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Une institutionnalisation par le biais des organismes de l’Union européenne

PARTIE I. L’ARCHITECTURE INSTITUTIONNELLE DE LA COOPÉRATION

Section 1. Une institutionnalisation par le biais des organismes de l’Union européenne

348. L’adoption des troisièmes paquets télécom et énergie marque une rupture avec les approches à tendance décentralisée du passé, en procédant à l’« institutionnalisation » de la coopération entre les autorités de régulation dans les deux secteurs, à savoir en créant des

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organismes de l’Union européenne. Le terme « institutionnalisation », défini comme l’« action d’institutionnaliser », à savoir de « donner à quelqu’un le caractère d’une institution », de « le transformer en une institution778 », est repris par notre étude pour démontrer ce mouvement en droit de l’Union européenne même si on reste conscients des limites de la terminologie: en effet, l’ACRE et l’ORECE ne figurent pas dans la liste « prestigieuse » des institutions de l’Union européenne énumérées de façon limitative dans l’article 13 par. 1 TUE. Ils constituent des organismes de l’Union européenne.

349. Quoique reflétant une vision plus centraliste et européenne qu’auparavant, cette institutionnalisation n’est pas pleinement achevée; une divergence dans les choix retenus dans les deux secteurs peut être constatée donnant lieu à ce qui pourrait être décrit comme une institutionnalisation « à deux sens ». C’est cette réalité qui nous a conduit au choix méthodologique assumé de respecter l’intégrité de l’évolution de chaque secteur dans le cadre de notre analyse.

350. Ainsi, en mettant l’accent sur le secteur de l’énergie, on constate qu’une agence de l’Union européenne puissante a effectivement été créée779

, son architecture institutionnelle permettant de la qualifier d’agence « en réseau » (§ 1). Au contraire, en matière de communications électroniques, la base de l’organisme de l’Union européenne créé est un réseau d’autorités de régulation nationales à des compétences plutôt faibles, son architecture institutionnelle poussant plutôt vers la qualification d’un réseau « agenciarisé » (§ 2). Le choix méthodologique également assumé d’examiner ces deux organismes concernés sur la base des mêmes critères –leur rôle et leur indépendance- nous permettra de mettre pleinement en lumière ce contraste dans l’institutionnalisation de la coopération dans les deux secteurs.

778

V. « Institutionnalisation » [En ligne], in: Dictionnaire français Larousse, disponible sur:

http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/institutionnalisation/43446?q=institutionnalisation#43368,

(dernière consultation: le 05/10/2014).

779 Dans un premier temps, l’ACRE est caractérisée comme « puissante », d’une part, étant donné son « pouvoir d’attraction » des tâches supplémentaires au fil du temps et, d’autre part, grâce à son pouvoir d’adopter des décisions juridiquement contraignantes qui n’est pas habituel pour l’ensemble des agences de l’Union européenne. Certes, ses pouvoirs restent en deçà des pouvoirs qui ont été attribués à d’autres agences dites « de troisième génération », comme les autorités de surveillance du secteur financier. Dans un deuxième temps, nous avons choisi de ne pas qualifier l’ACRE sur la base de classifications des agences de l’Union européenne déjà proposées par la doctrine. Le sujet de notre thèse portant sur « la coopération » entre les autorités de régulation, nous avons retenu celle-ci comme critère ultime de notre qualification d’« agence en réseau ».

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§ 1. Une agence « en réseau » puissante en matière d’énergie

351. En matière d'énergie, la coopération à l’échelle de l’Union européenne a lieu au sein de l’Agence de Coopération des Régulateurs de l’Énergie780

, située à Ljubljana en Slovénie781. Il s’agit, selon l’article 2 par. 1 du règlement 713/2009, d’un « organisme (de l’Union européenne) doté de la personnalité juridique », auquel est reconnu « la capacité juridique la plus étendue aux personnes morales » en droit national, ainsi que la capacité d’« acquérir et aliéner des biens mobiliers et immobiliers et ester en justice782

». Afin de mettre pleinement en lumière les caractéristiques de cet organisme devenu un acteur crédible et respecté du secteur énergétique, il convient de se pencher successivement sur son rôle (A) et les garanties d’indépendance mises en place pour encadrer son action (B).

