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Une instance dotée d’une double fonction

Dans le document Décembre 2002 (Page 51-55)

Cette nouvelle instance exercerait principalement une fonction de classification comparable à celle actuellement dévolue à la commission de classification des oeuvres cinématographiques. Elle exercerait également une fonction d’étude et de recommandation.

Une fonction de classification

La classification pourrait se faire à partir de tranches d’âge prenant en compte le développement psychique des enfants. Actuellement la commission vidéo et la commission des publications destinées à la jeunesse n’exercent pas véritablement une fonction de classification puisqu’elles ne se prononcent que sur l’interdiction aux mineurs de 18 ans, éventuellement assortie de restriction de publicité. La commission du cinéma propose au ministre de la culture un simple avertissement, des interdictions moins de 12 ans, moins de 16 ans, moins de 18 ans, ou la classification X du film. Une harmonisation apparaît indispensable par un alignement sur la classification adoptée pour le cinéma.

Les commissions ne doivent pas être cantonnées à se prononcer sur l’interdiction aux mineurs de moins de 18 ans. Elles doivent avoir une fonction de classification des différentes productions par tranches d’âge adaptées au développement psychique des enfants.

A cet égard, il serait souhaitable, comme l’ont proposé plusieurs psychiatres et pédopsychiatres, de créer un nouveau seuil d’âge aux alentours de 6-7 ans. Tous les experts s’accordent, en effet, à dire que l’impact d’images violentes sur des enfants dépend en grande partie de leur capacité à comprendre le sens de ces représentations. A cet égard, l’âge de 6-7 ans semble déterminant.

L’harmonisation des classifications n’empêcherait nullement la prise en compte de la spécificité de chaque média. La classification cinéma pour une même œuvre peut ne pas être la même que la classification vidéo parce que les conditions de réception sont sensiblement différentes. Il apparaît, néanmoins, indispensable qu’il y ait une bonne articulation entre les deux commissions chargées de se prononcer afin de maintenir la cohérence du dispositif. Il serait ainsi possible, notamment lorsque le diffuseur conteste la décision de classification prise par une commission, de réunir l’instance en plénière. Cette nouvelle instance pourrait également se prononcer sur les conditions de diffusion à la télévision des films de cinéma.

Cela supposerait néanmoins de prévoir la représentation des diffuseurs télévisuels, ce qui permettrait d’instaurer un dialogue permanent entre l’instance de régulation et les télévisions.

Ces dernières pourraient ainsi disposer de repères élaborés conjointement pour effectuer la classification des autres programmes qu’elles diffusent.

En matière de vidéocassettes et de jeux vidéo, il convient de noter que l’expansion du phénomène de piratage limite l’efficacité des dispositions de protection de l’enfance. On estime ainsi à environ 10% la part des produits piratés dans le marché de la vidéo. Il y aurait également près de 75 millions de jeux vidéo qui relèvent de la contrefaçon pour une diffusion annuelle officielle de 20 à 25 millions de jeux. La lutte contre le piratage et la protection des mineurs vont donc de paire.

Articuler classification et auto-classification

Il n’est pas souhaitable que l’instance plurimédia classifie l’ensemble des vidéos, des jeux vidéos et des jeux électroniques. D’abord parce que le volume de la production rendrait quasi impossible, sauf à disposer de moyens considérables, un tel travail. Ensuite, parce que l’autoclassification présente l’avantage de responsabiliser les professionnels au regard de la protection de l’enfance.

L’instance plurimédia doit pouvoir également être saisie ou se saisir d’office de toute production qui serait susceptible de ne pas faire l’objet d’une classification adaptée. Elle procèderait alors à une classification qui s’imposerait aux éditeurs comme aux diffuseurs.

Les éditeurs de vidéos et de jeux vidéos procèdent déjà à une classification.

Concernant la vidéo, le décret du 23 févier 1990 relatif à la classification des œuvres cinématographiques fait obligation aux éditeurs de vidéo de mentionner le visa d’exploitation du ministre de la culture sur chaque exemplaire édité et proposé à la location ou à la vente.

Comme nous l’avons vu précédemment, pour les productions ne relevant pas de cette classification, le syndicat de l’édition vidéo a mis en place une signalétique proche de celle de la télévision. Le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) a également promu un système de classification (cf II.3.C). Mais ces classifications n’ont aucune force contraignante pour les diffuseurs. Il conviendrait de maintenir ces classifications mais de modifier les textes en vigueur afin que les diffuseurs soient tenus de respecter les classifications des éditeurs sous peine de sanctions.

