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Schwartz (1992) considère que les valeurs sont intériorisées par les individus. Elles remplissent une fonction sociale importante sur le plan de la socialisation des membres d’une entité ou d’un groupe. Les agents de socialisation d’une entité (par exemple les gestionnaires) vont donc constamment chercher à promouvoir les valeurs organisationnelles qu’ils privilégient afin d’engendrer des comportements qui vont non seulement assurer la pérennité de l’organisation mais aussi son développement et sa prospérité. Pour ce faire, ils ont à leur disposition plusieurs mécanismes. Le premier est de mettre en place un processus de recrutement et d’attraction qui favorise les candidats présentant un système de valeurs qui est en congruence avec celui de l’organisation (Bilsky et Jehn, 2002; Lainey, 2008).

Le deuxième consiste à créer un environnement favorable aux valeurs privilégiées par l’organisation, appuyé par un processus de socialisation et d’intériorisation qui est enclenché aussitôt que le nouvel employé est engagé. Ce processus peut prendre la forme de politiques de GRH qui sont claires et cohérentes ou encore de programmes de formation et de développement

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de compétences, d’une gestion des carrières ou d’une organisation du travail qui est motivante (Bolino et Turnley, 2003). Il est important de noter que le choix de ces processus et programmes passe nécessairement par une compréhension intime des valeurs et des comportements désirés et de leur importance relative pour la performance de l’entreprise. A cet égard, l’effet positif des CCO sur la performance des entreprises a été largement établi par des recherches antérieures (Bachrach et coll., 2001; Bolino et Turnley, 2003; Organ et coll., 2006; Podsakoff et MacKenzie, 1994)

Le recours à ces mécanismes ne va pas de soi. Les modèles traditionnels des CCO ont pour la plupart traité ce type de comportements comme étant d’une importance égale tout en supposant qu’ils étaient tous basés sur les mêmes caractéristiques situationnelles et individuelles (Marinova, Moon et Van Dyne, 2010). Le deuxième défi est en rapport avec la nature des emplois dans les organismes SSBLB (salariés et bénévoles) et à leur précarité (une forte proportion des employés est à temps partiel). Ces caractéristiques rendent difficile la mise en œuvre de processus propices à la généralisation des CCO à long terme.

Malgré ces défis, nous avons identifié trois contributions pratiques qui découlent de notre approche de la conceptualisation des valeurs et des CCO qui pourraient intéresser les gestionnaires des ressources humaines dans le SSBLB. Rappelons que le modèle circulaire que nous avons proposé situe ces deux concepts à l’intérieur d’une structuration partagée dynamique qui reflète leurs positions relatives les uns par rapport aux autres le long d’un continuum autour du cercle. En explicitant l’importance relative des CCO, notre conceptualisation relève l’un des défis mentionnés plus haut et devient notre première contribution. La théorie des valeurs universelles de Schwartz et ses postulats de compatibilités et incompatibilités constitue un autre outil à la disposition des gestionnaires pour leur permettre de mieux comprendre les valeurs et les comportements avant qu’ils ne les établissent comme une représentation de leurs priorités organisationnelles.

La deuxième contribution a trait aux activités de recrutement et d’attraction mentionnées plus haut. Traditionnellement, pour engager de nouveaux employés, les responsables de la GRH

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utilisent des outils de sélection qui évaluent les comportements passés des candidats, par rapport à un profil de comportements attendus mais seulement sur le plan des tâches et des rôles associés aux postes. Ces outils ne tiennent pas compte des autres dimensions comme les valeurs ou les CCO (Bolino et Turnley, 2003; Ryan et Ployhart, 2014). L’addition des questionnaires des valeurs et des CCO au processus de dotation, constituerait une amélioration importante qui aiderait à déterminer le système de valeurs déjà intériorisé par les candidats et à prédire les comportements désirables complémentaires à ceux identifiés dans la description des tâches in- rôles. En choisissant les candidats dont le modèle de valeurs se rapproche le plus de celui de l’organisation, les gestionnaires facilitent l’intégration des nouveaux employés et évite d’avoir à exercer un contrôle social en permanence, tout en permettant un éventail de valeurs et de comportements suffisamment varié pour prévenir la sclérose et les problèmes occasionnés par l’uniformité.

La troisième retombée est en lien avec les activités de rétention et de gestion des carrières, parmi lesquelles la motivation et la mobilisation des ressources humaines jouent un rôle primordial. A cet effet, Schwartz (2007), Kasser, Ryan, Zax et Sameroff (1995), Kasser, Cohn, Kanner et Ryan (2007) et Maio et Haddock (2015) ont trouvé que la préparation des personnes avant l’activation d’une valeur particulière favorise les comportements qui lui sont compatibles (dans les domaines concomitants ou proximaux) et inhibe les comportements qui sont associés aux valeurs opposées. Dans le cadre de leurs expériences, Kasser et coll. (2007) ont pré-conditionné (primed) des participants en leur demandant d’extraire puis d’ordonner des mots tels qu’ambition et succès pour la valeur accomplissement et pardon et honnêteté pour la valeur bienveillance. Les chercheurs ont ensuite demandé à ces personnes si elles étaient prêtes à aider dans des travaux futurs, gratuitement. Celles qui étaient conditionnées pour la valeur accomplissement étaient significativement moins susceptibles d’aider dans le futur comparativement à celles qui étaient conditionnées pour la valeur bienveillance.

