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INCENDIE DE NEIRIVUE

Dans le document Banque Populaire (Page 164-170)

Tout le monde connaît le joli village de Neirivue situé au centre de la haute Gruyère, sur la rive gauche de la Sarine, le long de la route cantonale à dix minutes d'Albeuve. On a encore devant les yeux ses jolies mai-sons en bois couvertes en bardeaux, avec leurs larges auvents, leur balcons découpés, leur aspect engageant et propret, leur élégance rustique, en un mot tout ce qui fait le charme d'une localité alpestre.

Or, le 19 juillet 1904, vers 4 heures et demie de l'après midi, le feu se déclara soudain dans une maison située à l'extrémité nord du village et, se communiquant avec une rapidité foudroyante, enveloppa en un instant la localité tout entière et la transforma aussitôt en un immense brasier. Deux heures après il ne restait de Neirivue que quelques maisons intactes le long du ruis-seau, tout le reste n'était qu'un monceau de ruines fumantes qu'on ne pouvait contempler qu'à distance.

Il faut se reporter à l'incendie de Broc et surtout à celui qui détruisit, il y a 28 ans, le village voisin d'Al-beuve, pour se faire une idée d'un désastre pareil. Le nombre des bâtiments détruits est de 95, y compris l'église, la cure et la maison d'école, et 44 familles se sont trouvées sans abri et sans ressources, la rapidité avec laquelle le feu se propagea ayant rendu tout sauve-tage impossible. C'est beaucoup qu'il n'y ait pas eu de mort d'homme à déplorei. Un touriste qui se trouvait aux rochers de Naye et qui fut témoin de la catastrophe en a fait le récit suivant dans la Galette de Lausanne :

« Le hasard nous a fait assister à l'incendie du haut des rochers de Naye. Le spectacle était terrifiant. A l'aide d'une bonne jumelle, il était facile de distinguer les

détails. Le feu semble avoir pris à l'extrémité la plus rapprochée de la montagne, mais il s'est rapidement propagé dans la direction de la Sarine et, en peu d'ins-tants, l'agglomération entière, où l'on distinguait de grands et beaux bâtiments, n'était plus qu'un brasier duquel s'élançaient des flammes d'une incroyable hauteur.

« Le télégraphe dit que des secours furent envoyés promptement de Bulle, de Monlbovon, d'Albeuve, de Lessoc, d'Enney, d'Epagny, de la Tour de Trême.

Même Romont fut alarmé. Pour qui a vu de ses yeux le spectacle du village incendié, il est évident que tout secours était parfaitement inutile. Il devait être impos-sible d'approcher à cent mètres du brasier. Tout ce que les habitants ont pu faire avant de fuir, a été d'ouvrir la porte à leurs bêtes qu'à l'aide de la lunette nous avons vu gambader affolées dans toutes les directions.

« Vers six heures, les flammes commencent à baisser.

Seule une fumée noire aux rougeoiements de braise sous la cendre s'élance, isolée, déchirant la fumée d'un éclair;

mais bien loin dans le ciel, une lugubre traînée noire s'étend dans la direction du sud-est, souillant de sa tache couleur de Suie le beau ciel bleu de cette radieuse soirée de juillet. Ce nuage c'est tout ce qu'il reste du joli vil-lage de Neirivue, il y a quelques heures plein d'anima-tion et de vie. ))

Nous ne voulons pas insister sur la cause du sinistre que l'on attribue à l'inadvertance d'une femme qui, occupée à charponner un matelas, faisait en même temps chauffer du lait sur une lampe à esprit-de-vin. Pendant un moment d'inattention, le feu se serait communiqué aux objets environnants, puis à la maison, pour se pro-pager immédiatement aux bâtiments voisins et à tout le village.

Pour expliquer la rapidité de l'embrasement, il ne

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-faut pas perdre de vue le mode de construction de ces maisons, la plupart en bois et couvertes en bardeaux, la période de sécheresse et de grande chaleur qui avait précédé, les quantités de matières inflammables qui offraient à l'élément destructeur un aliment incompa-rable. Non seulement l'incendie gagnait de proche en proche, mais les flammèches, emportées par-dessus les maisons, allaient allumer les toits à distance comme si on avait mis le feu à la fois à tous les coins du village.

Dès le début du sinistre, on a voulu se servir des hydrants ; mais immédiatement la chaleur est devenue telle et le feu a pris de telles proportions qu'il a fallu les abandonner précipitamment pour commencer le sauve-tage. Presque tous les hommes étaient, comme lors de l'incendie d'Albeuve, à la montagne avec le bétail. On n'eut que le temps de sauver sa personne et celle des membres d,e sa famjlle. Récoltes, mobilier, Ung#, vête-ments, argent et valeurs, tout a été anéanti. Un pauvre diable était arrivé à mettre 400 francs de côté pour l'achat d'une pièce de bétail ; la somme est restée dans le brasier.

La femme de l'instituteur était parvenue, à force de privations, à économiser 80 francs sur le budget d'une famille de sept personnes. Ce modeste pécule est perdu.

