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Partie 3 : le rôle du psychomotricien dans la régulation du mouvement

3. Le mouvement autour du patient

3.1. L'influence du mouvement de l'autre

Le travail autour de ces sous-composantes de l'image du corps permet de saisir toute la complexité de cette notion, toute son importance et sa fragilité. Cette image est indispensable dans la construction du sujet, dans sa conscience d'être. Réaliser un travail corporel avec les personnes déficitaires est un passage essentiel pour que celles-ci puissent habiter leur corps, car

« le corps n’est pas une chose, il est soi et se révèle à nous non comme un outil mais comme immédiat de l’exister » (Chirpaz, cité par Lesage, 2012, p 55). Nous l’avons vu au travers de

ces extraits de séances, accompagner les patients dans cette construction ou reconstruction de leur image du corps permet ainsi d’agir sur leur mouvement, de venir le réguler, leur permettant de découvrir une nouvelle économie du geste, une réorganisation des automatismes corporels mais surtout d'investir un autre mouvement tourné vers l'autre. Agir avec le patient est important, mais il faut également prendre en compte son environnement.

3.

Le mouvement autour du patient

En 1943, D.W. Winnicott affirmait qu'un bébé seul ne pouvait exister. En reprenant sa formulation je dirais qu'un patient seul ça n'existe pas non plus. Il est toujours à prendre au sein de son environnement qui l'influence très certainement dans sa façon d'être, dans sa construction et dans son mouvement.

3.1. L'influence du mouvement de l'autre

« Mais je pense que chez ces patients, la hâte pour courir derrière leur être nécessite le calme de notre regard, afin de revisiter leurs fissures et de coconstruire d’autres histoires, pour

réécrire leur processus de subjectivation. » (Guerra, Konicheckis, 2018, p. 143)

Vignette clinique : il s'agit de l'une des premières séances de Victor que je mène avec le soutien de ma maître de stage. J'arrive dans la salle avec mes propositions en tête, bien décidée à les réaliser avec Victor. La séance commence et comme à son habitude Victor circule. Je lui laisse un temps d'exploration puis j'essaye d'attirer son attention, mais rien n'y fait. J'ai beau faire du bruit, l'appeler, bouger dans l'espoir d’attiser sa curiosité, Victor continue son mouvement. Un peu déstabilisée et soucieuse de ce que ma maître de stage pourrait penser, je ne baisse pas les bras et je continue mon agitation afin d'entrer en relation avec lui : j'essaye de reprendre ses mouvements, de me déplacer avec lui, de faire du bruit,

80 de sortir plusieurs objets qui pourraient l'intéresser... sans résultat. La séance prend fin et me laisse un sentiment d'inachevé, d'incompréhension et surtout une grande fatigue.

A plusieurs reprises je vais revivre des séances comme celle-ci avec Victor, sans reconnaître mon mouvement. En effet, son mouvement impulsif et rapide est venu influencer le mien. D'une personnalité plutôt posée et calme, je me retrouvais à bouger tout autour de lui, lui proposant des activités, le stimulant davantage pour essayer d'attirer son attention afin d'entrevoir un prémisse de relation. C'est ce que M. Berger nomme l'effet de contamination :

« l'enfant « donne » un corps à la psychomotricienne en lui imposant la même anarchie rythmique que la sienne, de la même manière que l'autre, la mère, lui a « donné » sa rythmicité anarchique autrefois. » (Berger, 2005, p. 78) Victor vient « contaminer » mon mouvement par

son instabilité. Cela renvoie également au phénomène de contre-transfert corporel développée par Catherine Potel. Pour cette dernière « le thérapeute est « inspiré » – au sens presque

respiratoire du terme – dans ses gestes et dans ses intentions, par la relation à son patient »

(Potel, 2015b, p. 115). Le mouvement du patient vient faire résonance chez le thérapeute de façon inconsciente dans un premier temps. Tout son travail sera alors de conscientiser cet écho en lui, de percevoir ce qui relève de son mouvement, de ses affects et ce qui provient du patient. Prendre conscience de ce contre-transfert corporel permet de s'en servir ensuite au sein de la thérapie. C'est lors des séances de groupe « relaxation dynamique » que ce travail de conscientisation a vu le jour pour ma part, me permettant d'observer par la suite l'influence de mon mouvement sur le mouvement du patient.

