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V. PRO-DROGUES : APPROCHES ETUDIEES DANS LA LITTERATURE

V.2. Inhibiteurs directs de la cible de la pro-drogue

Les pro-drogues exercent leur activité antimycobactérienne via les métabolites actifs issus de leur bioactivation et les résistances liées aux enzymes d’activation empêchent la formation de ces métabolites actifs. L’une des approches développées pour contourner ces résistances est d’utiliser le métabolite actif, ou un analogue, issu de l’activation de la pro- drogue pour inhiber directement sa cible. Le métabolite actif ne peut généralement pas être utilisé en tant qu’inhibiteur direct de l’enzyme pour des raisons de perméabilité, comme pour l’acide pyrazinoïque, métabolite actif de la pyrazinamide, ou d’instabilité comme pour les adduits INH-NAD.

Cette stratégie a été developpée pour les pro-drogues INH et ETH dont la bio-activation conduit à la formation d’adduits INH-NADH et ETH-NADH, inhibiteurs de l’enzyme InhA. Elle consiste à synthétiser des inhibiteurs directs de l’enzyme InhA, ne nécessitant donc pas d’activation enzymatique.

Le triclosan est un antibiotique à large spectre avec une activité modeste sur MTB (CMI = 43 µM). Le triclosan est un inhibiteur direct de l’enzyme InhA (Ki = 0,2 µM) dont de nombreux analogues diphényléthers ont été étudiés (Figure 20) [221–223].

Une seconde approche concernant les inhibiteurs directs d’InhA consiste à développer des analogues structuraux de l’adduit actif INH-NADH (Figure 21.A), puisque l’utilisation des adduits eux-mêmes est impossible du fait de leur instabilité et de leur manque de perméabilité membranaire. Notre groupe s’est inspiré des adduits INH-NAD en simplifiant la partie sud de la molécule (suppresion de la partie ADP, Figure 21.B) et en proposant des structures cycliques de type hémiamidal en série pyridinium (Figure 21.C) [224,225]. Toutefois, aucun de ces composés n’affecte de manière significative l’activité de l’InhA. Par ailleurs, Bonnac et al se sont appuyés sur le motif phénoxy-NAD en retirant la partie adénine de la molécule (Figure 21.D) mais sans succès vis-à-vis de l’activité enzymatique [226].

A. B. C. D.

Figure 21 : Structures générales des adduits INH-NAD (A) et des adduits tronqués de INH-NAD (B, C, D)

Avec R1 = H, C4H9 ; R2 : dérivés de sucre et chaînes alkyles oxygénées ; R3 = OH, OPO(OH)2. ADPR: adénosine diphosphate ribose.

Divers autres composés inhibiteurs directs d’InhA ont été proposés avec différentes structures chimiques de type diphényléthers, arylamides, pyrrolodines carboxamides, pyrazoles, imidazopipéridines ou thiazoles [227–230]. Pour tous les composés proposés, l’activité inhibitrice (IC50) de l’enzyme InhA varie de 0,2 à 10 µM mais la plupart des composés présentait une mauvaise activité antimycobactérienne (CMI > 45 µM), notamment sur les modèles animaux.

Des travaux plus récents au sein de notre groupe ont mis en évidence des molécules de type (aza)isoindolinone comme inhibiteur direct de l’enzyme InhA (Figure 22) [231,232]. Cependant, bien qu’étant de bons inhibiteurs de l’enzyme InhA, ces composés ne présentent pas d’activité antimycobactérienne intéressante probablement suite à une mauvaise pénétration du composé dans la bactérie.

A. B.

Actuellement une molécule de type thiadiazole développée par GSK est en essais pré- cliniques comme inhibiteur direct d’InhA et une molécule de type 4-hydroxy-2-pyridone est en cours d’étude par Novartis (Figure 23) [59,233,234]. Récement, l’équipe du Pr. Cole a également démontré que la pyridomycine, un composé naturel, était un inhibiteur direct d’InhA et travaille, à présent, sur le developpement de dérivés de pyridomycine comme antituberculeux potentiels [235,236].

Objectifs des travaux de thèse

Les molécules utilisées actuellement dans le traitement de 1ère intention de la tuberculose ont été découvertes il y a plus d’une cinquantaine d’années. Durant les cinquante dernières années, seulement deux molécules ont été approuvées et commercialisées comme des antibiotiques spécifiques à la tuberculose (bédaquiline, FDA en 2012, EMA en 2014 et délamanid, EMA en 2014) [51,52]. Ces molécules restent cependant très peu utilisées (uniquement en troisième intention) et sont réservées plutôt à des tuberculoses résistantes aux médicaments de 1ère et 2ème intention. En outre, face à l’augmentation des cas de MDR et de XDR, il est nécessaire de trouver de nouveaux médicaments capables de contourner les résistances.

L’INH est une pro-drogue présentant un intérêt majeur dans la chimiothérapie de la tuberculose en raison de son activité (CMI à 0,2 µM). Cependant, comme pour la plupart des pro-drogues antituberculeuses, les résistances associées à l’INH proviennent essentiellement d’un défaut d’activation enzymatique. Face à ce problème, nous nous sommes fixés comme premier objectif de développer de nouvelles stratégies permettant de contourner ces résistances, en se concentrant sur une amélioration de l’activation de l’INH. Dans cette approche, deux autres pro-drogues, ETH et dans une moindre mesure PZA, qui sont également des molécules basées sur un squelette hétéroaromatique simple (pyridine ou pyrazine), ont également été étudiées.

