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Incitations, ressources et contraintes

Chapitre 4 : Activités des parties prenantes dans une économie verte

4.3 Incitations, ressources et contraintes

Après avoir identifié les principaux interve-nants, nous allons nous intéresser aux inci-tations, aux ressources et aux contraintes auxquelles ils sont le plus souvent confrontés, afin de comprendre ce qui retient leur inté-rêt et ce qui le diminue. Quatre principaux acteurs influent sur la transition vers l’écono-mie verte dans divers pays et secteurs (voir fig. IV). Il s’agit notamment des institutions gouvernementales, du secteur privé, des or-ganisations de citoyens et de la société civile, et des partenaires du développement. Ce que visent avant tout les gouvernements est le dé-veloppement global de l’économie (mais pas exclusivement l’économie verte). Le passage à une économie verte suppose de changer les priorités d’investissement vers des domaines qui se prêtent à la reconversion écologique Figure 4

Intérêts en jeu dans le développement de l’économie

• les moyens de subsistance sont durables/protecti on des droits

• règles du jeu équitables sur le marché/opératio ns commerciales

• Assurer les meilleures pratiques;

soutien financier

• Développement global de l'économie

Gouvernement/ institutions

publiques

Partenaires de développement/

donateurs

Intérêts du citoyen/

société civile Intérêts du

secteur privé

des secteurs économiques ; des fonds subs-tantiels sont également nécessaires, ce qui, au regard des moyens et priorités actuels, peut constituer un obstacle majeur pour les gou-vernements et les partenaires de développe-ment. Il s’agit alors de mettre les ressources limitées au service des secteurs prioritaires.

Faire preuve de dynamisme et de détermina-tion est essentiel pour inscrire le développe-ment dans la durée. Les partenaires de déve-loppement, quant à eux, qui sont les bailleurs de fonds, entendent assurer les meilleures pratiques, notamment l’intégration de la tran-sition vers l’économie verte dans le processus de développement.

4.3.1. Gouvernement et organismes publics

Le gouvernement, en charge de la planification macroéconomique, doit formuler clairment les objectifs d’un pays et la manière dont l’ac-tion publique sera mise en œuvre, y compris son financement et le calendrier. Les orienta-tions peuvent différer d’un pays à l’autre, mais la réflexion est généralement guidée par le désir de mettre les atouts naturels au service de la transformation économique et sociale, par exemple l’action en faveur de l’économie verte engagée par le Burkina Faso et le Congo, ou la volonté d’assurer la croissance écono-mique en respectant les contraintes environ-nementales tout en améliorant le bien-être humain, en réduisant la pauvreté et les iné-galités, comme en témoignent les stratégies pour une économie verte en Éthiopie et au Rwanda. D’autres considérations peuvent in-tervenir : favoriser le développement à faible intensité de carbone ou la transformation structurelle de l’économie tout en assurant une intégration équilibrée des trois dimen-sions du développement durable. L’objectif macroéconomique peut également être expri-mé en termes d’étapes à franchir par secteur (par exemple, promouvoir l’innovation et vestissement écologiques, ou promouvoir l’in-vestissement durable dans les infrastructures

et remédier aux défaillances, aux risques et aux incertitudes du marché.

Le cadre directif détermine non seulement l’objectif à atteindre, mais aussi les mesures qu’un pays sera amené à prendre. Une fois les

«intérêts» du gouvernement clairement défi-nis, une évaluation interne de la capacité ins-titutionnelle précède la mise en œuvre, pro-cessus qui aboutit à recadrer les principaux processus de planification du développement national pour tenir compte des nouveaux mo-dèles institutionnels ou attribuer de nouveaux mandats aux institutions actuelles, en se fon-dant sur les cadres institutionnels existants et en reformulant les stratégies sectorielles et nationales de développement. Par exemple, l’économie verte résiliente face aux change-ments climatiques de l’Éthiopie a évolué au fil des ans : stratégie indépendante au départ, elle est désormais intégrée dans le plan de développement national, le Plan pour la crois-sance et la transformation. De même, l’Accord sur l’économie verte de l’Afrique du Sud et la feuille de route pour une économie verte au Mozambique sont, l’un comme l’autre, défi-nis au sens large, de façon à pouvoir intégrer progressivement de nouvelles institutions et de nouveaux mécanismes de mise en oeuvre, tout en permettant une évolution des fonc-tions de contrôle. Comme le soulignent la CEA et le PNUE (2017, p. 43), ces « politiques flexibles offrent aux pays une certaine marge de manœuvre pour expérimenter, apprendre et évaluer les résultats ».

