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Chapitre VIII. Synthèse des acquis

VIII.2. Influence de la fertilisation potassique sur la réponse des plantations

VIII.2.1. Fonctionnement carboné

L’influence forte des régimes de fertilisation et d’approvisionnement en eau (après fermeture de la canopée) sur la GPP observée dans nos plantations d’Eucalyptus (chapitre IV, Christina et al., 2015) est commune en plantation forestière. Ainsi, une fertilisation a augmenté la GPP de 75 % dans des plantations d’E. grandis de 6 ans au Brésil (Epron et al., 2012) et de 34 % dans des plantations d’E. saligna à Hawaii (Giardina et al., 2003). De manière similaire, des expériences d’exclusion de pluie à long terme montrent que la GPP et la production primaire nette (NPP) sont sensibles aux distributions de précipitations dans différents écosystèmes (Wu et

al., 2011), mais cet effet varie fortement en fonction du site d’étude. Une exclusion de 27 % des

pluies réduit la GPP de 14 % dans des forêts de Quercus ilex en France (Misson et al., 2010) alors qu’une exclusion de 35-41 % des précipitations dans la forêt amazonienne brésilienne pendant 7 ans a réduit la NPP aérienne jusqu’à 62 % (Brando et al., 2008). Cette variabilité de la réponse en fonction du site d’étude a également été soulignée par des études de modélisation. Par exemple, Luo et al. (2008) prédisent qu’une réduction de moitié des précipitations, dans les écosystèmes forestiers en Europe du Nord, États-Unis et au Brésil, diminuerait la NPP de 10 à 50 % selon le site.

Au-delà du simple constat d’une réduction de la productivité des forêts plantées et naturelles tropicales sous l’influence de disponibilités contrastées en eau et nutriments, l’approche de modélisation présentée dans le chapitre IV (Christina et al., 2015) nous permet de séparer les différents facteurs responsables des changements de GPP constatés en réponse aux traitements appliqués. La diminution de GPP en réponse à une déficience en K et en eau par rapport à un peuplement d’Eucalyptus recevant des apports non limitants en nutriments et une pluviométrie annuelle d’environ 1500 mm, résulte d’une diminution tant du rayonnement absorbé (aPAR) que d’une diminution de l’efficience d’utilisation de la lumière (LUES). La diminution de l’aPAR résulterait essentiellement d’une diminution de LAI (Laclau et al., 2009; Epron et al., 2012; Battie-Laclau et al., 2014a; Christina et al., 2015b). De son côté, la diminution constatée de l’efficience d’utilisation de la lumière pour l’assimilation du carbone (LUEC) en réponse à une carence en K et une réduction de pluie résulte d’une réduction de la capacité photosynthétique des arbres ainsi qu’une variation de leur capacité à absorber l’eau dans le sol (Christina et al., 2015). La diminution de LUEC sous réduction de pluie résulte également directement de la quantité retirée de pluie, mais uniquement pour les plantations fertilisées en K. La quantité de pluie retirée par exclusion des pluies n’a, à elle seule, aucun impact sur la LUEC