Les éditeurs de vidéos pornographiques mentionneraient sur chaque exemplaire le classement X de la vidéo qui s’imposerait alors aux loueurs et vendeurs de cassettes.

En cas de doute sur le caractère d’une vidéo ou d’un jeu, l’éditeur saisirait l’instance plurimédia pour obtenir une classification, ce qui le mettrait à l’abri de toute poursuite pénale ordonnée sur le fondement de l’article 227-24 du code pénal.

Pour rendre opérationnelle cette classification auprès des diffuseurs, il est nécessaire de réformer la loi du 17 juin 1998. Il faudrait interdire la vente et la locations de documents vidéo pornographiques à des mineurs et limiter l’accès aux produits classifiés sous la responsabilité des diffuseurs, en respectant les tranches d’âge, selon une règle de fonctionnement analogue à celle des salles de cinéma. Il faudrait également limiter l’accès par les distributeurs automatiques aux seuls documents tous publics.

Les mêmes principes pourraient être retenus concernant les magazines pornographiques, pour lesquels d’ailleurs aucune interdiction de vente aux mineurs n’est, en tant que telle, actuellement prévue, à l’exception des dispositions de l’article 227-24 du code pénal. Une interdiction spécifique de vente aux mineurs pour les magazines pornographiques devrait être introduite dans la législation. La commission en charge du contrôle des publications susceptibles de présenter un danger pour la jeunesse pourrait alors fort opportunément avoir un rôle de qualification de l’éventuel caractère pornographique des publications ne s’affichant pas, en tant que telles, comme pornographiques. Les éditeurs aurait également la possibilité de procéder eux-mêmes à la classification de leurs publications, ce qui allègerait sensiblement le travail de la commission.

Concernant Internet, les éditeurs de site procéderait à une classification X des sites pornographiques dont l’instance plurimédia serait rendue destinataire. Cette classification entraînerait l’obligation pour l’hébergeur du site de prendre certaines dispositions de nature à empêcher l’accès du site au mineur. Là non plus, l’éditeur et l’hébergeur ne pourraient plus faire l’objet de poursuites pénales à partir du moment où l’éditeur aurait procédé à cette classification et que l’hébergeur en aurait tiré les conséquences en termes d’accès. L’instance

plurimédia pourrait également classer d’office certains sites, ce qui obligerait l’hébergeur à mettre en place le dispositif empêchant l’accès du site aux mineurs.

Pour lutter efficacement contre le « spaming » pornographique sur Internet, il est absolument nécessaire de transposer en droit français la Directive européenne « Vie privée et communication électronique » adoptée par le Parlement européen le 12 juillet 2002. Il faut, comme le prévoit la Directive, faire obligation aux sociétés commerciales d’obtenir le consentement préalable des personnes auxquelles elles souhaitent envoyer un message publicitaire.

Il est également nécessaire de publier sans plus tarder le décret d’application de la loi

« Sécurité quotidienne » du 15 novembre 2001 sur la durée de conservation, par les fournisseurs d’accès à Internet, des données relatives aux échanges sur Internet et sur le type de données à conserver.

Une fonction d’études et de recommandations

Cette instance n’exercerait pas qu’une fonction de classification. Elle pourrait constituer un lieu ressource en matière de protection de l’enfance et de médias. Outre qu’elle pourrait centraliser l’information dans ce domaine, elle devrait également être en mesure de commander des études sur les relations des enfants avec les médias. Si les professionnels de l’enfance peuvent fournir d’importantes informations sur ce thème, la France, à la différence des États Unis et du Canada, ne dispose que de très peu d’études scientifiques en la matière.

Pour ce faire, cette nouvelle instance solliciterait le concours d’experts, d’universitaires et de chercheurs.

Elle pourrait également être consultée par les diffuseurs ou prendre l’initiative d’instaurer un échange avec certains d’entre eux si elle le juge utile. Elle pourrait, dans ce cadre, adresser des recommandations aux diffuseurs notamment au regard des études qu’elle aurait commanditées. Les éditeurs pourraient s’appuyer sur ces recommandations pour adapter leur classification. Pour Internet, ces recommandations concerneraient autant les fournisseurs d’accès que les hébergeurs. En revanche, à la différence du CSA qui exerce une mission de contrôle a posteriori, il ne semble pas souhaitable qu’elle dispose d’un pouvoir d’injonction assorti d’éventuelles sanctions. Sa fonction de contrôle s’exerce, en effet, a priori, dans la classification qu’elle établit et dont le non respect ferait l’objet de sanctions prévues par les textes législatifs et réglementaires.

