• Aucun résultat trouvé

Chapitre V. Discussion générale: bilan, limites et perspectives

V.1. La contamination en MMHg d’un prédateur reflète-t-elle la contamination du

V.1.3. Influence de la biodisponibilité du MMHg

La profondeur de plongée d’un prédateur influe directement sur la quantité de MMHg assimilé à la base de leur chaîne alimentaire (cf. §VI.1.2). Cependant, en plus de cette variation verticale de MMHg, l’intensité de la méthylation et sa zone de production relative dans la colonne d’eau peuvent varier d’une région à l’autre. Généralement le pic de MeHg est observé dans les eaux profondes, suboxiques, où la reminéralisation de la matière organique a lieu (Munson et al., 2015; Bowman et al., 2016; Kim et al., 2016). Dans le Pacifique équatorial, les zones de fortes productivités présentent les concentrations en MeHg les plus élevées liées, à des zones de reminéralisation plus intenses en surface. L’upwelling côtier américain a la particularité de présenter un maximum de MeHg dans les 200 premiers mètres de la colonne d’eau (Bowman et al., 2016), alors que les maximum de MeHg sont

Chap. V. Discussion générale: bilan, limites et perspectives

134 généralement retrouvés vers 600 m de profondeur dans le WCPO (Point et al., données non publiées; Kim et al., 2016).

Similairement, Munson et al., (2015) ont trouvé des eaux épipélagiques (<200 m) plus enrichies dans le Pacifique nord et le Pacifique est-équatorial par rapport au Pacifique subtropical-sud. C’est dans ces mêmes zones que les concentrations les plus élevées en MMHg ont été observées pour le phytoplancton, le zooplancton, les thons obèses et jaunes (Ferriss et Essington, 2011; Gosnell et Mason, 2015; Araújo et Cedeño-Macias, 2016). Dans notre zone d’étude, les concentrations les plus fortes de MeHg sont généralement retrouvées en profondeur, dans la zone mésopélagique (>200 m) avec des eaux de surface moins concentrées en MeHg (cf. Figure 3.10 du chapitre III). Ainsi, la profondeur de plongée des thons semble bien être l’un des facteurs primordiaux contrôlant leur exposition au MMHg dans le WCPO. Cette hypothèse concerne majoritairement les thons obèses qui possèdent la plus grande capacité de plongée et pour lequel les données de marquage électronique et de contenus stomacaux supportent cette hypothèse entre la partie ouest-équatoriale (WARMm) et la partie sud-ouest (ARCHm) du WCPO. Cependant, les deux autres espèces étudiées présentent également un gradient latitudinal de MMHg entre ces deux régions, mais avec une amplitude de variation moins importante.

En l’absence de données de marquage électronique pour ces deux espèces confirmant ou pas un habitat vertical différent entre ces deux zones, on peut suggérer que de plus fortes concentrations en MeHg dans les eaux épipélagiques situées en dessous de 15°S soient à l’origine des plus fortes concentrations en MMHg pour les thons germons et jaunes et contribuent également aux patrons géographiques des thons obèses. La zone épipélagique de la région ARCHm est caractérisée par un « pic » de MeHg supplémentaire (~200 fM) à 150 m de profondeur en plus du pic principal situé vers 600 m dans la zone de reminéralisation de la matière organique (~400 fM). Ce type de profil atypique en double « pic » a déjà été relevé en Méditerranée et associé à de la production biotique de MeHg dans la zone euphotique, possiblement par des organismes picoplanctoniques (Heimbürger et al., 2010; Cossa et al., 2012). Similairement à ce qui a été observé en Méditerranée, il se pourrait que les organismes fixateurs d’azote, principalement rencontrés entre la Nouvelle-Calédonie et Fidji (Shiozaki et al., 2014), influencent de façon directe ou indirecte une partie de la production de MeHg dans les eaux de surface en plus de la diffusion verticale du MeHg produit en profondeur. Cette production additionnelle de MeHg en surface viendrait augmenter la biodisponibilité du

Chap. V. Discussion générale: bilan, limites et perspectives

135 MMHg pour les chaînes alimentaires de surface et ainsi mènerait à des concentrations en MMHg plus importantes pour les prédateurs épipélagiques comme les thons jaunes. Il n’est cependant pas exclu que les thons jaunes puissent aussi plonger plus profondément.

En conclusion, la concentration en MMHg contenu dans le muscle des thons tropicaux dépend de nombreux facteurs qu’ils soient biologiques (âge) mais aussi écologiques (niveau trophique et profondeur d’alimentation) en relation avec la biodisponibilité du MMHg à la base des chaînes alimentaires auxquelles ils appartiennent. Notre étude ne permet cependant pas de statuer ni de classifier avec précision l’importance respective des facteurs expliquant les variations spatiales observées pour les thons. Les plus fortes concentrations proches de la Nouvelle-Calédonie (ARCHm) sont vraisemblablement la résultante combinée (i) de niveaux trophiques plus élevés, (ii) d’une disponibilité supérieure en MMHg dans la zone épipélagique et (iii) d’un habitat vertical différent (Figure 6.1).

Chap. V. Discussion générale: bilan, limites et perspectives

136

Figure 6.1. Schéma conceptuel de l’exposition au monométhylmercure (MMHg) des thons obèses (BET) et jaunes (YFT) lié à leur profondeur d’habitat entre le Pacifique équatorial ouest (WARMm) et le Pacifique sud-ouest (ARCHm), modifié d’après Blum et al. (2013).

Chap. V. Discussion générale: bilan, limites et perspectives

137 L’utilisation des thons comme bioindicateurs de la quantité de MMHg dans un bassin océanique ou pour des études temporelles ne peut donc pas se passer de l’étude de leur écologie alimentaire, et de leur comportement de plongée qui est susceptible de changer autant dans l’espace que dans le temps. Certaines études critiquables ont tenté de relier les concentrations en MMHg enregistrées dans les thons avec les diminutions ou augmentations (selon le lieu d’étude) des émissions de Hg dans l’atmosphère sans pour autant étudier en détail leurs écologies alimentaires (Drevnick et al., 2015; Lee et al., 2016). Ce raccourci trop rapide est générateur d’erreurs d’interprétation, compte tenu de la complexité du transfert du Hg gazeux jusqu’au Hg en bout de chaîne alimentaire sous forme organique. En plus de la variation temporelle de Hg dans l’atmosphère et dans l’océan de surface, d’autres mécanismes liés potentiellement aux changements climatiques ou à la pêche peuvent intervenir. Le changement de taux de croissance, la modification de l’intensité de la méthylation et de l’habitat vertical des thons liés aux extensions de zones de minimum d’oxygène ainsi que la diminution de taille des organismes phytoplanctoniques en lien avec l’augmentation de la température des eaux de surface et de possible diminution de la productivité des océeans peuvent tout autant modifier l’exposition à long terme du MMHg d’une espèce bioindicatrice indépendamment de la concentration en MMHg dans le milieu (Polovina et al., 2008; Polovina et Woodworth, 2012; Williams et al., 2012).