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photosynthétique pour la conversion de la lumière en énergie fut observée pour des arbres tropicaux, du fait de l’augmentation du rendement quantique du photosystème II (Pasquini & Santiago, 2012). De manière similaire, une forte réponse des paramètres photosynthétiques à la disponibilité en K fut observée chez l’Eucalyptus (Battie-Laclau et al., 2014b), le coton (Gerardeaux et al., 2010) ou le riz (Weng et al., 2007). La diminution de LUEC, en réponse à un déficit hydrique, pourrait provenir de la dissipation de l’énergie d’excitation à travers des procédés autres que photosynthétiques, comme montrés pour des arbres méditerranéens (Martinez-Ferri et al., 2000). La diminution de LUEC en réponse à un déficit hydrique et potassique peut également provenir d’une réduction de la capacité des arbres à absorber l’eau du sol. Dans nos plantations d’Eucalyptus, les arbres furent capables d’absorber l’eau du sol jusqu’à des contenus en eau du sol (SWC) plus faibles dans les parcelles avec réduction de pluie que dans les parcelles avec pluie non perturbée. En augmentant le stock d’eau dans le sol accessible pour les arbres, ce phénomène réduit l’effet négatif de l’exclusion des pluies sur LUEC. Un déficit en K entraine le phénomène inverse, l’absorption en eau ne peut pas avoir lieu à des humidités du sol aussi faibles que dans un traitement avec apport de K, ce qui diminue la LUEC. La capacité des plantes à extraire l’eau du sol dépend aussi de l’exploration des couches de sol par les racines fines, qui est très sensible aux disponibilités en éléments nutritifs et en eau. En effet, l’effet de la sécheresse sur la croissance des racines dans les couches profondes du sol est bien documenté (Dardanelli et al., 1997; Cotrufo et al., 2011), ainsi que l’effet dépressif de la carence K sur la biomasse de racines fines (Spollen et al., 1993; Egilla et al., 2001; Sangakkara

et al., 2010). Des études sur ce thème dans notre expérimentation ont montré que le front

racinaire des Eucalyptus fertilisés en K atteint, à 36 mois, 17 m dans les parcelles avec réduction de pluie et 16 m lorsque la pluie n’est pas perturbée (Bordron, in prep.). Pour des arbres déficients en K, le front racinaire atteint 15 m dans les parcelles avec réduction de pluie et 16 m lorsque la pluie n’est pas perturbée. Ces informations ainsi que les densités de racines fines mesurées tout au long des profils de sols chaque année dans les différents traitements ont permis une représentation fine de la dynamique d’exploration du sol par les racines dans les traitements étudiés

Alors que nos travaux et les études décrites dans cette synthèse ont montré une forte influence de la réduction des pluies sur la GPP des forêts plantées et fortement fertilisées, les résultats présentés dans le chapitre IV (Christina et al., 2015) montrent que l’impact d’une réduction des pluies sur la productivité des plantations d’Eucalyptus est quasi nul lorsque la carence en K est forte. Le même constat peut être fait en terme de NPP aérienne au cours de 3 années de croissance sur le même site (Battie-Laclau et al., in prep. ; annexe 3). Même avec un tiers de réduction de pluie, les Eucalyptus déficients en K ont une surface foliaire réduite de moitié par rapport à des arbres fertilisés ce qui réduit considérablement la transpiration entre deux évènements pluvieux. L’accumulation d’eau dans les couches profondes du sol au cours de la saison des pluies est donc bien supérieure pour les arbres déficients en K que pour des arbres fertilisés ce qui permet de réduire considérablement le stress hydrique pendant la saison sèche (chapitre VI).

