2.4.1 Mod`ele cin´ematiquement compatible et saut de phase
Ecrite sous une forme lin´earis´ee, la m´ethode d’inversion des formes d’ondes n´ecessite de partir d’un mod`ele initial m0 localis´e dans le bassin d’attraction de la fonction coˆut. Ce bassin
est d’autant plus large que la fr´equence invers´ee est petite (Mulder & Plessix, 2008). Pour
les acquisitions de sismique active, les fr´equences minimales g´en´er´ees et enregistr´ees avec un rapport signal sur bruit acceptable, se situent de nos jours vers 2-4 Hz, rendant impossible de commencer une inversion de formes d’ondes sans mod`ele suffisamment pr´ecis. On peut relier le bassin d’attraction de la fonction coˆut au concept de mod`ele cin´ematiquement compatible. Ainsi, si le mod`ele initial procure un d´ecalage de phase inf´erieure `a une demi-p´eriode de signal,
2.4 Le mod`ele initial
Figure 2.4 – Sch´ema du principe du saut de phase. Si le d´ephasage entre les signaux reste inf´erieur `a la demi-p´eriode T /2, l’algorithme lin´earis´e ajustera les bonnes phases. Dans le cas contraire, l’algorithme ajustera des arches de signaux d´ephas´ees et divergera dans un minimum secondaire.
pour la fr´equence consid´er´ee, alors l’approche lin´earis´ee pourra ajuster les signaux observ´es et calcul´es sans ambigu¨ıt´e de phase (Figure 2.4). Si le d´ecalage est sup´erieur, l’algorithme cherchera `a ajuster des signaux avec un d´ephasage d’une ou plusieurs p´eriodes, entraˆınant la convergence de l’algorithme vers un minimum secondaire (Sirgue, 2003). Ce ph´enom`ene s’applique pour toutes les fr´equences consid´er´ees dans l’inversion et conditionne des r`egles de choix de fr´equence (cf. partie 2.2.3). Concernant le mod`ele initial, il doit ˆetre suffisamment pr´ecis pour respecter cette compatibilit´e cin´ematique par rapport `a la premi`ere fr´equence que l’on peut consid´erer dans les donn´ees. Je pr´esente ci-dessous des m´ethodes d’obtention d’un mod`ele initial pour des applications d’exploration.
2.4.2 Tomographie des temps de premi`ere arriv´ee
La tomographie des temps de premi`ere arriv´ee est tr`es largement utilis´ee en sismologie pour produire des images lisses de la Terre (Nolet, 1987; Hole, 1992; Zelt &Barton, 1998). En uti-
lisant les temps point´es des premi`eres arriv´ees des ondes, le probl`eme inverse se formalise de mani`ere non-lin´eaire dans lequel la matrice des d´eriv´ees de Fr´echet est g´en´eralement explicite- ment construite, mˆeme si le formalisme de l’´etat-adjoint permet de s’en affranchir au profit de l’efficacit´e (Taillandier et al., 2009).
La r´esolution de la tomographie des temps de premi`ere arriv´ee est de l’ordre de la pre- mi`ere zone de Fresnel (Williamson, 1991). Comme cette approche n’exploite que les temps de premi`ere arriv´ee, de tr`es grands offsets sont n´ecessaires en sismique de surface pour garantir une couverture spatiale des rais dans la partie profonde du mod`ele. Pour une application sur le mod`ele synth´etique du BENCHMARK BP 2004, Brenders & Pratt (2007c) montrent que
l’utilisation d’une tomographie des temps de premi`ere arriv´ee avant une inversion de formes d’ondes acoustique n´ecessite de basses fr´equences (0.5 Hz) et un dispositif d’acquisition de 16 km. Malgr´e ces conditions, seule la partie superficielle du mod`ele peut ˆetre imag´ee. Les applica- tions sur donn´ees r´eelles pr´esent´ees dans Ravaut et al. (2004); Operto et al. (2006); Malinowsky
&Operto (2008) montrent le processus d’imagerie commen¸cant avec la tomographie des temps de premi`ere arriv´ee puis l’inversion de formes d’ondes acoustiques.