A. Un rôle multiple et renforcé

780

Sur le troisième paquet énergie, v. Tran Thiet J.-P., Jude S., « Energie - “Paquet” gaz et électricité: Le Parlement européen et le Conseil adoptent le troisième « paquet » de directives régulant les marchés du gaz et de l'électricité », Concurrences, N° 4, 2009, Art. N° 29345, pp. 189 -190, Rodrigues S., Griffin J., « Energie: Le Parlement européen et le Conseil adoptent le 3ème paquet “Energie”, consolidant et renforçant le régime des obligations de service public et de protection du consommateur », Concurrences N° 4, 2009, Art. N° 29317, pp. 193-196, Riffault-Silk J., « La régulation économique dans le secteur de l’énergie » [En ligne], Concurrences, N° 2, 2010, N° 31374, 16 p., disponible sur : http://www.concurrences.com/Journal/Issues/No-2-2010/Articles-

1064/La-regulation-economique-dans-le, (dernière consultation: le 05/10/2014), Boscheck R., « The EU's Third

Internal Energy Market Legislative Package: Victory of Politics over E conomic Rationality? », World Competition, Vol. 32, N° 4, 2009, pp. 593-608, Manoussakis S., « Liberalization of the EU Electricity Market: Enough to Power Real Progress? », World Competition, Vol. 32, N° 2, 2009, p. 227-247, Gundel J., « Germelmann Cl.-F., « Kein Schlusstein für die Liberalisierung der Energiemärkte: Das Dritte Binnenmarktpaket », EuZW, Vol. 20, N° 21, 2009, pp. 763-770. Sur l’ACRE elle-même, v. Swanson Cl.-Al., « The Agency for the Cooperation of Energy Regulators. A Regulatory Perspective », in: Roggenkamp M-.M., Hammer Ul. (éds.), European Energy Law Report VI, Coll. Energy and Law, Vol. 8, Cambridge, Intersentia, 2009, 294 p., pp. 37-50, Ranci P., « Greatness and Smallness of a European Energy Regulator » [En ligne], EU Energy Policy Blog, 02 octobre 2007, disponible sur: http://www.energypolicyblog.com/2007/10/02/greatness-

and-smallness-of-a-european-energy-regulator/, (dernière consultation: le 24/06/2014), Ermacora Fl., « The

Agency for the Cooperation of Energy Regulators (ACER) », in: Jones C. (éd.), The Internal Energy Market, The Third Liberalisation Package, 3e édition, Coll. EU Energy Law, Vol. 1, Leuven, Claeys&Casteels, 2010, 1176 p., p. 257 s., Horstmann N., « Agency for the Cooperation of Energy Regulators. Its Particularities and its Role in Enhancing the Cooperation of National Energy Regulators », in: Roggenkamp M.-M., Hammer Ul. (eds.), European Energy Law Report VIII, Coll. Energy and Law, Vol. 12, Cambridge, Intersentia, 2011, 224 p., pp. 43-59.

781

Sur le choix éminemment politique du siège des agences de l’Union européenne , v. s.n., Analytical Fiche N° 3, « Siège des agences et rôle du pays d'accueil » [En ligne], 4 p., disponible uniquement en anglais sur:

http://europa.eu/agencies/documents/fiche_3_sent_to_ep_cons_2010 -12-15_en.pdf, (dernière consultation: le

20/06/2014). La Commission européenne a récemment publié des lignes directrices pour les accords relatifs au siège, v. Commission européenne, Lignes directrices contenant des dispositions standard pour les accords de siège des agences décentralisées de l'UE, 10 décembre 2013, 13 p., disponible uniquement en anglais sur:

http://europa.eu/agencies/documents/2013-12-10_guidelines_hq_agreements_en.pdf, (dernière consultation: le

29/09/2014). 782

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352. Visant à « aider les autorités de régulation (…) à exercer, au niveau (de l’Union européenne), les tâches réglementaires effectuées dans les États membres et, si nécessaire, coordonner leur action783 », l’ACRE assure un rôle multiple et renforcé par rapport à son prédécesseur. En témoignent les tâches étendues dont elle a été dotée (1). Comme « la forme suit la fonction784 », aux tâches étendues de l’ACRE correspond une organisation interne pleinement développée (2).