Page 195 VIII.2.2. Fonctionnement hydrique

Transpiration des arbres

Dans les différentes études de cette thèse, nous avons montré que les disponibilités en K et en pluie présentaient une influence forte sur le fonctionnement hydrique des Eucalyptus (chapitre VI, Battie-Laclau et al., 2014, in prep. ; annexe 3). Tout au long de la croissance des arbres, la transpiration a été réduite de moitié dans les plantations déficientes en K. Cette diminution est associée à des potentiels foliaires moins négatifs, particulièrement en saison sèche, ainsi qu’à des conductances stomatiques plus faibles (Battie-Laclau et al., 2014). En plus de l’effet sur les conductances, les faibles transpirations des arbres déficients en K proviennent aussi d’une réduction de moitié de la surface foliaire. De manière similaire, une réduction des pluies conduit à une diminution de la transpiration et de la conductance stomatique. Cette diminution intervient néanmoins plus tard dans la croissance, après fermeture de la canopée (~2 ans après plantation, chapitre VI). Contrairement à une déficience en K, un déficit en eau induit des potentiels foliaires plus négatifs, particulièrement en saison sèche (Battie-Laclau et al., 2014), révélant un stress hydrique plus fort en période de sécheresse. Les disponibilités en K et en eau influencent fortement les patrons de prélèvement hydrique dans le sol (chapitre VI). La déficience en K n’influence guère la distribution des racines dans nos plantations d’Eucalyptus, mais les prélèvements sont plus superficiels en raison d’une plus faible demande qui permet une accumulation d’eau en surface entre deux évènements pluvieux. Au contraire, lorsqu’un tiers des pluies est exclu des parcelles, les Eucalyptus doivent prélever l’eau plus profondément, car l’eau arrivant en surface est prélevée très rapidement entre deux pluies. De manière similaire à ce qui fut montré dans de nombreuses études (Dardanelli et al., 1997; Meier & Christoph, 2008; Cotrufo et al., 2011), la croissance des racines dans les couches profondes du sol a augmenté en réponse à la réduction de disponibilité en eau due à l’exclusion d’un tiers des pluies. Une forte augmentation de la quantité d’eau prélevée dans la nappe phréatique à une profondeur de près de 15 m est mise en évidence par nos simulations dans les parcelles d’Eucalyptus avec réduction de pluies.

Comme indiqué précédemment pour la lumière, l’efficience d’utilisation de l’eau pour la production de biomasse de tronc (WUES) tend à augmenter avec la disponibilité en eau et en K (Battie-Laclau et al., in prep ; annexe 3). Néanmoins contrairement à la lumière (LUEC), cette augmentation résulte uniquement d’une augmentation de l’allocation du C vers le tronc, car la WUE intrinsèque (définie comme le rapport entre la photosynthèse nette des feuilles et leur conductance stomatique) ainsi que la WUE instantanée (définie comme le rapport entre la photosynthèse nette des feuilles et leur transpiration) ne sont pas impactées par la fertilisation en K et le régime de pluie. Une corrélation positive entre WUES et la vitesse de croissance des

Eucalyptus a été montrée dans d’autres études (Binkley et al., 2004; Stape et al., 2004).

Les travaux présentés dans cette thèse montrent qu’une réduction d’environ un tiers des pluies n’a que peu de conséquences sur la transpiration et les prélèvements hydriques dans le sol (chapitre VI) pour des plantations d’Eucalyptus non fertilisées en K au Brésil, ainsi que sur la

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conductance stomatique et le potentiel hydrique foliaire (Battie-Laclau et al., 2014). Ces résultats renforcent le constat fait dans la section précédente que des plantations faiblement fertilisées sont beaucoup moins sensibles à une réduction de la disponibilité en eau que des plantations dont la croissance n’est pas limitée par la disponibilité en nutriments.

Stress hydrique des Eucalyptus et controverse concernant l’interaction entre nutrition potassique et sécheresse

Les sécheresses associées au courant côtier El Niño peuvent augmenter brutalement la mortalité des arbres dans certaines régions tropicales. Ainsi, des études ont montré une augmentation de la mortalité des arbres de 2 à 26 % par an à Bornéo (Van Nieuwstadt & Sheil, 2005), de 1.1 à 1.9 % en Amazonie (Williamson et al., 2000), de 2 à 3 % au Panama (Condit et

al., 1995) ou encore de 0.9 à 4.3 % en Malaisie (Nakagawa et al., 2000) en raison de ces

sécheresses. Plus généralement, une réduction des précipitations conduit souvent à une augmentation de la mortalité dans les forêts tropicales, comme cela a pu être observé dans des expériences de réduction de 40 % des pluies en forêt amazonienne (Brando et al., 2008). Une autre étude en forêt amazonienne montre une augmentation de 28 % de la mortalité des arbres à la suite d’exclusions de 60 % des pluies pendant les saisons des pluies (Nepstad et al., 2007). L’augmentation de la mortalité des arbres était plus importante pour les arbres dominants que pour les arbres dominés dans ces forêts (Nepstad et al., 2007). Bien que nos études n’aient pas révélé d’augmentation de la mortalité des arbres, une augmentation forte du stress hydrique a été observée dans nos plantations d’Eucalyptus au Brésil en réponse à des précipitations réduites (chapitre VI).