Les gouvernements des pays en développe-ment sont confrontés à plusieurs contraintes dans les efforts qu’ils déploient pour trans-former leur économie. Une contrainte évi-dente est celle des ressources : budgétisa-tion des acbudgétisa-tions à mener et mobilisabudgétisa-tion des financements nationaux et extérieurs pour la transition vers l’économie verte. Le volume des ressources à mobiliser dépendra, entre autres, de la qualité des institutions chargées de les mobiliser et du degré d’engagement

et de cohérence de ces dernières par rap-port à l’économie verte. Il a déjà été souligné que « les ressources nationales sont essen-tielles pour dégager de nouvelles ressources au profit de secteurs clés et jouent un rôle indispensable et catalyseur » (CEA, 2016a, p. 103). Les impôts et les taxes qui font par-tie de l’ensemble de moyens servant à mo-biliser des ressources, peuvent aussi servir, par d’autres voies, à atteindre l’objectif à long terme du développement durable. Par exemple, certaines taxes visent à décourager la surexploitation des ressources naturelles, telles que l’eau, les forêts et les combustibles fossiles. Les recettes fiscales qui en résultent peuvent constituer une source importante de recettes publiques pour financer la croissance verte et les besoins en matière de dévelop-pement durable. Des mécanismes de finan-cement peuvent être créés pour soutenir les micro, petites et moyennes entreprises qui ne peuvent pas atteindre l’échelle requise pour bénéficier des dispositifs mis en place pour la transition.

Plusieurs pays mettent déjà en œuvre des réformes dans divers secteurs pour soute-nir leur programme d’économie verte, ce qui donne un aperçu de certains des principaux enjeux et intérêts des parties prenantes. Les réformes visent deux niveaux de mise en œuvre, la macroéconomie et les secteurs liés à la mise en place de la transition verte, ce qui correspond de manière générale à l’approche analytique de la présente étude (voir chapitre 1). Il faudra sans doute admettre que le nou-veau «contrat social» entraîne des gagnants et des perdants, d’où l’impératif d’un méca-nisme intégré pour atténuer les effets sociaux inégaux des divers scénarios de l’économie verte. Le succès de la réforme dépendra de l’efficacité des politiques publiques à remé-dier aux inégalités structurelles persistantes pour lutter contre la pauvreté et la vulnérabi-lité et mettre en place une société juste. Qui plus est, la politique gouvernementale est ef-ficace lorsque les stratégies de participation

qui émergent ou qu’il pourrait être nécessaire de créer permettent à divers acteurs sociaux d’influer sur le programme de transformation (Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social, 2012).

4.3.2. Incitations au niveau des secteurs Déterminer les secteurs clés de l’économie verte ne relève pas uniquement du gouver-nement. Dans une économie de marché, un secteur devient prioritaire en fonction de ses performances et de son potentiel de croissance. Dans nombre de pays, les sec-teurs prioritaires sont l’agriculture, l’industrie, les mines, le commerce, les infrastructures, l’énergie, les forêts et la pêche. Ces secteurs peuvent, selon toute probabilité, constituer le fondement du développement social car ils permettent de développer des synergies en amont et en aval, de renforcer la productivité et de créer des emplois : néanmoins, pour ré-aliser pleinement leur potentiel, des stratégies sectorielles sont nécessaires pour promouvoir la croissance verte inclusive et susciter des in-vestissements massifs dans ces secteurs. Dès lors, les secteurs clés doivent être au centre des plans de développement nationaux, no-tamment en intégrant les politiques d’écono-mie verte aux priorités nationales et en les faisant concorder.