Vignette clinique : le groupe « relaxation dynamique » a lieu dans une petite salle où les tapis recouvrent la majeure partie du sol. Des objets sensoriels sont disposés par terre. Les enfants sont libres de circuler dans l'espace et d'aller à la rencontre des thérapeutes s'ils le souhaitent. Les thérapeutes sont installés sur les tapis, dans une disponibilité physique et psychique pour accueillir les enfants et leur proposer des temps de toucher-massage et/ou de percussions osseuses. Il s'agit d'un moment de partage très agréable où règne une ambiance de détente et de sérénité. Les enfants ne sont pas obligés de rester pendant tout le temps auprès du thérapeute. C'est le cas notamment de Victor qui a besoin de s'en éloigner, de bouger, avant de revenir le temps d'un instant, plus ou moins bref, chercher ces stimulations corporelles. Une sorte de symbiose se met en place au fil de la séance où petit à petit les enfants viennent d'eux-mêmes se poser sur le tapis dans un état de détente. L'apaisement des thérapeutes est communicatif, venant « contaminer » le mouvement des enfants.

81 Ces séances de « relaxation dynamique » m'ont permis d'accepter le mouvement de l'autre comme il est. En effet, parfois au cours de ces séances, les enfants ne parvenaient pas à se poser, questionnant alors sur notre propre disponibilité pour les accueillir. Cependant, il faut accepter leur état du jour sans que cela impacte le nôtre, ce qui nécessite un recentrage sur son propre mouvement, un travail de conscience corporelle afin de percevoir son état du jour pour le différencier de celui du patient. S'agiter autour de l'enfant ne sert à rien, bien au contraire, cela ne fait que renforcer son mouvement, éloignant encore plus la relation. Ce phénomène correspond à ce que Daniel Stern nomme l'accordage affectif entre la mère et son enfant. La forme, la fréquence, le rythme des gestes du bébé s'adaptent à ceux de sa mère. L'enfant reproduit ainsi ce que lui donne à vivre la figure maternelle (Gatecel & al, 2011, p. 291-292). Cet accordage affectif peut être vécu lors des séances de psychomotricité où le patient calque son mouvement et sa rythmicité sur la personne faisant office de figure contenante, soit le thérapeute.

Jouer sur son propre mouvement, son propre rythme permet au patient d'explorer une nouvelle rythmicité, donne à vivre des nuances de mouvement au travers de cet accordage. Il est important pour tout individu d'explorer le mouvement sous toutes ses formes, qu'il soit lent ou rapide, car « se mouvoir de façon lente, continue, dans une direction donnée ne suscite pas

les mêmes éprouvés psychiques qu'un mouvement rapide, saccadé, changeant sans cesse de direction » (Lesage, 2011, p. 78). C'est sur ce constat que je me suis appuyée pour proposer à

Mme D. de participer au groupe « expressivité corporelle », groupe composé de trois autres dames à la temporalité plutôt lente. Cependant cet accordage a été rendu compliqué par les difficultés de Mme D. pour percevoir la structure rythmique du mouvement en lien avec sa désorientation spatio-temporelle. Or, cet accordage corporel et rythmique est important car il permet la relation : « la mise en phase des rythmes des uns et des autres apparaît alors comme

le passage obligé de la rencontre et du contact. » (Golse, 2019, p. 94) Cette difficulté

d'accordage chez Mme D. a pu se faire sentir dans sa relation à l'autre, n'étant pas toujours à l'écoute de ce que son partenaire pouvait renvoyer.

Lorsque l'on observe le mouvement de la personne il faut ainsi prendre en compte son propre mouvement et son état du jour, l'environnement autour d'elle et ses capacités à percevoir le mouvement de l'autre et de s'y adapter. Son propre mouvement devient alors un allié incroyable pour réguler celui de l'autre.

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