Chapitre 1. État de l’art
B. Ingénierie tissulaire
L'ingénierie tissulaire, au carrefour de différentes disciplines a pour but de remplacer,
maintenir ou améliorer la fonction de tissus humains, grâce à des substituts tissulaires incluant
des éléments vivants (Langer 1993). Il s'agit donc d'élaborer des tissus artificiels, en faisant
appel aux cultures de cellules (cellules différenciées, ou plus souvent cellules souches de la
moelle osseuse), à des biomatériaux (matériaux poreux à architecture contrôlée), à des
facteurs de croissance (comme les bone morphogenetic proteins, ou TGF-β), aux protéines
intervenant dans l'adhésion cellulaire (telles que la fibronectine, ou les séquences reconnues
par les sous unités d'intégrine), ou encore à la thérapie génique des cellules (notamment en
utilisant des cellules-souches transfectées). En outre, la voie de l’ingénierie tissulaire présente
l’avantage de s’affranchir des problèmes comme le manque de donneurs et le risque de
transmission virale. Les applications sont nombreuses et recouvrent la reconstitution aussi
bien de la peau (MacNeil 2007), du foie (Bhandari 2001), de la cornée (Hu 2005; Rimmer
2007), mais également de l'appareil locomoteur (Tuli 2003; MacIntosh 2008; Hardouin 2000).
Plusieurs essais clinique comme la greffe de la peau (Eaglstein 1997), du cartilage et de l’os
(Roberts 2008) sont déjà en cours d’application. Cette approche thérapeutique est
actuellement considérée comme innovante en médecine régénératrice à côté des deux
principales thérapies que sont la transplantation d’organes et la chirurgie prothétique (Vacanti
1999; Lavik 2004).
L’ingénierie tissulaire implique en général l’utilisation des matrices "scaffolds",
littéralement échafaudage en anglais, qui sont des architectures sophistiquées
tridimensionnelles, formant des motifs précis. Un « scaffold» doit satisfaire aux critères
suivants (Hutmacher 2001):
Hautement poreux avec des pores interconnectés et présentant une taille
appropriée afin de favoriser l’intégration et la vascularisation du nouveau tissu,
la diffusion des nutriments et l’évacuation des déchets
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Construit à partir de matériaux biocompatibles et dont la biodégradabilité est
contrôlée
Favoriser l’adhésion, prolifération et la différentiation cellulaire
Assurer à la fois le rôle de support mécanique lors de la transplantation et le
rôle de trame temporaire mimant la matrice extracellulaire des cellules afin de
guider la reconstruction tissulaire
Ne pas induire une réponse inflammatoire
Facilement modulable en forme et en taille
Les « scaffolds » peuvent être fabriqués à partir de matériaux inorganiques (Hench
2002) comme le phosphate de calcium (LeGeros 2002), utilisé dans la régénération des tissus
minéralisés (le tissu osseux), ou de matériaux organiques comme les polymères naturels ou
synthétiques (Drury 2003; Shin 2003). Parmi les polymères naturels utilisés dans l’ingénierie
tissulaire, les hydrogels à base de biopolymères, comme l’alginate et le chitosan sont
particulièrement attractifs. En effet, ils présentent une structure proche de celle des
macromolécules composant les tissus humains (Lee 2001; Falcone 2006), une faible
cytotoxicité, une bonne biocompatibilité et un coût relativement bas. Le concept d’ingénierie
tissulaire est basé sur le triptyque cellules/biomatériaux/facteurs biologiques dans le but de
générer un tissu hybride (Merceron 2008). Afin d’améliorer la fonctionnalité du tissu
néoformé et obtenir une nouvelle matrice tridimensionnelle la plus appropriée possible du
tissu d’origine, une source abondante de cellules saines est nécessaire (Galois 2005). Une des
sources cellulaires pouvant servir à cette amélioration est : les cellules souches
mésenchymateuses.
1. Le Cartilage
Les dommages des cartilages dans les genoux et les hanches se produisent
généralement soit lors des blessures sportives ou à cause de l’usure avec l’âge. Des tels
défauts du cartilage prennent longtemps pour guérir à cause de la nature avasculaire du
cartilage et de l’incapacité des cellules locales à régénérer des nouveaux tissus. L’ingénierie
tissulaire du cartilage émerge comme une thérapeutique prometteuse pour la correction de ces
défauts. Ce domaine a été largement étudié mais est toujours entravé par l’identification de la
source cellulaire la plus appropriée pour la différenciation et l’intégration au sein de la
transplantation des constructions développées pour la réparation du cartilage.
L’utilisation des cellules souches à la place des chondrocytes et des fibroblastes a
généré un intérêt énorme dans l’ingénierie tissulaire du cartilage, mais la cellule souche idéale
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n’a pas été identifiée. Les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) ont été
différenciées en cartilage (Oldershaw 2010), mais depuis les tissus dérivés provenant de CSEh
allogéniques ont été l’objet d’un rejet immunitaire après la transplantation. Cependant, des
tentatives sont faites pour contourner ce problème grâce à la personnalisation des tissus par le
biais du transfert nucléaire (NT) au sein de la CSEh du noyau issu d’une cellule somatique du
patient : clonage thérapeutique, ou par une reprogrammation des cellules du patient en les
dirigeant vers l’état de cellules pluripotentes par transfection avec des gènes pluripotents
(cellules souches humaines pluripotentes induites, hiPSCs) (Takahashi 2006; Yu 2007; French
2008). Malheureusement, en raison de leur pluripotence, l’utilisation de ces cellules n’est pas
sans risque avec le problème de production et de la formation de tératome (Aleckovic 2008)
(Knoepfler 2009), rendant les dérivés chondrocytaires dangereux pour la réparation du
cartilage, et semblent être immunogénétiquement actif après la transplantation dans l’hôte
(Zhao 2010). En revanche les CSM présentent des caractéristiques uniques : elles sont
immunosuppressives et immunoprivilégiées (Nauta 2007). Elles ne génèrent pas la formation
de tératome détectable, et possèdent une forte capacité de migration (Breitbach 2007; Jackson
2007; Bernardo 2009; Salem 2010).
