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Intégration régionale et bien être : l’apport de la géographie

CHAPITRE I : THEORIES DU COMMERCE INTERNATIONAL

III. LA DIMENSION COMMERCIALE DE L’INTEGRATION DES MARCHES

III.3. Intégration régionale et bien être : l’apport de la géographie

Aujourd’hui on considère que l’économie mondiale est constituée de zones économiques intégrées ou en voie d’intégration. Les modèles de blocs analysent les relations commerciales inter et intra-régionales afin d’évaluer leur impact sur le bien-être mondial lorsque la taille et, par voie de conséquence, le nombre de zones économiques se modifie.

Lorsque la configuration internationale de l’économie évolue vers plus ou moins de blocs économiques, des créations et des détournements d’échanges apparaissent. La formation de blocs économiques pose deux questions22 :

- est-ce que la formation de blocs conduit à des créations nettes ou à des détournements nets d’échanges ?

- est-ce qu’il existe une rationalité économique présidant à la formation de ces blocs ? De fait, on trouve déjà ce double questionnement au coeur de la théorie des unions douanières. Les modèles de blocs cependant insistent plus particulièrement sur deux aspects de la configuration internationale des échanges :

- l’existence de plusieurs blocs économiques. Il ne s’agit plus d’analyser l’impact de la formation d’un bloc unique mais plutôt d’appréhender les effets de plusieurs zones intégrées sur le bien-être, au niveau régional mais aussi au niveau mondial;

- et la prise en compte de l’hétérogénéité spatiale. C’est par le biais essentiellement des coûts de transport intra et inter-blocs, que cette hétérogénéité spatiale est considérée. Ce nouveau critère permet d’approcher d’un peu plus près la réalité économique et d’expliquer a priori certains cas d’intégration économique tels que les blocs « naturels ».

Le modèle de bloc développé par KRUGMAN P. [1991c] et [1991d] peut-être considéré comme l’un des travaux pionnier. Ses extensions multiples, ont permis d’enrichir les résultats analytiques et de se tenir plus près de la réalité contemporaine.

Notre objectif sera de mettre en évidence une double évolution dans la théorie économique récente :

22 Sandra PALMERO (2000), « Intégration et régionalisation, une approche par les modèles de blocs », CEFI-UMRCNRS, n° 6126, Les Milles, P 04.

- d’une part entre la théorie des unions douanières et les modèles de blocs. La prise en compte d’effets dynamiques tels que l’hétérogénéité spatiale permet déjà de comprendre a priori certaines formes d’intégration, par exemple les blocs naturels constitués exclusivement de pays géographiquement proches ;

- et d’autre part celle qu’on observe au sein même de la théorie des modèles de blocs. La prise en compte d’une libéralisation imparfaite des échanges intra-blocs peut apparaître comme tout à fait efficace.

L’ensemble des modèles de blocs permet ainsi de montrer :

1. que la prise en compte de l’hétérogénéité spatiale par le biais des coûts de transport intra et inter-blocs remet en cause l’efficacité du libre-échange généralisé ;

2. que la prise en compte de barrières tarifaires ou non tarifaires à l’intérieur de la zone intégrée ou en voie d’intégration n’altère pas forcément le niveau du bien-être régional et mondial et permet de justifier l’existence de certains types de régions qui ne pratiquent pas le libre-échange à l’intérieur comme à l’extérieur, et qui pourtant ont une dynamique économique forte et durable;

3. et enfin, que la maximisation du bien-être mondial n’est pas forcément une priorité. Les politiques économiques exercées au sein de chaque bloc visent une amélioration du bien-être régional sans pour autant diminuer le bien-être des pays non-membres.

Le corps du modèle de KRUGMAN P. [1991c] est fondé sur quatre hypothèses principales23 :

1- Le monde est constitué de petites entités économiques, au nombre de N, dont chacune est spécialisée dans la production d’un bien spécifique ;

2- Tous les produits sont en concurrence sur le marché mondial et admettent ainsi une élasticité de substitution constante, σ ;

3- L’économie mondiale est divisée en B blocs de même taille (avec N > B), au sein de chacun desquels se pratique le libre-échange et dont le tarif douanier ad valorem est noté t.

