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Partie 3. Projet de recherche

I. Comment les pratiques culturales peuvent permettre de restaurer une protection

3. Intégrer les connaissances pour la gestion des résistances aux fongicides

Revenons maintenant à la question centrale qui nous intéresse, c’est-à-dire de savoir, notamment dans le contexte des mosaïques agricoles du Cameroun, quelles pratiques peut-on mobiliser pour définir des stratégies permettant de ramener la fréquences des souches résistances aux fongicides à des niveaux compatibles avec la lutte raisonnée. Une représentation de ces pratiques est proposée dans la figure 20 à partir des connaissances disponibles.

Parmi les pratiques qui vont influencer l’accroissement des souches résistantes au sein des populations pathogène, il y a bien évidemment les traitements fongicides qui vont accroître la fréquence des individus résistants. Cet effet de la sélection est quantifiable pour les fongicides ayant un effet majeur comme c’est le cas pour les strobilurines. Ainsi, l’évolution de la résistance à ce fongicide pourrait maintenant servir de modèle pour évaluer des scénarios de stratégies de gestion de la résistance.

Figure 20. Représentation des pratiques qui ont une influence potentielle sur l’évolution des résistances aux

fongicides dans le contexte des mosaïques agricoles de parcelles traitées et non traitées du Cameroun

La deuxième pratique qui va infléchir sur cette dynamique est l’arrêt de l’emploi de fongicides systémiques. Cet arrêt a souvent entrainé le basculement vers une stratégie de traitement systématique dans laquelle on a recours à l’emploi hebdomadaire de fongicides de contact. La problématique est donc de savoir comment sortir de ces stratégies mais également de comprendre comment leur mise en œuvre peut contribuer à diminuer les niveaux de résistance aux fongicides systémiques. Ces stratégies, lorsqu’elles sont bien menées, se traduisent par une diminution significative de la taille des populations du champignon. L’estimation d’une contre sélection des souches résistantes en absence du fongicide systémique pourra éventuellement être intégrée dans ces scénario, mais on peut également retenir comme hypothèse que cette contre-sélection n’opère pas afin de maximiser les effets des autres pratiques.

Lesconnaissances acquises sur la dispersion des deux types de propagules (publication S3) nous permettent de mieux entrevoir le fonctionnement des mosaïques agricoles avec des compartiments traités et des compartiments non traités. L’arrêt de l’emploi de certains fongicides systémiques (benzimidazoles, strobilurines) s’est traduit par la mise en œuvre de pratiques culturales qui limitent fortement la production d’ascospores. Ces pratiques reposent sur l’emploi de fongicides de contact et l’ablation constante des stades nécrotiques qui fait partie intégrante de cette stratégie. Dans ces parcelles commerciales traitées la maladie se développe principalement sous la forme de sa phase conidienne. Au sein des plantations non traitées environnantes, les phases conidiennes et ascosporées du parasite sont toutes les deux présentes. Les études menées dans le cadre de la thèse d’A. Rieux ont

montré que la fréquence des individus résistants y était faible, voire nulle à partir d’une certaine distance. Nous avons également montré que les effectifs de population entre ces deux compartiments sont très déséquilibrés (publication P32). Par ailleurs les conidies dispersent à de faibles distances (une dizaine de mètres), contrairement aux ascospores qui dispersent à une distance probablement supérieure à 1 km avec une dispersion moyenne de l’ordre de 200 m. Ainsi, cette situation est favorable à des flux démographiques unidirectionnels allant du compartiment non traité vers le compartiment traité. L’agencement spatial de ces deux compartiments est donc un levier important de gestion de l’évolution des résistances aux fongicides au travers de la migration (Tyutyunov et al., 2008 ; Debarre et al., 2009). Dans le contexte du Cameroun, ce processus pourrait être le moteur principal à l’œuvre dans la dilution observée de la résistance à certains fongicides. Ce serait particulièrement le cas des benzimidazoles pour lesquels la présomption d’une perte de fitness est faible.

Dans le cas de cette maladie, et dans le contexte de ces mosaïques agricoles, il est également possible de trouver d’importantes sources d’inoculum sensible sous la forme de larges plages nécrotiques porteuses de périthèces. Il est donc envisageable d’introduire artificiellement des individus sensibles dans une zone traitée afin d’accélérer les flux migratoires. Je propose de mettre en œuvre cette pratique comme levier permettant d’accélérer la décroissance de la fréquence des résistants au sein des compartiments traités. Ce levier d’action n’a à mon sens jamais été envisagé à ce jour comme pratique culturale permettant de réduire la fréquence des individus résistants dans une parcelle commerciale. Nous avons vu plus haut l’importance des flux migratoires du compartiment non traité vers le compartiment traité. En quoi ces flux migratoires pourraient au contraire réalimenter en individus résistants le compartiment traité, dans le cas où des individus résistants seraient présents à une fréquence non nulle dans ce compartiment ? En effet, lors des traitements aériens, des dérives de traitement peuvent se produire sur une échelle d’au moins 50 mètres (Bonicelli et al., 2014). Dans ces conditions, il est possible que ces dérives favorisent l’émergence d’individus résistants dans cette zone de dérive qui est au contact du compartiment traité. Cet aspect reste mal connu et doit être mieux évalué à la fois en terme d’importance et également en terme de risque.

Enfin, nous avons vu plus haut que la présence d’allèles privés dans le compartiment traité suggérait des apports extérieurs très probablement en provenance des pépinières où sont endurcis les vitro-plants de bananiers (Publication P32). Les pépinières sont souvent localisées au sein des plantations industrielles pour des commodités de gestion. Ainsi, les individus présents sur les plants en sortie de pépinière reflètent très probablement la diversité génétique environnante. Si des souches résistantes sont présentes dans cet environnement, alors le matériel végétal de plantation pourrait réalimenter le compartiment traité en souches résistantes et créer également de l’hétérogénéité spatiale au sein de ce compartiment.

Je propose d’étudier des scénarios de mise en œuvre de ces différentes pratiques de gestion des résistances aux strobilurines à l’échelle d’un petit bassin de production en combinant des approches expérimentales et de modélisation spatiale. Les approches de modélisation spatiale, développées en partenariat avec des modélisateurs de mon unité de recherche (P.

Tixier, D . Carval), pourraient permettre d’optimiser certains processus de régulation et de tester des scénario de combinaison des pratiques évoquées plus haut en prenant en compte la dimension spatiale des parcelles et des pratiques. Il convient également d’évaluer plus précisément les risques liés à la présence d’individus résistants dans le compartiment non traité et également la présence d’individus résistants sur le matériel végétal de plantation. Ce travail à vocation appliquée pourrait être réalisé dans le cadre d’une thèse Cifre à partir de contextes de production situés au Cameroun ou en Côte d’Ivoire. Des financements européens destinés à renforcer la compétitivité des filières d’exportation de bananes dans les pays ACP (fonds MAB) pourraient également être mobilisés pour supporter ces travaux.

II. Quels concepts peut-on mobiliser pour une protection intégrée non chimique contre les