À côté de la politique du gouvernement, qui crée essentiellement un environnement favo-rable aux entreprises, intérêts sectoriels s’or-ganisent autour des grands enjeux suivants : accès accru aux technologies appropriées, mise en place de mécanismes de financement novateurs et capacité de pousser le dévelop-pement plus loin; renforcement des compé-tences, tant générales que spécialisées, pour développer les capacités humaines et institu-tionnelles des pays afin d’accroître leur com-pétitivité et leur efficacité; possibilité d’inves-tir sur les marchés, notamment meilleur accès aux marchés des exportations et protection

contre les subventions, les obstacles tarifaires et non tarifaires dans les pays développés;

mise en place des infrastructures permettant d’améliorer les synergies entre zones rurales et urbaines et à l’échelle de l’ensemble de l’économie; protection des emplois et com-pétitivité accrue dans les secteurs confrontés aux interventions gouvernementales directes;

et mesures incitant les entreprises à investir dans ces secteurs. Ces intérêts sont pris en compte à différents niveaux dans plusieurs pays.

L’attribution préférentielle de capitaux et autres ressources budgétaires peut stimuler l’investissement du secteur privé et amélio-rer le taux de rendement des investissements dans des environnements à haut risque.

Dans le secteur des ressources naturelles, le paiement des services écosystémiques a ef-fectivement permis d’améliorer les moyens de subsistance locaux et la gestion des éco-systèmes, ce qui est essentiel pour assurer la croissance inclusive dans l’agriculture et la sylviculture. Des droits clairs sur une res-source constituent également une incitation efficace à gérer durablement la ressource (van de Sand, 2012). Au Mozambique, l’approba-tion rapide des autorisal’approba-tions d’investissement (trois jours) a contribué à stimuler l’investis-sement privé, de manière décentralisée. Par exemple, le gouverneur d’une province peut approuver des projets d’investissement na-tionaux d’une valeur n’excédant pas l’équi-valent de 1,5 milliard de meticais (environ 52 millions de dollars), tandis que l’autorisation du directeur général du Centre de promotion des investissements est nécessaire pour des projets d’investissement nationaux ou étran-gers d’une valeur n’excédant pas 2,5 milliards de méticais (environ 86,5 millions de dollars) (CEA, 2015).

Pour renforcer la valeur ajoutée et la crois-sance du secteur manufacturier, les gouverne-ments peuvent intervenir en réduisant le coût d’acquisition des technologies qui favorisent

le développement durable, notamment la pro-motion de meilleures techniques de manuten-tion après récolte. Dans le secteur de l’éner-gie, des politiques et stratégies nouvelles, des tarifs de rachat et des réformes (telles que la suppression des subventions pour les com-bustibles fossiles, la création de tarifs reflé-tant les coûts et la libéralisation du secteur pour faire appel à des producteurs d’énergie indépendants) sont appliqués sur l’ensemble du continent. Dans l’agriculture, des subven-tions aux intrants visant à améliorer la pro-ductivité agricole et des systèmes durables et adaptés au marché ont été mis en place. Il s’agit notamment de subventions destinées à remédier aux défaillances du marché des in-trants, de l’assurance-récolte et de l’assurance du bétail et de l’octroi de microfinancement aux agriculteurs éloignés des marchés. Dans le secteur forestier, promouvoir l’accès des femmes aux forêts a été extrêmement béné-fique pour leurs revenus ; ce faisant, elles sont naturellement incitées à protéger les services forestiers.

Par exemple, au Mozambique, si le sous-sec-teur des cultures est celui qui croît le plus rapidement, il est freiné par une productivité réduite due à la faible utilisation de techno-logies et au manque d’accès aux incitations financières et aux marchés. Le gouvernement, par le biais du Plan national d’investissement agricole 2014-2018, cible les petits, moyens et grands producteurs ayant le potentiel de produire pour le marché et les petites et moyennes entreprises qui commercialisent des technologies ou des intrants agricoles (Mozambique, Ministère de l’agriculture, 2013).