La conduite de l'instituteur de Neirivue, M. Lanth-mann, a été admirable. M. Lanthmann remplit aussi les fonctions de secrétaire municipal. Son premier soin fut de sauver les comptes de la commune, le cadastre, le protocole du conseil communal et les comptes de l'endi-guement de la Mari vue. Puis il téléphona dans toutes les directions. Quand il voulut songer à ses propres affaires, le brave instituteur n'eut plus que le temps de sauter par la fenêtre sans même avoir un habit sur le dos. Tout son avoir a été anéanti.

• M. Dominique Castella a fait, lui aussi, preuve d'une

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-rare présence d'esprit et d'un beau désintéressement.

M. Castella est à la jête du bureau des postes de Nei-rivue depuis 40 ans et de l'office de l'état civil depuis 20 ans. C'est à côté de son domicile que le feu éclata. Dès la première alarme, M. Castella sortit les divers docu-ments postaux, la caisse et les registres A de l'état civil (inscription des actes de l'état civil pour l'arrondissement), il n'eut plus le temps de sauver les registres B (inscrip-tion des actes en dehors de l'arrondissement).

Le clocher de l'église, dont l'extrémité n'était pas recouverte de zinc, prenait feu à son tour. Les quatre cloches, dont la paroisse de Neirivue était si fière, fon-daient comme de la cire et s'écroulaient. Puis le feu pénétra dans la nef, dévorant les bancs, la chaire, les belles stalles en chêne, les tableaux sacrés, les autels latéraux et faisait sauter de superbes vitraux ; le maître-autel, tout en marbre, a été relativement épargné.

Les archives paroissiales, qui se trouvaient dans la sacristie, ont été entièrement détruites. Des documents d'une valeur inestimable y étaient entassés depuis 1609, date à laquelle la paroisse de Neirivue fut détachée de celle de Gruyères et devint indépendante. Des docu-ments historiques, propriété de M. le curé Bochud, et plus d'un millier de photographies faites par ce dernier sont également perdus.

A la nouvelle de ce désastre, tous les cœurs s'émurent et les dons charitables ne tardèrent pas à affluer à l'appel du comité de secours qui se forma aussitôt. Le bureau fut composé de MM. Bochud. révér. curé de Neirivue, comme président, Geinoz, syndic, comme vice-prési-dent, et Lanthmann, secrétaire communal, comme secrétaire. Deux délégués de chacune des communes de Lessoc, Albeuve, Les Sciernes, Montbovon, Yillars-sous-Mont, Grandvillard, Estavannens, Enney et Gruyères s'adjoignirent au bureau.

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Des souscriptions s'ouvrirent dans les journaux et des sommes importantes furent ainsi recueillies. On orga-nisa des concerts^ des représentations un peut partout, dans les villes, les stations alpestres etc. Nos confédérés de la Suisse romande se distinguèrent par leur générosité.

De nombreuses collectes produisirent de jolies sommes;

bref, on arriva en quelques semaines à réunir en tout un montant de près de 100,000 fr., non compris les dons en nature. Mais si abondantes qu'aient été les aumônes, elles ne parvinrent pas, avec le produit des assurances, à réparer la moitié des pertes occasionnées par cet incendie.

La reconstruction du village présentera quelques diffi-cultés. Une commission a été nommée immédiatement pour élaborer un plan des nouvelles constructions, de façon à sauvegarder les intérêts de chacun sans compro-mettre la sécurité des bâtiments et les lois de l'esthétique et de la salubrité publique.

L'incendie de 1904 n'est pas le premier qui ait dévasté le village de Neirivue :

(( Dans la nuit du lundi au mardi 18 avril 1791, vers onze heures, le feu prit à la maison d'Antoine-Joseph Gremion, dit à Bedond, et en moins de deux heures consuma 72 bâtiments, maisons, granges et greniers, c'est-à-dire près des deux tiers du village. Toute la partie supérieure du midi au nord jusqu'à la ruelle de la Ron-zetta, y compris la maison du chapelain et le grenier de la Sauge, fut la proie des flammes. C'est à grand'peine qu'on put sauver l'église, le presbytère et la maison attenante.

« Une collecte organisée dans tout le canton produisit la somme de 5232 écus soit 15,165 francs.

« Dans la nuit du 25 octobre 1812, presqu'à la même heure qu'en 1791, le feu prit à la maison habitée par M. Victor Hanquet, médecin français établi à Neirivue,

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au haut de la montée des Recards, et brûla cette fois 17 bâtiments. La perte totale se monta à 20,912 écus soit 60,614 francs. L'incendie de 1812 consuma précisément cette partie supérieure du village, épargnée par le précé-dent incendie, sauf l'église et la cure.

« Un troisième incendie éclata dans la nuit de car-naval 22 février 1860 à la maison ou grange de Joseph Sudan et produisit également un grand désastre. »

Voilà ce qu'on lit dans la brochure de M. Thorin intitulée Neirivue et son pèlerinage.

Et maintenant on va reconstruire ce village en maté-riaux plus solides et moins inflammables, offrant plus de sécurité, mais il aura perdu sans doute beaucoup de son cachet de village de montagne, de sa grâce rustique et de son charme familier. Mais ce sont là choses acces-soires et qui seront largement compensées par une dis-position plus pratique et d'autres avantages dus aux pro-grès réalisés dans l'art de,bâtir.

Dans le document Banque Populaire (Page 164-170)