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Implications pour la recherche bio-médicale

Chapitre 3 : Implications épistémologiques de cette hétérogénéité

3.2 Implications pour la recherche bio-médicale

Des nouvelles orientations en stratégie de la recherche émergent. Il y a encore quelques années, les demandes de financement nécessitaient de s'appuyer sur les critères DSM. Mais la conscience progressive des limites de ce système de classification a bouleversé les paradigmes.

“The DSM system has itself impeded progress in the areas of neuroscience relevant to

psychiatric disorders. If to obtain a grant or to publish a paper, one has to select study populations according to a system that is a poor mirror of nature, it is very hard to advance our understanding of psychiatric disorders.” Steven E. Hyman (53)

Le NIMH a depuis annoncé qu'il allait réorienter progressivement les investissements de la recherche basée sur le DSM vers la recherche s'appuyant sur les RDoC ou sur des approches transnosographiques. Des cohortes hétérogènes devraient être recrutées et les analyses statistiques intégrant l’étude de la variance sont en expansion.

103 En Europe, le programme Horizon 2020 propose une thématique intitulée “Multi-omics for personalised therapies”. Il s’agit de croiser les données –omiques obtenue à partir d’une cohorte pour définir des sous-groupes homogènes susceptibles de répondre à une thérapeutique spécifique.

Les difficultés à penser de manière innovante

Ainsi, les institutions ont pris conscience de cette nécessité de décloisonner les pathologies psychiatriques, de dépasser les systèmes catégoriels et d’étudier l’aspect hétérogène afin de permettre de mieux transposer les avancées scientifiques au chevet du patient. Toutefois, ces propositions sont encore trop confidentielles, l’essentiel des financements restant alloué selon d’anciens critères nosographiques. Les intitulés des appels d’offre ne permettent pas toujours de dépasser les catégories et les cohortes sans critères diagnostiques précis peinent à être constituées.

Le raisonnement humain a besoin de nommer les entités pour mieux les manipuler et les étudier. Il est difficile de travailler sur des concepts qu'on ne peut pas désigner. Cependant dès lors qu’un concept est désigné, sa désignation nous enferme dans une certaine représentation. C'est le cas des catégories diagnostiques sur-apprises au cours de notre formation. C’est également le cas des dimensions phénotypiques qui naissent directement des catégories diagnostiques (comme nous l’avons démontré au chapitre 1.2). Les anciens modèles sont un frein à la conception des maladies et à la recherche tant qu’ils nous enferment dans des présupposés. Les paradigmes sont conçus à partir de ces modèles et les expériences mesurent précisément ce qu'elles ont déjà prévu de mesurer. Ce cheminement freine l'innovation et rend difficile des découvertes pertinentes qui ne respecteraient pas les catégories diagnostiques.

Cette difficulté épistémologique à penser de manière divergente à partir des entités apprises a été particulièrement développé par Bachelard sous le terme d’obstacle verbal (8) : «Les forces psychiques en action dans la connaissance scientifique sont plus confuses, plus

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où elles attendent le lecteur. Il y a si loin du livre imprimé au livre lu, si loin du livre lu au livre compris, assimilé, retenu ! Même chez un esprit clair, il y a des zones obscures, des cavernes où continuent à vivre des ombres. Même chez l'homme nouveau, il reste des vestiges du vieil homme. En nous, le XVIIIe siècle continue sa vie sourde ; il peut - hélas - réapparaître. Nous n'y voyons pas, comme Meyerson, une preuve de la permanence et de la fixité de la raison humaine, mais bien plutôt une preuve de la somnolence du savoir, une preuve de cette avarice de l'homme cultivé ruminant sans cesse le même acquis, la même culture et devenant, comme tous les avares, victime de l'or caressé. Nous montrerons, en effet, l'endosmose abusive de l'assertorique dans l'apodictique, de la mémoire dans la raison.»

Si les catégories ont un impact sur la recherche, la nécessité de plus en plus évidente d’approches différentes, encouragées par les institutions, devraient tout de même conduire à modifier progressivement les paradigmes existants, mais aussi les analyses statistiques selon les avancées menées conjointement par les bio-statisticiens.

Des pistes à explorer pour une recherche innovante

Afin de mener des recherches innovantes il est nécessaire d’adopter une attitude humble face à nos connaissances et de rester à distance des présuppositions.

En pratique, plusieurs méthodes peuvent être utilisées :

- Adopter une approche transnosographique pour faire table rase des présupposés.

- Ne pas vouloir systématiquement réduire l’hétérogénéité mais chercher à l’expliquer par l’identification de groupes cachés, de classes latentes, de cas isolés

- Réaffirmer l’importance des cas cliniques dans la démarche de recherche.

105 Dans ce dernier cas, Les études de type « genotype-first » sont intéressantes. En regroupant des individus possédant un facteur de risque génétique clairement identifié, la probabilité d’identifier des mécanismes communs conduisant à la psychose est plus élevée. Cette approche a été utilisée avec succès en psychiatrie génétique pour décrire des symptômes similaires (94). Cependant, les individus possédant un facteur génétique en commun peuvent également présenter des différences d’évolution ; cet écart pourrait donc également nous renseigner sur les aspects individuels entrainant une pénétrance incomplète. La figure 3.3 schématise le principe de cette approche « genotype-first ».

Figure 3.3 extraite de Stessman HA et al (95) expose l’approche « genotype-first ». A partir d’anomalies génétiques découvertes chez plusieurs individus (par séquençage systématique ou ciblé), un regroupement est effectué en fonction de l’anomalie génétique découverte. Ce regroupement permet d’identifier le phénotype correspondant à cette anomalie. Dans un deuxième temps, les individus présentant un phénotype similaire sont explorés pour rechercher cette anomalie spécifique. Cette approche permet de définir l’effet spécifique de cette anomalie génétique.

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3.3 Concevoir une entité psychotique à partir de l'hétérogénéité des

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