Enfin, cette instance disposerait de la faculté de saisir le parquet en vue de déclencher des poursuites pénales lorsque les informations dont elle dispose lui donnent à penser que des oeuvres ou messages sont constitutifs d’infractions. Il s’agit d’ailleurs d’une obligation prévue par l’article 40 du code de procédure pénale.

3. Réaffirmer le rôle de l’éducation

Selon les psychiatres et pédopsychiatres consultés, la question des images violentes doit être posée dans le cadre plus général de l’éducation, de la transmission des valeurs et des règles de comportement. C’est, en effet, par l’éducation que l’enfant apprend à dominer ses pulsions. Il faut donc réexaminer les modes d’éducation afin de trouver des modalités de lutte contre la banalisation de la violence et contre les effets pathogènes des images violentes.

Qui, aujourd’hui, éduque les enfants ? Qui leur sert de modèle ? Qui leur transmet des valeurs et des normes de comportement ? Qui nourrit leur imaginaire ? En principe,

l’éducation se fait par les parents, les enseignants, les éducateurs, animateurs et autres dispensateurs d’activités, bref par tous les adultes qui entourent l’enfant.

Mais les médias, et en particulier la télévision, assurent également auprès des plus jeunes une fonction de transmission. Les médias influencent fortement les enfants par les valeurs, les discours, les modes d’être et de faire ou les modalités de résolution de conflits, qu’elles véhiculent.

Une augmentation, mais surtout une diversification des programmes recommandés pour la jeunesse (enfance, mais également adolescence), serait souhaitable, conformément à l’esprit de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, selon laquelle les Etats parties doivent « veiller à ce que l’enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale », et à « diffuser une information et des matériels qui présentent une utilité sociale et culturelle pour l’enfant » (article 17). Cela peut consister, ainsi que cela a déjà été proposé par le CIEM, en une production et une diffusion plus large d’émissions à caractère éducatif et culturel pour les enfants et les adolescents, et notamment d’un journal d’information et d’une émission de décryptage des médias, sur toutes les chaînes publiques. On peut également souhaiter que l’approche des relations amoureuses et de la sentimentalité soit abordée, dans les téléfilms, feuilletons, etc., avec un angle plus large que celui des seuls rapports sexuels. Il serait par ailleurs intéressant de faire participer la société civile, notamment les représentants des droits de l’enfant, aux conseils d’administration des chaînes. On peut également imaginer l’instauration d’une chaîne jeunesse publique, comme cela existe déjà en Angleterre et en Allemagne. Un manque se fait également sentir au niveau de la radio, qui se tourne essentiellement vers un public adolescent. A cet égard, la création d’émissions spécifiques, voire la diffusion sur tout le territoire d’une radio publique a destination d’un public beaucoup plus jeune, serait souhaitable.

Certains films, séries télévisées, clips, émissions de télé-réalité, véhiculent des références (le droit du plus fort, le pouvoir de l’argent,..), des modalités de résolution des conflits (le meurtre, l’élimination de l’autre), ou des places attribuées aux personnages (la domination, la chosification sexuelle ..) qui ont pour caractéristiques communes l’intolérance, l’absence de respect, de dialogue dans les relations humaines. Dans de nombreuses fictions pour la jeunesse, les parents sont absents ou disqualifiés, l’autorité des pairs est forte tandis que les logiques d’affrontement dominent les relations interpersonnelles.

Si ces images ne sont vues qu’épisodiquement, qu’elles sont discutées avec un adulte en lequel l’enfant a confiance et qu’elles sont contre-balancées par des discours plus influents et d’autres normes, la violence véhiculée par les médias reste de l’ordre de la distraction ou de l’exutoire. Elle peut même avoir un rôle de maturation du psychisme, du fait de la confrontation possible entre deux systèmes de références. Ce n’est pas nécessairement le cas pour ceux qui ne bénéficient pas de conditions sociales et familiales qui le permettent et qui éprouvent des difficultés à se repérer dans ce dédale de normes. La responsabilité ne peut être ici renvoyée aux seuls parents : elle concerne l’ensemble des adultes et des institutions qui exercent une fonction d’éducation et de transmission auprès des enfants.

Si des interdits doivent être posés dans l’accès à certaines images, il serait illusoire d’imaginer que l’on puisse éviter la rencontre, fortuite ou délibérée, avec des messages violents. Il faut donc donner aux jeunes les moyens non seulement de supporter et d’intégrer ces images, mais aussi de s’en distancier afin qu’elles ne soient plus une source de confusion et de perte de repères.

Dans le document Décembre 2002 (Page 51-55)