1. Des tâches étendues

353. Dotée de tâches étendues, le « noyau dur » de l’activité de l’ACRE porte sur la libéralisation du secteur énergétique qu’il convient d’examiner en détail (a). En même temps, l’ACRE s’avère être un pôle d’attraction de nouvelles compétences découlant du développement des autres « piliers » de la politique européenne de l’énergie (b).

a. L’ACRE dans la libéralisation du marché intérieur

354. Ayant constitué un point de tensions lors des négociations pour l’adoption du troisième paquet énergie785, l’ACRE s’est finalement vue confier des tâches générales, des tâches spécifiques concernant la coopération des GRT, les autorités de régulation, les modalités et conditions d’accès et de sécurité d’exploitation applicables aux infrastructures transfrontalières, et des tâches portant sur la surveillance et l’élaboration des rapports sur les secteurs de l’électricité et du gaz naturel786

. L’exercice de ses pouvoirs implique l’adoption d’actes d’une normativité différente qui servira de critère pour notre présentation. Outre le fait que ce choix permet un certain dynamisme dans une analyse qui pourrait facilement déraper en une simple énumération desdites tâches selon leur consécration par le règlement 713/2009, il préparera la voie pour examiner, par la suite, les modalités de leur contrôle juridictionnel787.

783

V. article 1 par. 2 du règlement 713/2009. 784

V. supra note de bas de page 66.

785 Le GREEG avait à l’époque déploré l’absence de pouvoirs significatifs due aux conditions restrictives posées par la jurisprudence Meroni, v. ERGEG, Fact Sheet, « 3rd Energy Package and Creating an Effective EU Agency (ACER) in the Consumer’s Interest » [En ligne], FS-08-01, février 2008, disponible uniquement en

anglais sur:

http://www.ceer.eu/portal/page/portal/EER_HOME/EER_PUBLICATIONS/FACTSHEETS/Tab3/FS-08-

01_CEER-ERGEG_EnergyAgency_2008-02-20.pdf, (dernière consultation: le 23/06/2014).

786

V. article 5-11 du règlement 713/2009. 787

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355. Ainsi, on insistera, tout d’abord, sur les pouvoirs décisionnels de l’ACRE sur des questions techniques et des dérogations donnant lieu à de véritables décisions ayant une valeur juridique contraignante (i). Ensuite, l’accent sera mis sur des pouvoirs que l’on peut qualifier de « quasi-règlementaires », découlant du rôle d’expert de l’ACRE dans le cadre de la procédure pluri-niveaux de l’élaboration de codes de réseau (ii), sur ses pouvoirs consultatifs (iii), résultant en l’adoption du « droit mou », et, finalement, sur ses tâches de surveillance (iv).

i. Des pouvoirs décisionnels

356. Pour ce qui relève des pouvoirs décisionnels de l’ACRE, la prise de décisions individuelles et contraignantes pour les tiers constitue une avancée majeure du troisième paquet énergie. Jusqu’à présent aucune décision individuelle n’a été adoptée par l’ACRE sous les dispositions du règlement 713/2009788.

357. Tout d’abord, conformément à l’article 7 par. 1 du règlement 713/2009, l’ACRE arrête des décisions individuelles sur des questions techniques dans les cas prévus par le troisième paquet énergie. Ensuite, ses pouvoirs décisionnels s’étendent sur les infrastructures transfrontalières; l’ACRE statue sur les questions de réglementation en matière d’infrastructures, y compris sur les modalités et conditions d’accès789 et la sécurité d’exploitation, sous des conditions strictes790. Plus précisément, l’ACRE exerce cette

compétence, d’une part, dans le cas où les autorités nationales n’ont pas pu résoudre la question d’elles-mêmes dans un délai de six mois à compter de la date où la dernière d’entre elles a pris connaissance du problème791

et, d’autre part, si les autorités nationales elles-mêmes le lui demandent conjointement. La reconnaissance d’un tel pouvoir décisionnel sert une double fonction: dans un premier temps, elle permet la résolution des différends étant évidente. Dans un deuxième temps, il sert de levier de pression sur les

788

V. http://www.acer.europa.eu/Official_documents/Acts_of_the_Agency/Pages/Individual -decision.aspx,

(dernière consultation: 09/09/2014). 789

L’article 8 par. 2 du règlement 713/2009 précise que les modalités et conditions d’accès consistent en « a) une procédure pour la répartition des capacités, b) un échéancier de répartition, c) le partage des recettes de la congestion, et d) la perception de droits auprès des utilisateurs de l’infrastructures visés à l’article 17, paragraphe 1, point d), du règlement (CE) no 714/2009 ou à l’article 36, paragraphe 1, point d), de la directive 2009/73/CE ».