En Éthiopie, le gouvernement a réformé la fiscalité et l’enregistrement des entreprises dans un souci de simplification. Deux procla-mations publiées en 2010, la Proclamation n°

685/2010 sur les pratiques commerciales et la protection des consommateurs et la Procla-mation n° 686/2010 sur l’octroi de licences

et l’enregistrement des entreprises, offrent un système uniforme et harmonisé d’enregistre-ment et d’octroi de licences commerciales : un seul numéro d’identification est nécessaire pour l’enregistrement commercial et fiscal, grâce à un enregistrement unique et un re-gistre commercial centralisé. Cela a non seu-lement réduit l’informalité, mais a égaseu-lement permis de lutter contre les activités illégales en mettant en place un mécanisme réglemen-taire solide (CEA, 2015).

En Tunisie, le gouvernement s’emploie acti-vement à promouvoir l’emploi des jeunes via la formation technique, professionnelle et en matière de création d’entreprises, y compris dans les aspects relatifs à l’économie verte.

Depuis les années 1970, il ouvre progressi-vement l’économie aux marchés internatio-naux, tout en modernisant son secteur indus-triel par des initiatives qui conservent toute leur pertinence, notamment des diagnostics analytiques pour renforcer ses liens avec le tourisme, l’agriculture et les transports. De plus, le Programme d’appui à la compétitivité des entreprises et à l’amélioration de l’accès aux marchés, lancé en 2009 par les pouvoirs publics, aide les entreprises, notamment les petites et moyennes, à s’adapter à la concur-rence internationale, par le biais du Fonds d’accès aux marchés d’exportation également mis en place pour encourager les sociétés ex-portatrices à diversifier leur marché d’expor-tation et à développer de nouvelles activités (CEA, 2015).

Au Maroc, le gouvernement a mobilisé 20 mil-liards d’euros pour les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la gestion des déchets solides et des eaux usées et le mode de dis-tribution. L’Office national de l’électricité du Maroc (ONE) a cédé la place à un marché li-béralisé dans lequel le secteur privé joue un rôle accru grâce à une loi, adoptée en 2012, sur les partenariats public-privé (Chentouf et Allouch, 2018). A noter aussi que tous les fi-nancements ne proviennent pas de sources

locales car l’objectif est d’attirer les investis-sements étrangers dans le secteur de l’éner-gie pour renforcer les infrastructures et la technologie, ce qui n’est pas sans effet sur les acteurs locaux, des producteurs aux consom-mateurs.

Ces exemples montrent qu’il n’existe pas d’approche unique pour assurer la participa-tion du secteur privé à l’économie verte. Les contraintes et intérêts sectoriels démontrent simplement que de nombreux acteurs privés interviennent dans l’évaluation des risques et des bénéfices afin de prendre les décisions les plus adaptées. La transition vers l’écono-mie verte, qui exige des changements dans les modes de production et de consomma-tion, entraînera probablement des coûts de conversion ou d’adaptation qui peuvent s’avé-rer assez importants pour le secteur privé. En-fin, dernier aspect des interactions à prendre en compte : les intérêts des citoyens et ceux de la société civile. À cet égard, la question des moyens de subsistance durables et de la protection des droits est réellement primor-diale. Changer et rééquilibrer les rapports de force dans les processus décisionnels et ou-vrir des espaces de contestation et de négo-ciation dans la conception et la mise en œuvre des projets et des politiques sont essentiels si l’on veut assurer une transition équitable et durable. Comme le souligne le Baromètre de l’économie verte (2016), la « transition n’est pas assez large ou assez profonde » dans de nombreux pays. Par conséquent, l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de se creu-ser partout. Cela s’explique peut-être par le fait que les stratégies et les politiques d’éco-nomie verte ne privilégient encore, le plus souvent, que le niveau macroéconomique et des projets grandioses au lieu d’être le moteur du changement sur le terrain au service des activités locales.