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Infrastructure habitée, ou la prévalence du monument architectural

A l’inverse de la mégastructure, la mégaforme n’est pas extensible à l’infini, comme pouvait l’entendre Wilcoxon quand il caractérisait la mégastructure. Elle propose plutôt un objet « de nature statique »371, de dimensions définies. Cette forme établie, circonscrite dans ses dimensions, met en forme une vision du changement à l’intérieur d’une forme donnée. Cette opposition entre mégastructure extensible et mégaforme372 peut trouver une expression dans le travail de Tange. La proposition faite pour une communauté de 25.000 personnes, projet exposé dans l’argumentaire de Maki, est un projet de masse, défini dans ses dimensions. L’architecture « comprend une mégaforme et des unités fonctionnelles discrètes, rapidement changeantes »373. L’intérêt de la mégaforme passe par la définition d’une forme préétablie, qui peut accueillir le changement, tout en insistant sur une certaine cohérence formelle. Pour Maki, « l'idéal est une sorte master form qui peut passer à des états d'équilibre toujours nouveaux tout en conservant une cohérence visuelle et un sens de l'ordre permanent à long terme. »374

Cette problématique issue de la pensée mégastructuraliste ou plutôt mégaformaliste, trouve une résonnance avec les propos d’Oswald Mathias Ungers et sa Grossform ou encore dans le travail de Superstudio.

En 1966, l'architecte allemand Oswald Mathias Ungers publie un essai 'Grossformen im Wohnungbau'375. Avec ce texte, Ungers nous donne une définition de l'architecture en tant que figure capable d'avoir un impact morphologique sur la ville. Bien que Grossform signifie littéralement " grande forme ", la définition qu’il nous en donne, se concentre sur la force d'une forme plutôt que sur sa taille376. Les préoccupations de l'architecte portent sur

371

Fumihiko MAKI et Masato OHTAKA, «Collective Form. Three paradigms », op.cit., p.8

372 Comme nous le faisons, Kenneth Frampton, critique anglais oppose le terme " mégaforme " à celui de "

mégastructure ", revenant au texte original de Maki datant de 1964. Pour lui, une différenciation doit être faite entre les deux termes. Dans les années 1960, les deux mots étaient synonymes, mais ici une nuance est introduite: Ainsi, si « une mégaforme peut inclure une mégastructure, une mégastructure n'est pas nécessairement une mégaforme ». Voir Kenneth FRAMPTON, Megaform as Urban Landscape, A. Alfred Taubman College of Architecture + Urban Planning, Université du Michigan, 1999, p. 40

373 Fumihiko M

AKI, op.cit., p.9

374

Ibidem, p.11

375

Oswald Mathias UNGERS, Erika MÜHITHALER (éd.), « Grossformen im Wohnungsbau », Veröffentlichungen zur

Architektur,n°5,TU Berlin, Berlin, décembre 1966. Publié plus tardivement dans Aujourd’hui : Art et Architecture,

n°57-58, Octobre 1967, pp.108-113

376

« Ce n'est que lorsqu'une nouvelle qualité est obtenue au-delà de la simple somme des parties individuelles, et qu'un niveau plus élevé est atteint, qu'une Grossform apparaît. La caractéristique principale n'est pas la taille

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l'expression d'une cohérence formelle, caractéristique relevée par Maki lorsqu’il évoque la mégaforme.

La Grossform met en scène l'existence d'un élément suraccentué, d’un élément contraignant supplémentaire, d’une figure et d’un thème, d'un système ou d'un principe d'ordre.377

Grossform peut prendre l’expression de catégories « fonctionnelles », la « rue » et « le plateau, mais peut aussi incarner des types architecturaux, le « mur » ou encore « la tour ». Ces deux dernières catégories expriment l’intérêt d’Ungers pour la forme.

Egalement opposé à la vision statique du master plan également, Ungers partage un point important sur la notion d’indétermination, d’imprévisibilité, lorsqu’il répond à la question:

« Pourquoi Grossform? ». Pour Ungers, Grossform « crée le cadre, l'ordre et l'espace prévu pour un processus imprévisible, non planifié et spontané - pour une architecture parasitaire. Sans cette composante, toute planification reste rigide et sans vie ».378

La mégaforme crée « un grand cadre dans lequel toutes les fonctions d'une ville ou d'une partie de ville sont logées »379.