De façon similaire, les gestionnaires pourraient utiliser un processus de socialisation inspiré par une compréhension intime de la relation entre les valeurs et les CCO pour créer un environnement favorable à une hiérarchie des valeurs qui va promouvoir les comportements

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désirables. Par exemple, la hiérarchie des valeurs obtenue ici révèle l’importance que les participants du SSBLB accordent à l’universalisme, l’autonomie et la bienveillance et le peu d’intérêt qu’ils montrent pour le pouvoir. Ceci fait écho aux travaux de Nazare-Aga (2008) et Morchain (2009) qui les ont situées à une hauteur relativement élevée (troisième et quatrième paliers) dans la hiérarchie des besoins de la pyramide de Maslow. L’universalisme et la bienveillance sont tous deux orientés vers les relations positives et de coopération et ont donc été associés au palier appartenance alors que l’autonomie a été située sur le palier reconnaissance/estime.

Toutefois, des différences subtiles existent entre les types de motivation bienveillance et universalisme. Ainsi, la bienveillance accorde beaucoup plus d’importance au bien-être des personnes proches (famille, amis, collègues de travail etc.) et elle est façonnée à un bas âge (Schwartz et Bardi, 2001; Schwartz et Sagiv, 1995). Dans ce cas, le manque d’importance ou l’absence de cette valeur dans le système de valeurs d’un candidat occasionnerait de sérieuses difficultés pour les gestionnaires s’ils essayent de l’inculquer pour générer les CCO altruistes qui lui sont concomitants. Cette valeur doit donc être privilégiée lors du recrutement sachant qu’elle pourrait être renforcée par un environnement favorable. La valeur universalisme est quant à elle beaucoup plus nuancée même si elle est elle aussi orientée vers les relations avec les autres, en cela que contrairement à la bienveillance qui est orientée vers les proches, l’universalisme donne de l’importance au bien-être de tous et à la nature. De plus, ce type motivationnel est latent et ne va apparaitre qu’au moment où l’individu est en contact avec d’autres groupes et devient conscient de leurs différences (Wach et Hammer, 2003). Préparer et socialiser des employés sur cette valeur va donc aussi poser des défis. De plus, avec l’autonomie, l’universalisme donne la préférence à la facilité de comprendre la diversité. L’identification en amont des personnes qui accordent de l’importance à ces valeurs devient essentielle quand l’organisme opère dans un environnement fortement multiculturel tel que le SSBLB. Cette valeur est celle qui s’est placée en tête dans les résultats que nous avons obtenus.

Le type motivationnel autonomie, qui occupe la deuxième place dans la hiérarchie des valeurs dans notre étude, a montré la corrélation positive la plus forte avec l’initiative individuelle (le

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comportement proximal qui lui est associé) par rapport à tous les autres CCO. Là encore, l’importance que les participants ont accordée à cette valeur n’est pas surprenante, car quelques recherches antérieures (Deslauriers, 2003; Paquet et Comeau, 2007) ont elles aussi trouvé que les employés et les bénévoles du SSBLB affectionnent particulièrement l’autonomie et le contrôle qu’ils ont sur leur travail et leur participation à l’intérieur des équipes de travail. Toutefois, ces auteurs soulignent que même si d’une manière générale les organismes continuent d’offrir ce type d’organisation du travail, celui-ci s’effrite graduellement avec l’imposition par les bailleurs de fonds et les conseils d’administration de modèles de gestion traditionnels dé-qualifiants souvent associées à des valeurs de pouvoir largement négligées par les travailleurs du SSBLB.

Au vu de l’attachement que les employés et les bénévoles affichent envers l’organisation du travail qu’ils ont contribué à modeler, ces changements représentent une source d’insatisfaction particulièrement élevée. Quand cette insatisfaction est ajoutée à l’épuisement chronique de la main-d’œuvre identifié lors des entretiens exploratoires qui ont été effectués auprès d’employés du secteur, elle devient probablement la source la plus importante de conflits et celle qui influence le plus leurs comportements organisationnels et leur rétention. Les gestionnaires de la GRH du SSBLB doivent donc accorder une attention particulière à la relation entre l’autonomie et les comportements qui lui sont associés quand ils organisent le travail à l’intérieur de leurs équipes.

Ces exemples illustrent l’utilité des outils proposés par cette thèse pour les gestionnaires. Une meilleure compréhension de la relation entre les valeurs et les CCO résulterait en des valeurs organisationnelles en adéquation avec le personnel recruté et favoriserait la mise en place d’un environnement propice qui aurait le potentiel d’augmenter le taux de rétention des employés et des bénévoles et de les motiver à exhiber les CCO désirés.

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