Les limitations de cette m´ethode sont les suivantes : la n´ecessit´e de pointer les temps, ce qui peut se r´ev´eler d´elicat lorsque le mod`ele pr´esente des anomalies de vitesses lentes (Prieux et al., 2009) ; l’obtention du mod`ele VP seul dans le cas de sources explosives ; la n´ecessit´e d’utiliser
des sources g´en´erant des ondes S pour imager VS; et la n´ecessit´e d’utiliser des dispositifs tr`es
grands offsets pour obtenir une couverture des rais suffisante dans la partie profonde du mod`ele.
2.4.3 L’inversion dans le domaine de Laplace
R´ecemment propos´ee par Shin&Cha (2008), l’inversion dans le domaine de Laplace se veut une m´ethode de choix pour la construction de mod`eles de d´epart pour l’inversion des formes d’ondes. La m´ethode utilise comme donn´ees, les champs d’ondes aux r´ecepteurs transform´es dans le domaine de Laplace. Cette transformation est ´equivalente `a la fr´equence nulle de la transform´ee de Fourier d’un signal temporel amorti par une exponentielle d´ecroissante :
L(γ) = Z +∞ 0 f (t)exp−γ(t)dt ⇔ F (ω + iγ) = Z +∞ −∞
f (t)exp−γ(t)exp−iωtdt avec
ω = 0
f (t) = 0 ∀t < 0, (2.28) o`u L(γ) est la transform´ee de Laplace du signal temporel f (t) pour le coefficient de Laplace γ. Le champ d’ondes L(γ) dans le domaine de Laplace est `a valeur r´eelle.
Cette m´ethode permet de reconstruire les grandes longueurs d’ondes du milieu en utilisant les formes d’ondes (th´eoriquement les nombres d’ondes nuls). Cependant, les forts coefficients d’amortissement γ des exponentielles mis en jeu pour la stabilit´e de transform´ee de Laplace engendrent une focalisation des donn´ees utilis´ees proche de la premi`ere arriv´ee (Shin & Cha, 2008). Utilisant une information tr`es proche de la tomographie des temps de premi`ere arriv´ee, on ne peut donc pas s’attendre `a une qualit´e d’image tr`es diff´erente, d’autant que, si la m´ethode n’utilise pas explicitement de point´es de la premi`ere arriv´ee, elle n´ecessite tout de mˆeme de la localiser pr´ecis´ement pour appliquer un mute avant cette arriv´ee, afin de supprimer le bruit pour le calcul de la transform´ee de Laplace de mani`ere stable.
Cette m´ethode poss`ede l’avantage de pouvoir s’utiliser tr`es facilement `a partir d’un algo- rithme d’inversion de formes d’ondes en fr´equence, en utilisant une fr´equence `a partie r´eelle nulle et `a partie imaginaire non-nulle.
Des r´esultats impressionnants ont pu ˆetre obtenus avec cette m´ethode pour la reconstruction du param`etre VP sous l’approximation acoustique, pour des applications synth´etiques par Shin
& Cha (2008); Lee et al. (2008); Shin & Ha (2008); Pyun et al. (2008a) et sur des donn´ees r´eelles du Golf de Mexico par Shin & Cha (2008); Shin & Ha (2008) dans une zone avec un
corps de sel. Pyun et al. (2008b) ont montr´e une application 3D ´elastique de l’inversion en domaine de Laplace sur le mod`ele synth´etique SEG/EAGE Salt. Cependant, peu de d´etails ont
2.4 Le mod`ele initial
Figure2.5 – R´esultats d’inversion ´elastique dans le domaine de Laplace pour une section 2D du mod`ele SEG/EAGE Salt. Les panneaux (a) et (c) repr´esentent les vrais mod`eles VP et VS.
Les panneaux (b) et (d) repr´esentent les mod`eles reconstruits pour VP et VS.
´et´e publi´es sur la robustesse de l’approche pour la reconstruction de deux param`etres de vitesse en utilisant uniquement une information d’amplitude localis´ee proche de la premi`ere arriv´ee.