Pour illustrer cette assertion, Ungers fait appel à l'imaginaire de la cité médiévale d'Arles. La capacité du cadre formel de la cité est ici déconnectée de la connotation sociale et de l'idéologie.

numérique. Une petite maison peut tout aussi bien être une Grossform au même titre qu'un immeuble d'habitation, un quartier ou une ville entière”. Oswald Mathais UNGERS, « Notes on Megaform », dans Oswald Mathias UNGERS, Erika MÜHITHALER (éd.), « Grossformen im Wohnungsbau », op.cit., p.6

377

Ibidem

378

Oswald Mathias UNGERS, Erika MÜHITHALER (éd.), « Grossformen im Wohnungsbau», op.cit., page non numérotée (traduction de l’auteur). Citation originale : « Warum Grossform ?... Di Antwort : Die Grossform schafft der Rahmen, die Ordnung und den geplanten Raum für einen unvorhersehbaren, nicht planbaren lebendigen Prozess, für einen parasitäre Architektur. Ohne diese Komponente bleibt jede Planung starr and leblos ».

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L'accent est explicitement mis sur les formes fortes typiques de l'architecture, capables d'intégrer l'interchangeabilité. Ici, la muraille de la cité, son caractère infrastructurel, structure l’organisation de la cité et permet des changements en son sein.

En 1969, Superstudio, dans un article de Domus, « Discorsi per immagini », évoque des préoccupations similaires en convoquant des imaginaires d’ordre typologique, infrastructurels, à travers une lecture de monuments trouvés. Lors d’une exposition qui s’est tenue à Graz et qui remonte au mois de Juin 1969, Superstudio propose une série de documents dans laquelle nous retrouvons un croquis proposant une infrastructure habitée, le viaduc.

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Ce viaduc prendra par la suite l’appellation Monumento Totale et Modello Architettonico di

una Urbanizzazione Totale380, puis le Monument Continu381. De par sa forme infrastructurelle, le projet évoque unilatéralement le projet visionnaire de Le Corbusier pour Alger, le plan Obus382. Ce dernier projet de 1930 devient le modèle central dans le développement du Monument Continu.

380

Italien Jugoslavwien Österrreich Dreiländerbiennale Trigon ’69, catalogue d’exposition, Graz, Künstlerhaus Graz Burgring, 1969, s.p.

381

SUPERSTUDIO, « Discorsi per immagini », Domus, n°481, décembre 1969, pp.44-45

382

Le viaduc du plan Obus accueille deux styles d’architecture en son sein : l’architecture moderniste et l’architecture de la Casbah. Le projet n’accueille pas la diversité potentielle du système support/infills

Figure 35 : Le Corbusier, Plan Obus (1930), Alger, vue aérienne

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Figure 36 : Superstudio, "Discorsi per immagini", 1969, planche illustrant en haut, les monuments trouvés, et en bas, les interprétations de Superstudio

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L'imaginaire évoqué dans les collages réalisés par les radicaux italiens fait indéniablement appel à la puissance de l'architecture, comme acte de création « apparaissant comme la seule alternative à la nature »383. Superstudio imagine un futur « dans lequel l'architecture tout entière sera le produit d’un acte unique et d’un seul “dessin” qui serait capable de clarifier une fois pour toutes les raisons ayant poussé l'être humain à ériger des dolmens, des menhirs, des pyramides, à concevoir des villes carrées, circulaires ou en étoiles - et finalement à tracer (ultima ratio) une ligne blanche dans le désert. Le viaduc Romain, la Muraille d'Adrien, les autoroutes, comme les parallèles et les méridiens, sont les signes tangibles de notre compréhension de la terre »384. Le Monument Continu incarne l’ « esthétique de l'éternité »385.

Le viaduc ou encore le projet du mur de Florence présenté par Superstudio et daté d’avril 1969, évoquent à leur tour l’insistance sur les aspects typologiques, comme le « Mur » d'Ungers.

383

SUPERSTUDIO, « Discorsi per immagini », op.cit. Ce texte a été publié en anglais dans Peter LANG, William MENKING,

Supersudio, Life Without Objects, Strika editore, Milan, 2003, p.122

384 Ibidem. Ces références de monuments trouvés, déjà présentes dans le catalogue de l’expostion de Graz, Trigon 69, seront récupérées dans l’article de Domus. Seule la Grande Muraille de Chine a été remplacée dans Discorsi per immagini, excluant ainsi toute géométrie sinueuse au profit de figure reconnaissable.

385 Kisho K

UROKAWA, Metabolism in Architecture, op.cit., p.10

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