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Fig. VIII.2. Diagramme représentant le rôle du potassium dans la résistance à la sécheresse des cultures agricoles, issu de la synthèse de Wang et al. (2013) concernant le rôle du potassium dans la résistance aux stress biotiques et abiotiques en agriculture.

En agriculture, le K est perçu comme un composé permettant d’augmenter la résistance des cultures à la sécheresse (Wang et al., 2013). Le K a en effet des rôles très variés en physiologie végétale (Fig. VIII.2). Le K va intervenir dans l’élongation des cellules pendant les périodes de sécheresse en stimulant la production de racines (Egilla et al., 2001), et dans le maintien de la stabilité des membranes cellulaires, en améliorant la rétention de l’eau dans les tissus de la plante (Lindhauer, 1985). Une déficience en K limite l’activité des aquaporines, car leur expression est fonctionnellement co-régulée avec l’expression des transporteurs de K pour maintenir un état osmotique de la plante approprié pendant des périodes de sécheresse (Liu et al., 2006). Une nutrition potassique adéquate peut permettre d’utiliser plus efficacement l’eau par l’ouverture ou la fermeture rapide et complète des stomates (Dietrich, 2001) et ajuster ainsi de manière plus efficace le potentiel osmotique de la plante en période de sécheresse (Marschner, 2012).

Néanmoins, cette vision de l’effet bénéfique du K en agriculture n’est pas nécessairement valable dans le cas des plantations forestières tropicales. Les études présentées dans le chapitre VI montrent que, bien que les plantations d’Eucalyptus fertilisées au Brésil soient relativement peu soumises à de forts stress hydriques avec une pluviométrie d’environ 1500 mm an-1

, une réduction des précipitations peut entrainer une augmentation considérable du stress hydrique pour des arbres fortement fertilisés en K. Au contraire, pour les plantations carencées en K, la réduction de pluie augmente beaucoup moins le stress hydrique.

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Nos résultats confirment dans le cas du potassium des résultats obtenus précédemment en Australie suggérant qu’une fertilisation réduite en azote permet de diminuer le stress hydrique des plantations d’Eucalyptus en période de sécheresse (White et al., 2009). Des augmentations de mortalité des arbres ont en effet été montrées pour les plantations d’Eucalyptus en réponse à une fertilisation en azote (Stoneman et al., 1997). Malgré les effets bénéfiques d’un apport en nutriment, et particulièrement en K, sur la résistance des plantes aux stress abiotiques (Reddy et

al., 2004), cet effet positif peut compromettre la survie des arbres en cas de sécheresse

exceptionnelle dans les plantations à croissance rapide. La fertilisation en K augmente la production de biomasse et la surface foliaire (Laclau et al., 2009; Epron et al., 2012) ainsi que l’activité photosynthétique des feuilles (Battie-Laclau et al., 2014b). En période de sécheresse, un tel comportement conduit à des demandes importantes en eau et par conséquent nécessite un environnement de sol non limitant en eau (Brando et al., 2008; Muller et al., 2011). Comme nous l’avons montré, la conséquence directe d’une forte demande en eau des arbres est une diminution rapide des stocks d’eau disponible dans le sol qui peut conduire à des stress hydriques élevés, même pendant des saisons des pluies lorsque les précipitations sont limitées. Au contraire, une fertilisation suboptimale réduisant le LAI (et donc dans une certaine mesure la production de biomasse) diminue le stress hydrique des arbres en augmentant les ressources en eau dans les couches profondes du sol, même sous un régime de précipitations réduites d’environ un tiers.