Cliniquement, les études reposant sur l’insertion intra-articulaire de chondrocytes, ou
de CSM amplifiées sur des gels de collagène dans des genoux de malades arthrosiques, n’ont
pas montré de bénéfice statistiquement significatif. Devant l’amélioration des connaissances
sur les processus de différenciation et du rôle des molécules de matrices, la réparation
cartilagineuse fait néanmoins l’objet de plusieurs essais reposant sur des CSM amplifiées,
injectées directement, cultivées en suspension afin d’induire un début de différenciation
chondrocytaire ou encore en association avec des molécules de matrice comme l’acide
hyaluronique.
A l’heure actuelle, 16 essais cliniques utilisant des CSM dans le traitement de lésions
cartilagineuses ont été mis en place (http://clinicaltrials.gov) (dernière consultation au
22/11/2012) (Tableau V). L’hypothèse d’un déficit simple de migration des CSM vers la
lésion ou d’un nombre insuffisant de cellules physiologiquement, justifie l’emploi de ces
dernières en thérapeutique. Les indications de ce type de traitement concernent
essentiellement les lésions du cartilage articulaire dans leur globalité. La majorité des essais
(environ 80%) sont en phase I ou II et utilisent comme source cellulaire, des CSM de la
moelle osseuse isolées à partir d’un prélèvement autologue. Deux essais utilisent,
respectivement, des CSM provenant du tissu adipeux et du cordon ombilical (sang du cordon).
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soient intégrées dans une matrice support (Collagène de type I, polymère, autre matrice de
nature protéique). Cette association cellules-matrice tente d’améliorer le comblement des
lésions cartilagineuses en diminuant la diffusion des cellules en dehors de la lésion.
L’implantation des cellules se fait directement par injection intra-articulaire et parfois, sous
arthroscopie. Certains essais utilisent approximativement 40 millions de cellules en dose
unique (Tableau V). Le caractère confidentiel des essais cliniques rend difficile la description
précise des protocoles employés : nombre d’injection, rythme d’injection, nombre de cellules
implantées, etc.
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Tableau V: Ensemble des essais cliniques, en cours de réalisation, utilisant des CSM dans le traitement de lésions cartilagineuses.
(Source : http://clinicaltrials.gov) (dernière consultation au 22/11/2012). Le caractère confidentiel des essais cliniques rend parfois difficile la description précise des
protocoles employés. (Mb : membrane).
Numéro d’identification de l’essai
Indications/Pathologies du cartilage Source de CSM Association à une matrice support
Mode d’administration Phase de l’essai clinique
NCT01586312 Gonarthrose grade II à IV CSM autologue de moelle osseuse Non Injection intra-articulaire I/II
NCT00850187 Lésions profondes (genou) Gonarthrose
CSM autologue de moelle osseuse Collagène de type I Injection intra-articulaire I
NCT01459640 Gonarthrose CSM autologue de moelle osseuse Non Injection intra-articulaire II
NCT01436058 Arthrose (Cheville) CSM autologue de moelle osseuse Non Injection intra-articulaire I
NCT01504464 Arthrose (genou) CSM autologue de moelle osseuse Non Injection intra-articulaire II
NCT01626677 Lésions, gonarthrose Allogénique, du sang de cordon ombilical Polymère semi-solide Cartistem®
Injection intra-articulaire Simple dose, 500µL/cm2
III
NCT01499056 Arthrose (Hanche) CSM autologue de moelle osseuse Non Injection intra-articulaire I
NCT00891501 Arthrose précoce
Lésions ostéochondrales
CSM autologue de moelle osseuse Non Injection intra-articulaire II/III
NCT00885729 Lésions focales (genou) CSM autologue de moelle osseuse Membrane (nature ??) Injection intra-articulaire sous arthroscopie I NCT01159899 Lésions profondes (genou)
Gonarthrose
CSM autologue de moelle osseuse Matrice support protéique
Injection intra-articulaire sous arthroscopie I
NCT01227694 Gonarthrose grade II-III CSM autologue de moelle osseuse Non Injection intra-articulaire
Simple dose, 4.107CSM
I/II
NCT01207661 Gonarthrose ?? Non Injection intra-articulaire
Simple dose
I NCT01041001 Lésions, gonarthrose Allogénique, du sang de cordon ombilical Polymère semi-solide
Cartistem®
Injection intra-articulaire Simple dose, 500µL/cm2
III
NCT01399749 Lésions condyle fémorale CSM autologue de tissu adipeux Non Injection intra-articulaire
1.106CSM/cm2 lésions Suture Mb périoste
I/II
NCT01183728 Gonarthrose grade II à IV CSM autologue de moelle osseuse Non Injection intra-articulaire, 4.107CSM I/II