La première partie de cette thèse présentera ainsi de nouvelles approches pour contourner ces résistances.

La première stratégie développée pour contourner les résistances est basée sur la conception et la synthèse de molécules hybrides entre l’INH et l’ETH. Ces molécules hybrides pourraient être activées par deux modes d’activation possibles : soit par KatG soit par EthA. Ainsi une fois bio-activées, ces molécules conduiraient à la formation du métabolite actif similaire à celui de l’INH et de l’ETH (adduit avec le NAD) et elles seraient efficaces sur des souches de MTB présentant une mutation sur l’une des deux enzymes d’activation. Dans ce contexte, la fonction thiohydrazide a été choisie comme motif hybride.

La deuxième stratégie étudiée consiste à affronter les résistances à l’INH par des molécules dérivées d’INH et potentiellement activables par l’enzyme KatG mutée. Cette stratégie s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle les mutations de KatG changeraient son

potentiel d’oxydation tout en conservant son activité de catalase peroxydase [237]. Ainsi, le but est de développer une série d’hydrazides présentant différents potentiels d’oxydation afin de les tester sur différentes souches de MTB présentant des résistances à l’INH. Les résultats issus de ces travaux sont présentés dans une première publication [63]. Toujours selon la stratégie d’affronter les résistances par des dérivés d’INH capables d’être activés par KatG mutée, nous nous sommes également basés sur une seconde hypothèse, avancée dans la littérature, proposant que l’absence d’activation de l’INH par l’enzyme KatG mutée provient d’une modification structurale de cette enzyme [238]. Pour appuyer ce travail, la littérature décrit un analogue de l’INH à chaîne longue actif sur des souches MTB, y compris celles présentant une enzyme KatG mutée et donc résistante à l’INH [116,239]. Nous nous sommes donc intéressés à la synthèse et à l’évaluation biologique d’autres analogues de l’INH à chaîne longue.

La dernière approche proposée consiste à contourner les résistances liées à l’enzyme KatG en utilisant des molécules de type pro-drogue "auto"-activables ou chimio-activables, c’est-à-dire ne nécessitant pas d’être activées par une enzyme mais par une simple oxydation provoquée par un oxydant endogène de la bactérie. Une collaboration avec le Pr. E.H.S. Sousa de l’Université Federal do Ceará à Fortaleza au Brésil a été réalisée afin d’étudier une de ses molécules, le complexe (isoniazide)pentacyanoferrate(II) de sodium, connu sous le nom d’IQG-607 et décrit comme inhibiteur d’InhA et de la croissance de MTB [240–242]. Ce travail a pour objectif de synthétiser des analogues de l’IQG-607 et d’étudier l’hypothèse mécanistique d’activation de l’IQG-607 mettant en jeu la formation d’un métabolite actif similaire à celui de l’INH. Cette approche des molécules "auto"-activables a également été étendue au motif pyrazine dans le but de créer une molécule "auto"-activable capable de générer l’acide pyrazinoïque, métabolite actif de la pro-drogue PZA.

Au cours de ces recherches pour lutter contre les résistances, nous nous sommes aperçus qu’une compréhension détaillée des mécanismes d’activation des pro-drogues actuellement utilisées était devenue indispensable. La deuxième partie de cette thèse sera donc consacrée à l’étude des mécanismes oxydatifs d’activation des pro-drogues INH et ETH ayant un mécanisme d’action commun via la formation d’adduit avec le NAD et l’inhibition de l’enzyme InhA. Les mécanismes d’activation de ces pro-drogues sont de nos jours encore mal décrits d’un point de vue moléculaire, notre objectif est ainsi d’améliorer la compréhension de ces mécanismes d’activation dans le but d’aider à la conception de

Un premier chapitre sera consacré à l’étude du mécanisme d’activation de l’INH dans la continuité des travaux de notre équipe. En effet, les recherches réalisées au sein de notre groupe ont été consacrées à l’activation biomimétique de l’INH et à l’étude de l’adduit actif INH-NADH par LC-MS, RMN ou cristallographie [31,76,77]. Le but est d’utiliser le système biomimétique de KatG, le pyrophosphate de manganèse, développé par l’équipe, afin d’analyser en détail le mécanisme d’activation de l’INH au niveau moléculaire. Cette étude a également été appliquée à des analogues de l’INH, des hydrazides substitués, afin de comparer leur mécanisme d’activation à celui de l’INH.

Le dernier chapitre sera consacré à l’étude du mécanisme d’activation de l’ETH d’un point de vue moléculaire. Afin de réaliser cette étude, il a été nécessaire de développer un système biomimétique de l’enzyme EthA permettant l’activation de l’ETH, l’identification des intermédiaires et la formation des adduits ETH-NAD. L’intérêt de ce système biomimétique est d’avoir un système chimique simple facilitant l’étude au niveau moléculaire du mécanisme d’activation d’ETH.

Partie 1 : Etude de nouvelles

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