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Partie 3. Résultats – la situation en 2018

3.2. Législation et portrait juridique actuels

3.2.4. Traitement des plaintes des travailleurs et inspection du travail

3.2.4.2. Inspection du travail

L’un des graves problèmes soulevés par le Rapport HRW 2012 concernait les lacunes dans l’inspection du travail. Les inspecteurs étaient peu nombreux et ne parlaient pas la langue des travailleurs; leurs inspections étaient donc bien souvent incomplètes et non représentatives de la réalité. La législation n’a pas changé depuis, mais dans les dernières années le nombre d’inspecteurs a grandement augmenté et les autorités ont mis en œuvre quelques stratégies afin de s’assurer que les employeurs respectent les normes législatives en vigueur.

En 2014, l’OIT soulignait que les « agents du service d’inspection du ministère du Travail ne se rendent dans les entreprises pour s’assurer qu’elles respectent la législation que si une plainte

est déposée »849. Notons qu’il n’y avait alors, dans l’ensemble du pays, que 150 inspecteurs850.

845 IMPACTT LIMITED, préc., note 363, p. 34. 846 Id., p. 35.

847 FIFAHUMAN RIGHTS ADVISORY BOARD, préc., note 598, p. 31‑33. Voir supra 3.2.2.2.3 sur le fonctionnement et les limites de tels forums.

848 INTERNATIONAL LABOUR OFFICE -GOVERNING BODY, préc., note 331, Appendix, Table 19. Voir les tables 23- 27 pour des statistiques un peu plus détaillées. Elles sont toutefois incomplètes et semblent parfois contradictoires. INTERNATIONAL LABOUR OFFICE -GOVERNING BODY, préc., note 364, Appendix I, par. 39, Table 28-29 et 34‑39.

Les mêmes commentaires s’appliquent quant à ces chiffres.

849 D. DUAN, K. KHAMIS MATTAR et B. PANDEY, préc., note 207, par. 13 (caractères gras ajoutés). 850 Id., par. 13 et 33.

Prenant conscience des lacunes dans le domaine851, le gouvernement a assuré avoir l’intention

« d’accroître le nombre d’inspecteurs et d’améliorer la qualité de leur travail, notamment en leur assurant une formation et en faisant appel aux services d’interprètes parlant anglais et maîtrisant en outre les langues parlées par la majorité des travailleurs asiatiques. »852

En mars 2017, soit un an après l’ultimatum de l’OIT, les autorités qataries annoncent qu’elles préparent une « National Strategy for Inspection », promettant de continuer d’augmenter le nombre d’inspecteurs853, d’interprètes et d’inspections854. En octobre 2017, il y avait près de

400 inspecteurs855 et le gouvernement avait embauché une dizaine d’interprètes856. Les autorités

n’ont toutefois pas dévoilé le temps moyen consacré à chaque inspection857, ni le nombre moyen

de travailleurs interrogés et de registres consultés858. Notons également que les inspecteurs n’ont

toujours pas le pouvoir d’imposer des sanctions859; ils ne peuvent qu’émettre des

recommandations860. Se fondant sur le nombre peu élevé de violations détectées par ces

inspections861, tant l’OIT qu’Amnistie internationale en ont conclu que ces mesures, quoique

851 Id., par. 32.

852 Id., par. 33; Cette précision est capitale : Amnistie Internationale indiquait en effet, en 2013, que la presque totalité des travailleurs qui n’occupaient pas de poste de gestionnaire ne parlaient pas suffisamment l’anglais ni l’arabe pour communiquer efficacement avec les inspecteurs : AMNESTY INTERNATIONAL, préc., note 356, p. 111. 853 En septembre 2015, on comptait déjà 295 inspecteurs: COMMISSION DEXPERTS POUR LAPPLICATION DES

CONVENTIONS ET RECOMMANDATIONS (OIT), « Plainte déposée au titre de l’article 26 de la Constitution de l’OIT

concernant l’inexécution de la convention (no 29) sur le travail forcé, 1930, et de la convention (no 81) sur l’inspection du travail, 1947 », Commentaires (2016), en ligne : <https://tinyurl.com/ybuau9nq> (consulté le 10 avril 2018).

854 INTERNATIONAL LABOUR OFFICE -GOVERNING BODY, préc., note 331, Appendix, par. 29‑30.

855 INTERNATIONAL LABOUR OFFICE -GOVERNING BODY, préc., note 364, Appendix I, par. 22. Le quart de ces inspecteurs parle anglais.

856 Dix en 2015 (INTERNATIONAL LABOUR OFFICE -GOVERNING BODY, préc., note 330, Appendix II, par. 24) et quatre en 2017 (INTERNATIONAL LABOUR OFFICE -GOVERNING BODY, préc., note 364, Appendix I, par. 22). Les

langues maîtrisées par ces interprètes ne sont toutefois pas précisées.