La Figure 2.5 montre les r´esultats d’un test d’inversion ´elastique dans le domaine de Laplace que j’ai men´e dans une coupe 2D du modele SEG/EAGE Salt. Le mod`ele VS a ´et´e g´en´er´e avec
un coefficient de Poisson constant de 0.24 (mod`ele terrestre sans eau). Les donn´ees de r´ef´erence ont ´et´e calcul´ees avec le mˆeme algorithme que celui utilis´e pour l’inversion. L’inversion est men´ee en supposant que la signature de la source est connue. Les mod`eles de d´epart sont des gradients de vitesses pour les deux mod`eles. 88 points sources verticaux sont enregistr´es par 88 capteurs deux composantes sur une distance de 15 km. La surface libre est consid´er´ee dans ce test. 27 coefficients de Laplace γ ont ´et´e invers´es s´equentiellement de fa¸con d´ecroissante entre 10 et 0.4. Les champs d’ondes sont tr`es vite amortis en amplitude avec l’offset dans le domaine de Laplace, c’est pourquoi Shin & Cha (2008) utilisent une fonction coˆut logarithmique (cf. partie 2.5.1) qui compense cet effet de d´ecroissance. Dans ce test, j’ai utilis´e une fonction coˆut L2 normalis´ee par les donn´ees observ´ees (Mulder &Plessix, 2008) :
C(m) = 12 nXdata i=1 ∆d2i d2 obsi , (2.29)
qui compense l’effet de la forte d´ecroissance d’amplitude, comme le fait la fonction logarith- mique. Les r´esultats montrent des mod`eles encourageants pour ce cas synth´etique id´eal. Cepen- dant, d’autres tests ont montr´e une grande sensibilit´e de la m´ethode au choix des coefficients de Laplace et au type de source. La robustesse de l’approche pour des applications plus complexes et des donn´ees r´eelles d´eterminera si cette m´ethode peut ˆetre envisag´ee pour construire des mod`eles de d´epart pour plusieurs param`etres.
2.4.4 Inversion de la phase de premi`ere arriv´ee
En utilisant toujours l’information de la premi`ere arriv´ee, un algorithme d’inversion de formes d’ondes en fr´equence peut ˆetre utilis´e pour inverser la phase de la premi`ere arriv´ee en utilisant des fr´equences complexes. La partie r´eelle repr´esente la fr´equence de propagation
tandis que la partie imaginaire repr´esente le coefficient de l’exponentielle d´ecroissante appliqu´ee en temps (Min&Shin, 2006; Effelsen, 2009). Cette approche est tr`es proche de la tomographie des temps de premi`ere arriv´ee, utilisant une information quasi-identique. Notons tout de mˆeme que la prise en compte d’une fr´equence r´eelle permet de lier cette m´ethode `a la tomographie par fr´equence finie (Montelli et al., 2004).
2.4.5 La st´er´eo-tomographie
L’imagerie par st´er´eo-tomographie est fond´ee sur l’inversion des temps d’arriv´ee d’´ev´ene- ments localement coh´erents, point´es sur des collections de sismogrammes tri´es en sources et r´ecepteurs communs (Lambar´e, 2008). Cette m´ethode permet de prendre en compte les arriv´ees r´efl´echies, r´efract´ees, qu’elles soient de polarisations P-P ou P-S. Ainsi, des images des mod`eles de vitesse d’ondes P et S peuvent ˆetre construits. Des applications sur donn´ees synth´etiques et r´eelles sont pr´esent´ees dans Billette & Lambar´e (1998); Alerini et al. (2002); Billette et al. (2003).
2.4.6 Conclusions
La construction d’un mod`ele de d´epart de qualit´e pour l’inversion des formes d’onde est un probl`eme crucial qui d´etermine la r´eussite ou l’´echec du processus d’imagerie. Les m´ethodes mentionn´ees ci-dessus sont des outils possibles, ayant chacun des avantages et des inconv´enients. Notons que, dans la perspective d’inversion de formes d’ondes ´elastiques, seules une tomographie des premi`eres arriv´ees d’ondes S (si la source g´en`ere des ondes S), l’inversion dans le domaine de Laplace (si elle se r´ev`ele stable et robuste) et la st´er´eo-tomographie permettent d’obtenir un mod`ele de d´epart pour les vitesses VS.
La probl´ematique de la d´etermination du mod`ele de d´epart est un probl`eme ouvert qui motive, `a l’heure actuelle, de nombreux travaux dans les ´equipes de recherche acad´emiques et industrielles.