnelle

a. Du DSM au RDoC

Nous avons vu que le TOC est loin d'être un trouble homogène, suggérant ainsi

l'inadaptation de la nosographie psychiatrique actuelle, reposant sur des catégories cliniques mutuellement exclusives. En effet, depuis les travaux d'Emil Kraepelin (Kraepelin, 1899) qui ont posé les bases il y a de cela plus d'un siècle de la nosographie moderne, la psychiatrie s'est fondée sur une approche catégorielle des troubles mentaux. Ce faisant, elle les considère comme des entités uniques et distinctes les unes des autres. Cependant, cette approche a finalement montré ses limites lorsqu'il s'est agi d'explorer l'étiologie de ces troubles (Hyman, 2010). En effet, les catégories diagnostiques référencées dans le DSM, ouvrage de référence dans la classification des troubles mentaux, sont loin de former des entités homogènes et les recherches menées au cours des trente dernières années sur les bases génétiques et neurobiologiques de ces entités cliniques ont en effet la plus grande difficulté à identifier des altérations qui leur sont spécifiques (Anderzhanova et al., 2017). Au contraire, ils tendent à montrer que si des altérations sont retrouvées, elles transcendent les barrières nosographiques inhérentes à l'approche catégorielle des troubles, comme c'est le cas pour la schizophrénie et le trouble bipolaire par exemple, qui ont des bases génétiques communes (Le-Niculescu et al., 2007). Ainsi, cette approche catégorielle des troubles mentaux entrave la recherche sur la physiopathologie mais aussi, par conséquent, le développement de nouveaux traitements (Cuthbert & Insel, 2013).

C'est dans ce contexte qu'une nouvelle approche des troubles mentaux est apparue : l'approche dimensionnelle. Cette dernière reconnaît le chevauchement des symptômes de nombreux troubles mentaux et suggère qu'ils sont le produit de mécanismes communs. Ce concept de dimensions est appuyé par le programme Research Domain Criteria (RDoC) du

National Institute of Mental Health américain, selon laquelle la maladie mentale sera mieux

comprise comme le résultat d'altérations de la structure et des fonctions cérébrales normales impliquant des domaines spécifiques de la cognition, des émotions et du comportement (Cuthbert, 2014). Plus concrètement, l’architecture conceptuelle du programme RDoC repose sur une matrice (Sanislow et al., 2019) qui croise 7 niveaux d’analyse5 avec 6 domaines fonctionnels6, eux-mêmes décomposés en un petit nombre de construits théoriques non directement observables à un instant donné mais dont on suppose une validité expérimentalement testable (MacCorquodale & Meehl, 1948). Chaque case de la matrice (croisement construit/niveau d’analyse) fait ensuite l’objet d'études documentant les systèmes

5 Gènes, molécules, cellules, circuits, physiologie, comportements, descriptions subjectives.

6 Systèmes des valences négatives, systèmes des valences positives, systèmes cognitifs, systèmes des processus

biologiques impliqués et leur spectre de fonctionnement (Figure 5). De fait, on ne part plus de troubles fondés sur des symptômes pour en chercher la physiopathologie, comme avec le DSM, mais on considère les symptômes comme secondaires à des dysfonctionnements de mécanismes sous-tendant différentes fonctions ; permettant ainsi l'identification de biomarqueurs à même d'améliorer la compréhension des troubles psychiatriques et d'orienter vers de nouvelles voies thérapeutiques.

Le projet Bipolar Schizophrenia Network on Intermediate Phenotypes (Clementz et al., 2016) est un parfait exemple de cette démarche (Figure 6). Dans le cadre de ce projet, des patients de plusieurs catégories diagnostiques ont été regroupés au sein d'un unique groupe représentant le spectre de la psychose, sans référence aux diagnostics traditionnels tels la schizophrénie ou le trouble bipolaire. Les chercheurs ont ensuite étudié un éventail de variables à différents niveaux d'analyse et ont utilisé des analyses en composantes principales pour identifier des ensembles d'individus indépendants des catégories diagnostics. Ces phénotypes intermédiaires, qu'ils nomment "biotypes", peuvent ainsi avoir une plus grande validité biologique et une meilleure prévisibilité clinique que les catégories diagnostiques limitées aux symptômes observables.

b. La notion de phénotype intermédiaire

En 1967, dans le but d'étudier le substrat biologique des troubles psychiatriques, Gottesman et Shield ont introduit en psychiatrie le terme "endophénotype", du grec "endos", signifiant "intérieur" (Gottesman & Shields, 1967). La définition originale d'un endophénotype exigeait de répondre à plusieurs critères, notamment avoir une héritabilité suffisante, montrer une expression accrue chez les apparentés non affectés par le trouble d'intérêt, s'agréger avec un trouble au sein d'une même famille, être stable dans le temps7 et avoir de bonnes propriétés

psychométriques (Gottesman & Gould, 2003).

Cependant, le caractère strict de la définition d'un endophénotype est un frein à son application concrète dans la recherche sur la physiopathologie des troubles psychiatriques (Meyer-Lindenberg & Weinberger, 2006). C'est ainsi que des débats plus récents ont suggéré l'utilisation du terme alternatif de "phénotype intermédiaire" (Donaldson & Hen, 2015). Un

7 C'est-à-dire se manifester que le trouble soit actif ou en rémission.

phénotype intermédiaire lié à un trouble mental se situe sur un chemin allant de la prédisposition génétique à la psychopathologie. Ce chemin va de phénomènes relativement simples au niveau cellulaire, à la complexité des comportements et syndromes psychiatriques, en passant par la complexité intermédiaire des circuits cérébraux (Rasetti & Weinberger, 2011). Les phénotypes intermédiaires ne sont pas limités par les critères stricts utilisés pour définir les endophénotypes (Figure 7) et n'ont donc pas besoin, par exemple, d'être indépendants de l'état clinique ou de démontrer une association plus forte avec le trouble en question qu'avec d'autres affections psychiatriques (Leuchter et al., 2014). Ils existent à la fois chez l'humain et chez les modèles animaux, multipliant ainsi les perspectives d'avancées majeures dans la compréhension des troubles psychiatriques et leur traitement.