Chaque bloc est symétrique et contient ainsi N/B provinces ;

4- La hausse de tarifs à l’importation s’explique par une volonté de chacun des blocs de maximiser leur bien-être.

Un élargissement des blocs régionaux s’envisage comme une augmentation du nombre de provinces y participant, autrement dit comme une diminution de B. Cette baisse du nombre de petits blocs mène nécessairement à une combinaison de créations et de détournements d’échanges :

- créations d’échanges puisqu’un plus grand nombre de provinces constituent un bloc économique et peuvent par-là même commercer librement ;

- et détournements d’échanges pour deux raisons : premièrement, pour un tarif donné, l’élargissement d’un bloc économique va détourner une partie des échanges qu’entretenaient les nouvelles provinces membres avec des provinces extérieures au bloc au profit de la région ; et deuxièmement, eu égard la quatrième hypothèse, plus les blocs économiques auront une grande taille, et ainsi plus de pouvoir de marché, et plus ils auront tendance à élever leurs tarifs à l’importation comparativement aux plus petites régions, ce qui réduira d’autant plus les échanges interzones et augmentera le commerce intra-zone.

Dans ce monde simplifié, les possibilités de voir le libre-échange régner entre les divers blocs régionaux se réduisent à la question de savoir, dans quelle(s) mesure(s) le bien-être dépend du nombre de blocs, B ?24

L’économie divisée en un petit nombre de blocs, de part les créations d’échanges et les détournements d’échanges qu’elle engendre, a un effet ambigu sur le bien-être. Le niveau de bien-être le plus élevé est obtenu dans deux cas extrêmes :

- soit lorsqu’il existe un bloc économique unique, correspondant au cas d’un libre-échange généralisé, ce qui maximise le bien-être collectif ;

- soit lorsqu’il y en a un très grand nombre de blocs économiques. Dans ce cadre, chaque bloc limite son pouvoir de marché et a tendance à pratiquer des tarifs relativement faibles. Les importations seront d’autant plus importantes entre les blocs que les tarifs douaniers seront faibles. En fait, l’ambiguïté quant à l’impact sur le bien-être d’une multitude de petits blocs économiques vient du niveau même du tarif à l’importation pratiqué par chacun d’eux. Plus il sera élevé, et plus cela entamera le commerce interrégional au profit d’un commerce intra régional, créant ainsi des détournements d’échanges importants.

A l’inverse, plus le tarif sera faible, et plus le libre-échange entre les blocs économiques se développera, augmentant par-là même le bien-être collectif par créations d’échanges.

Le cas intermédiaire aux deux premiers, autrement dit lorsqu’il existe un nombre de blocs limité est celui qui pose certainement le plus de problèmes, puisque dans ce cadre, le potentiel d’échanges inter-blocs est très fort mais est largement freiné par des tarifs à l’importation

relativement élevés.(cf. graphique n°5)

Graphique n°5 : Nombre de blocs et Bien-être

Source : Sandre PALMERO (2000), Op Cit, P 07.

Cela signifie simplement que la formation de blocs ne résulte pas de changements des politiques tarifaires. C’est en fait le nombre de blocs B qui détermine le niveau des tarifs. Si le tarif augmente quand B diminue, le modèle est vérifié. Pour le remettre en cause, il faut trouver une raison pour laquelle toute réduction de B peut entraîner une baisse et non une hausse du tarif vis-à-vis de l’extérieur. Les hypothèses même du modèle sont particulièrement restrictives, surtout la quatrième et dernière hypothèse relative aux politiques d’échanges.

Quoi que fasse un pays ou une région quant à sa politique d’échanges, elle ne sera pas nécessairement, voire même jamais, compatible avec une politique optimale : le niveau choisi du tarif douanier sera certainement différent de celui qui maximise le bien-être. La politique régionale d’échanges n’est pas déterminée uniquement dans le but de maximiser le bien-être et la politique interrégionale d’échanges est souvent plus coopérative que le modèle le laisse paraître.