790

V. article 8 par. 1 du règlement 713/2009. 791

Ce délai peut être prolongé d’une période supplémentaire de six mois suite à la demande de la part des autorités réglementaires nationales compétentes, v. article 8 par. 1 du règlement 713/2009. Il convient d’ajouter que, conformément à l’article 8 par. 5 du règlement 713/2009, dans le cas des dérogations au sens de l’article 17 du règlement 714/2009 ou de l’article 36 de la directive 2009/73/CE, les délais prévus par les textes ne sont pas cumulables.

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autorités nationales, les incitant à résoudre au plus vite ces questions. Sur le plan procédural, avant d’adopter une décision, l’ACRE consulte les régulateurs nationaux et les GRTs. Elle doit statuer dans les six mois à compter du jour de la soumission du dossier, tout en pouvant arrêter une décision provisoire afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement et celle de l’exploitation de l’infrastructure792

.

358. En outre, conformément à l’article 9 par. 1 du règlement 713/2009, l’ACRE peut prendre une décision sur les dérogations prévues par l’article 17 par. 5 du règlement 714/2009, ainsi que par l’article 36 par. 4 de la directive 2009/73/CE portant sur les nouvelles interconnections en matière, respectivement, d’électricité et de gaz, concernant une infrastructure se situant sur le territoire de plus d’un État membre793. Jusqu’à présent, aucune décision n’a été prise, des discussions ayant, pour autant, déjà eu lieu au sein du Conseil des régulateurs sur les aspects procéduraux encadrant ce type de demandes794.

ii. Des pouvoirs « quasi »-règlementaires

359. Sous le troisième paquet énergie, l’ACRE est également chargée de pouvoirs que l’on qualifiera de « quasi »-règlementaires. Même si l’utilisation du néologisme « quasi » a été critiquée dans la doctrine795 -et pour cause- son emploi à ce stade de notre étude nous paraît nécessaire afin de démontrer la nature juridique ambiguë d’ actes qui ont des effets juridiques de facto796, mais sans être juridiquement contraignants797.

360. Les pouvoirs « quasi-règlementaires » de l’ACRE se manifestent dans le rôle qui lui est attribué dans la procédure de l’adoption des codes de réseau798

, à savoir des règles

792

V. article 8 par. 3b du règlement 713/2009. Dans ce cadre, la Commiss ion peut émettre des orientations concernant la modification des éléments non essentiels selon la procédure prévue dans l’article 32 par. 2 du règlement 713/2009, v. article 8 par. 4 du règlement 713/2009.

793

V. article 9 par. 1 du règlement 713/2009. 794

V. ACER, BoR, Minutes of the 17th Meeting [En ligne], 24 avril 2012, A12 -BoR-17-02, 11 p., pp. 6-7, disponible uniquement en anglais sur: http://www.acer.europa.eu/official_documents/bor/meeting_docs/a12 -bor-

17-02.pdf, (dernière consultation: le 17/09/2014).

795 Le néologisme « quasi » a été critiqué dans la doctrine pour son obscurité et ses problèmes conceptuels inhérents, v. Perroud Th., op.cit., pp. 45-46.

796 Le terme « réglementaire » est défini comme un texte qui « se rapporte au règlement », à savoir à « un texte de portée générale émanant de l’autorité exécutive », v. Cornu G., op.cit., pp. 873-874.

797

La question sera entièrement traitée dans le chapitre dédié au contrôle juridictionnel des a ctes des organismes étudiés, v. le premier chapitre du premier titre de la deuxième partie de notre thèse.

798 Sur la procédure pour l’adoption des codes de réseau, v. De Moel St., Melchior Fl., « Cooperation Between TSOs: Background, Organisation and Netcodes », in: Roggenkamp M.-M., Hammer Ul. (éds.), European Energy Law Report VIII, Coll. Energy and Law, Vol. 12, Cambridge, Intersentia, 2011, 224 p., pp. 19-40, p. 21 s., Gräper Fl., Schoser Ch., « The Establishment of Common Network Codes », in: Jones C. (ed.), EU Energy Law, Volume I: The Internal Energy Market, The Third Liberalization Package , 3e édition, Leuven, Claeys&Casteels, 2010, 1176 p., pp. 496 s. L’analyse qui suit est issue de notre publication, v. Vlachou Ch., « The Adoption of Network Codes in the Field of Energy: Availability of Judicial Review in a Multi -Stage Procedure » [En ligne], RSCAS Working Paper 2012/39, Florence, European University Institute, 28 p., disponible sur: