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Influence du mode d’accouchement

CHAPITRE 5 : Exposition antigénique dans la petite enfance : intérêt officinal

2) Influence du mode d’accouchement

2.1) Contexte

Actuellement dans la plupart des pays à revenu élevé, plus d’une femme sur quatre accouche par césarienne (457). Même dans les pays à faible revenu, certaines femmes sont sujettes à des taux très élevés de césariennes. (458)

Les taux d'induction du travail augmentent considérablement et jusqu'à 50% des femmes et des nouveau-nés en travail reçoivent des antibiotiques (459). Il est de plus en plus évidents que ces interventions ont des effets cliniques. (460)

Ces dernières années des auteurs ont examiné l'augmentation rapide des interventions périnatales telles que les césariennes (461, 462), l'utilisation d'antibiotiques (459), les taux d’alimentation du lait maternisé, et l'association éventuelle à une augmentation similaire des cas d’asthme et de troubles atopiques dans le monde (463).

2.2) Conséquences microbiennes de la césarienne

Lors de l'accouchement vaginal, le contact avec la flore vaginale et intestinale de la mère est une source importante pour le début de la colonisation du nourrisson. Pendant la césarienne, ce contact direct est absent et les bactéries environnementales d'origine non maternelle jouent un rôle important dans la colonisation intestinale du nourrisson. (464) Une partie des microbes auxquels le nouveau-né est exposé lors de la naissance colonise les niches de son organisme et contribuera au microbiote hébergé par les différents territoires de l’organisme humain, cela permettant de stimuler son système immunitaire par une exposition antigénique massive (465). De plus en plus d'accouchements évitent la voie basse, et de fait ces nouveau-nés peuvent ne pas être exposés à ces micro-organismes à la naissance. Les différences dans les modes d'accouchement ont été liées à des modifications dans le microbiote intestinal au cours des premiers jours de vie, et le microbiote étant un partenaire primordial de l’immunité au début de la vie, il est fort probable que le mode d’accouchement ait des conséquences immunitaires et cliniques. (466, 467, 468, 469)

Les communautés bactériennes initialement présentes sur la mère servent de source première et directe de bactéries protectrices bénéfiques (ou pathogènes) très tôt dans la vie. Une étude récente de Dominguez-Bello MG et al montre précisément les premiers stades de la

colonisation du corps par les microbes, que nous avons déjà abordés dans la seconde partie. Les bébés nés par voie vaginale étaient principalement colonisés par Lactobacillus, alors que les bébés nés par césarienne étaient colonisés par un mélange de bactéries moins bénéfiques et potentiellement pathogènes que l'on trouve généralement sur la peau et dans l’environnement du milieu hospitalier, comme entre autres Staphylococcus et Acinetobacter, ce qui peut amener à penser que les bébés nés par césarienne ont été colonisés avec de la flore cutanée. (100, 130)

La flore vaginale fournit aux nourrissons nés par cette voie leur premier inoculum microbien ex utero. Le microbiote cutané et oral de nourrissons nés par voie basse quelques instants après la naissance et du rectum 24 h après la naissance ressemble beaucoup au microbiote vaginal de la mère (100). En revanche, le microbiote des bébés nés par césarienne ressemble beaucoup aux microbes de la peau et ne ressemble pas davantage à celui de leur mère qu’au microbiote de la peau d’une autre femme. Par exemple, dans une étude de Bäckhed F et al. portant sur des nourrissons suédois et leurs mères, 72% des espèces détectées dans les selles des nourrissons nés par voie vaginale une semaine après leur naissance étaient également présentes dans les selles de la mère. En comparaison, les enfants nés de césarienne ont vu cette proportion diminuer à 40%. (448)

Dans une autre étude, il a été constaté que le microbiote des enfants nés par césarienne était aussi moins diversifié au cours de la première semaine de vie, abritait moins de Bifidobacteriaceae, Enterobacteriaceae, Bacteroides et Lactobacilli, et une plus grande abondance relative d'Hemophilus, Veillonella, Clostridiaceae et Klebsiella que les enfants nés par voie basse (470). En outre, l'abondance accrue de Clostridiaceae était détectable jusqu'à 2 mois, et la diversité et l'abondance relative de Bifidobacteria et de Bacteroides étaient toutes deux détectables jusqu'à l'âge de 3 mois. Cependant, le microbiote des nourrissons quel que soit le mode de naissance est devenu de moins en moins identifiable au bout de trois à six mois de vie, ce qui montre une influence de stabilisation et de convergence de l'environnement. Cela a de nouveau été noté dans des études plus récentes, où le microbiote des nourrissons différait selon le mode d'accouchement à la naissance pour les narines, la bouche et la peau, quelques différences étant encore observées à l'âge de 6 semaines mais pas après (471). Une autre enquête de Bokulich NA et ses collaborateurs portant sur 24 nouveau- nés nés selon les deux modes a montré que, même si le microbiote des selles des deux groupes convergeait vers 2 ans cette fois, les bébés nés par césarienne étaient moins colonisés par le genre Bacteroidales au cours de la première année de vie, tandis que d'autres taxons tels que les Clostridiales et Enterobacteriaceae étaient présents en quantité abondante.

L’exposition antigénique dans les premiers mois de vie est donc modifiée (466, 472). Gronlund et ses collaborateurs ont confirmé que la flore intestinale primaire chez les nourrissons nés par césarienne pouvait être perturbée jusqu'à 6 mois après la naissance. (467) Une autre étude utilisant des techniques basées sur la culture des bactéries du microbiote a montré que le mode d’accouchement était associé à des différences de microbes intestinaux jusqu’à 7 ans après l’accouchement (473). Les conclusions au sujet de la durée de la perturbation diffèrent donc selon les études, il existe néanmoins un consensus quant à leur influence.

2.3) Conséquences cliniques pour les enfants nés par césarienne

Une étude très récente, la plus grande sur le microbiome des nouveaux-nés, et dirigée par Trevor Lawley a montré l'importance du mode de naissance, et combien le microbiome d'un enfant né par césarienne est différent de celui des enfants nés par voie vaginale, ceux nés par césarienne ayant un microbiome constitué de microbes présents dans les hôpitaux, notamment d'agents considérés comme pathogènes et de moins de bactéries commensales (474). Il est de plus en plus évident que les bactéries intestinales jouent un rôle important dans le développement postnatal du système immunitaire. Ainsi, si la flore intestinale évolue différemment selon le mode d’accouchement, le développement postnatal du système immunitaire pourrait également être différent. Les données épidémiologiques disponibles montrent que les maladies atopiques, c’est-à-dire impliquant une prédisposition génétique à l’hypersensibilité à un antigène, apparaissent plus souvent chez les nourrissons après une césarienne qu’après un accouchement par voie vaginale. (475, 476, 477, 478)

Ainsi, Thavagnanam S et ses collaborateurs ont montré après analyse de la littérature et des études existantes que l'accouchement par césarienne a été associé à l'asthme, avec une augmentation de 20% du risque d’asthme chez les enfants nés par césarienne (479), d'allergies (480), de diabète de type 1 (481), probablement en raison d'une exposition réduite aux microbes de la mère lors de l'accouchement.

La naissance par césarienne entraîne donc un retard du développement du microbiote intestinal, dont l’implantation et la nature des micro-organismes peuvent être modifiés, entraînant une évolution inhabituelle de celui-ci et nécessitant davantage de temps pour se régulariser et atteindre la composition optimale d’un adulte (100). Cela est associé à une

augmentation du diabète de type 1 (481, 482) et de l'asthme (479, 483) alors qu'une augmentation du contact avec le microbiote maternel peut avoir un effet protecteur. (484)

L'ordre de naissance dans une fratrie module également le microbiote intestinal. En effet, Penders et al ont montré qu’avec l'augmentation du nombre de frères et sœurs plus âgés, les taux de colonisation à l'âge de 5 semaines de lactobacilles et de bactéroïdes augmentaient, alors que les taux de Clostridia diminuaient. La colonisation par les clostridies, à l'âge de 5 et 13 semaines, était également associée à un risque accru de développer un trouble immunitaire au cours des 6 mois suivants. Ceci explique probablement la protection contre les troubles allergiques imputables au fait d'avoir des frères et sœurs plus âgés, ce qui était la théorie de Strachan (175, 485). Il avait constaté que plus les enfants britanniques avaient de frères et sœurs, moins ils étaient susceptibles de développer un rhume des foins. Il expliquait alors que les allergies pouvaient être bloquées par de multiples infections contractées durant l’enfance, par des contacts non hygiéniques entre frères et sœurs.

Bien que les études épidémiologiques aient démontré que l’accouchement par césarienne entraînait un risque accru de maladies allergiques dans l’enfance, des facteurs concomitants pouvaient également jouer un rôle. Les données disponibles provenant de plusieurs études indiquent un début d'allaitement retardé avec césarienne, l’allaitement conditionnant aussi le développement du microbiote (486, 487). Ainsi, de nombreux nourrissons nés par césarienne n'avaient pas non plus le soutien précoce du lait maternel en tant que stimulateur d'une flore intestinale physiologique. La mise en place désorganisée et non physiologique de la colonisation ainsi que le manque de soutien alimentaire précoce dû au retard du début de la lactation pourraient avoir ces effets à long terme sur l’exposition antigénique et le développement du système immunitaire.

Une étude observationnelle sur des nourrissons atopiques et non atopiques a mesuré la réponse immunitaire aux allergènes et montré comment une régulation immunitaire défaillante au contact d’un microbiote modifié par l’accouchement conduit à une allergie, par la production supérieure de cytokines Th2 telles que l’IL-4, l’IL-6 et l’IL-13 et une production défectueuse d’IFNɣ (488). Les nourrissons non atopiques initialement (dans la période néonatale) ont présenté une réponse Th2 aux allergènes plus grande que les nourrissons atopiques, stimulant ainsi la production d’IgE impliquées dans les réactions allergiques. Chez les nourrissons non atopiques, cette réponse Th2 a été progressivement supprimée au cours des deux premières années de la vie. Chez les nourrissons atopiques, cette réponse a progressivement augmenté au cours de la même période. Des données plus récentes ont

démontré que les accouchements par césarienne provoquent une colonisation retardée et une prédominance des réponses Th2 prolongées, ce qui pourrait expliquer un mécanisme par lequel la sensibilisation aux allergènes entraîne une réponse immunitaire croissante (plutôt que décroissante). (446)

L'accouchement par césarienne a été associé à plusieurs reprises à la rhinite allergique et à l'asthme. Une caractéristique particulièrement frappante de ces données est que les accouchements par césarienne à répétition sont associés encore plus fortement aux maladies allergiques (489). Les nourrissons nés par césarienne programmée sont probablement les moins exposés à la flore vaginale maternelle: ces accouchements sont programmés et ont généralement lieu avant la rupture des membranes. En revanche, les nourrissons nés d'une césarienne émergente ont probablement eu une rupture de la membrane pendant un temps considérable et ont probablement été exposés à des sécrétions vaginales pendant le travail.