857 L’on peut toutefois le calculer en divisant le nombre d’inspections (56 000) par le nombre d’inspecteurs et de jours travaillés dans l’année: AMNESTY INTERNATIONAL, préc., note 1, p. 67‑68. Amnistie Internationale en arrivait donc à la conclusion que les inspections duraient en moyenne un jour et demi, une donnée qui n’est envisageable que si les inspections sont courtes et que les rapports ne sont pas détaillés. Il s’agit tout de même d’une amélioration par rapport à 2012, alors que les inspecteurs pouvaient boucler jusqu’à quatre inspections par jour, sans que le ministère du Travail y voie un problème: AMNESTY INTERNATIONAL, préc., note 356, p. 111.

858 COMMISSION DEXPERTS POUR LAPPLICATION DES CONVENTIONS ET RECOMMANDATIONS (OIT), préc., note 853. 859 Labour law, préc., note 39, art. 138 et 140 a contrario.

860 COMMISSION DEXPERTS POUR LAPPLICATION DES CONVENTIONS ET RECOMMANDATIONS (OIT), préc., note 853; INTERNATIONAL LABOUR OFFICE -GOVERNING BODY, préc., note 330, Appendix II, par. 24.

861 En 2016, 83% des inspections sont jugées « acceptables »: COMMISSION DEXPERTS POUR LAPPLICATION DES

CONVENTIONS ET RECOMMANDATIONS (OIT), préc., note 853. Dans la première moitié de 2017, ce chiffre s’élève

prometteuses, comportaient encore plusieurs lacunes et étaient insuffisantes862. Par ailleurs, les

sanctions imposées aux contrevenants, le cas échéant, ne sont pas précisées.

Les QFMS863 et les WWS864 prévoient quant à eux que les entreprises qu’ils encadrent (de façon

non contraignante, rappelons-le) devront se soumettre à des inspections par une tierce partie; dans le cas des WWS, il s’agit notamment de la firme Impactt, dont nous avons étudié le rapport865 tout au long de ce chapitre. Le SC a aussi effectué, en 2017, des inspections de concert

avec l’IBB866 auprès des entreprises couvertes par les WWS.

En résumé, bien que la législation soit demeurée inchangée depuis 2012, la stratégie nationale d’inspection entamée en 2017 a permis d’augmenter le nombre d’inspecteurs, d’interprètes et d’inspections. Cependant, en l’absence de données plus précises quant aux résultats de ces inspections et des sanctions imposées dans la minorité de cas où l’inspecteur conclut à une ou des violations de la loi, il est difficile de se prononcer sur l’efficacité d’une telle stratégie.

***

Il y a eu d’importantes améliorations quant à la volonté des autorités qataries de bonifier le traitement des plaintes des travailleurs (démontrée par la mise en place de nouvelles procédures se voulant plus rapides et plus transparentes) ainsi que l’inspection du travail (par exemple, une augmentation notable du nombre d’inspecteurs). Toutefois, comme c’est le cas de bien d’autres aspects des conditions de travail et de séjour des travailleurs migrants, les résultats concrets des mesures implantées demeurent encore incertains, en raison notamment du manque de statistiques détaillées et fiables.

(nos calculs). Dans les deux cas, ces pourcentages sont surprenants lorsque comparés aux données recueillies par les chercheurs indépendants, HRW, Amnistie Internationale, la QF, la CSI et Impactt.

862 INTERNATIONAL LABOUR OFFICE - GOVERNING BODY, préc., note 330, Appendix II, par. 58; AMNESTY INTERNATIONAL, préc., note 1, p. 67‑68. Voir aussi : USDEPARTMENT OF STATE, préc., note 274, p. 333.

863 QFMS, préc., note 448, point 9.6. Les sanctions ne sont pas détaillées, mais le résultat de ces inspections sera pris en compte lors de l’octroi de contrats futurs à la compagnie.

864 WWS, préc., note 409, points 3.3 et 19.1 à 19.7. 865 IMPACTT LIMITED, préc., note 363.

866 FIFAHUMAN RIGHTS ADVISORY BOARD, préc., note 598, p. 21‑22; THE SUPREME COMMITTEE FOR DELIVERY & LEGACY et BUILDING AND WOOD WORKERS’INTERNATIONAL, 2017 Report of the Joint Working Group, 2017, p. 4

et 8, en ligne : <https://tinyurl.com/yb6o2x8w> (consulté le 7 mai 2018). L’IBB s’est dite très satisfaite de la coopération et de la transparence du SC à ce sujet.