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Grâce à ce projet et aux travaux des collaborateurs, nous avons pu souligner de nombreuses différences entre les traitements utilisés qui pourraient affecter le fonctionnement des écosys- tèmes. La couverture végétale était fortement diminuée avec l’intensité des retraits de biomasse (chapitre4), ce qui a été démontré par d’autres études. La différence la plus frappante entre les forêts non coupées, et les coupes vient de la disparition de la couche de mousse qui couvre presque entièrement le sol de ces forêts (Newmaster et Bell,2002;Fenton et al.,2003). À l’in- verse, les espèces ligneuses sont favorisées par l’ouverture du milieu dans les sites où la pertur- bation du sol n’est pas trop intense (Hart et Chen,2008), c’est-à-dire, dans les traitements par arbres entiers (avec ou sans dessouchage), et tronc seulement.Webster et al.(2016) ont montré que la respiration du sol diminuait avec la perturbation du sol, et qu’elle était similaire dans les traitements par arbres entiers et tronc seulement.Smenderovac et al.(2017) n’ont pourtant pas remarqué de différences significatives entre les traitements, au niveau de la structure des com- munautés microbiennes. Les communautés étaient cependant différentes entre les traitements, la forêt non coupée, et la forêt brûlée.Rousseau et al.(2018) et Rousseau et al. (in prep) ont montré que les coupes diminuent l’abondance, la richesse spécifique et fonctionnelle des com- munautés de Collemboles et d’Oribates. Leur abondance étant particulièrement faible dans les traitements par arbres entiers avec dessouchage, et scarifié, ils suggèrent que la perturbation du sol est le principal facteur affectant ces communautés. Et enfin,Venier et al.(2017) ont montré des différences significatives entre la composition spécifique des Araignées, Carabes et Sta- phylins, entre les coupes, les feux, et la forêt non coupée, mais pas de différences significatives

entre les traitements par arbres entiers et tronc seulement. Ils ont également remarqué des dif- férences entre la forêt mature et la forêt non coupée, suggérant que les plus grandes quantités de débris ligneux dans la première expliquent majoritairement ces différences.

J’ai pu rajouter avec cette étude multitrophique basée sur les traits, que le fonctionnement global des communautés du sol était affecté par les coupes forestières. J’ai confirmé l’effet marquant de l’ouverture de la canopée et de la perturbation du sol. La perturbation du sol est due à la préparation du sol (création de tranchées exposant le sol minéral), au dessouchage, et au retrait des couches superficielles du sol. Ces perturbations entrainent une diminution de l’abondance, de la redondance fonctionnelle, et de la richesse spécifique des espèces intermé- diaires. J’ai pu montrer théoriquement que les petits détritivores tels que les Enchytraeids, et les Collemboles de l’Ordre des Symphypleona, étaient les acteurs les plus importants de la dé- composition (chapitre3). Empiriquement, j’ai montré que ces Collemboles étaient largement défavorisés par les coupes forestières, engendrant une diminution des taux de décomposition. Les limaces (Arion sp) étaient également fortement affectées par les coupes forestières, et im- pliquées dans la décomposition de la litière (chapitre 4). Cependant, il serait intéressant de renouveler l’expérience de décomposition avec plus de microcosmes pour confirmer ces ré- sultats (plus de 5 réplicats), et en contrôlant plus précisément les espèces présentes afin de mieux définir leurs fonctions. Les résultats de l’étude théorique montraient cependant que la quantité d’azote disponible était peu affectée par les changements dans la structure des ré- seaux (chapitre 3). Des analyses empiriques complémentaires devraient être réalisées afin de confirmer ce résultat. De plus, la diminution de la diversité et de la redondance fonctionnelle des espèces intermédiaires avec l’intensité de perturbation pourrait engendrer une baisse de la stabilité des réseaux, et de l’efficacité des espèces dans les processus écosystémiques. J’ai pu également montrer que les perturbations du sol affectaient négativement les niveaux trophiques supérieurs par un effet "bottom-up". Les carnivores étaient donc négativement affectés par la diminution de leurs proies, elles-mêmes affectées par la perte de leur habitat. Les macrocarni- vores, dont de nombreuses Araignées, étaient favorisés par les débris ligneux dans les coupes, comme suggéré par Work et al. (2013) et Pearce et al.(2003). Cependant, de faibles quanti-

tés de débris comme celles apportées par le traitement par arbres entiers semblent suffisantes. Mes résultats suggèrent également que les coupes favorisent sélectivement les plus gros car- nivores, à l’inverse des perturbations naturelles qui tendent à diversifier les communautés de carnivores. Les gros carnivores sont généralement plus généralistes que les plus petits (Wood- ward et Hildrew,2002), et notamment les carnivores utilisant du poison, comme les Araignées (chapitre2). Nous avons montré que les carnivores généralistes avaient un effet majeur sur la biomasse des autres espèces en régulant leurs proies (chapitre3). Leurs effets sur la biomasse des autres espèces pourraient varier probablement dans le sens positif dans des systèmes pro- ductifs, et le sens négatif dans des systèmes pauvres. Le maintien des espèces intermédiaires (proies), et l’augmentation des carnivores augmentent le nombre de liens dans les réseaux, et la complémentarité, et pourraient ainsi permettre un meilleur fonctionnement de l’écosystème.

L’ensemble de ces résultats démontre que, dans un but de préservation de la biodiversité et du fonctionnement des pinèdes grises canadiennes, les couches superficielles du sol doivent être préservées en priorité. La conservation des couches de litière et de mousse permet un maintien de l’ensemble de la communauté. Une faible quantité de débris ligneux est suffisante afin de préserver les communautés et le fonctionnement de l’écosystème à court terme. La rétention de débris ligneux ne semblait cependant pas suffisante pour protéger le sol du rayonnement lu- mineux. Le maintien de la végétation pourrait être important afin de préserver une température faible et une grande humidité, nécessaire aux bryophytes, mais des études sont nécessaires afin de confirmer cette hypothèse. Les différences entre la structure des communautés, dans la forêt non coupée, et la forêt mature, dans les traitements, et la forêt brûlée, montrent que les pertur- bations anthropiques pourraient avoir des conséquences à long terme sur la biodiversité, non comparables aux perturbations naturelles (Venier et al. (2017), Rousseau et al. (in prep)). À ces impacts sont à ajouter les effets des retraits de débris ligneux sur les espèces saproxyliques (Nordén et al., 2004; Jonsell et al., 2011; Lassauce et al., 2012) que nous n’avons pas pris en compte dans cette étude. La faible augmentation de productivité attribuée à la préparation du sol avant plantation (Fleming et al.,2014) face aux effets qu’elle a sur les écosystèmes dé- montre la non-pertinence du maintien de cette pratique. En conclusion, les effets néfastes des

pratiques sylvicoles sur la biodiversité et le fonctionnement de l’écosystème, à court terme, proviennent principalement du compactage, et de la perturbation du sol, qui n’ont pas lieu lors des perturbations naturelles (Venier et al.,2014), et non par le retrait de bois qu’elles en- traînent. À court terme, la coupe par arbres entiers sans perturbation du sol semble donc la pratique la plus acceptable du point de vue de la préservation des écosystèmes. La présence de gros prédateurs pourrait être utilisée comme bio-indicateurs de la productivité des systèmes, car une plus grande productivité permet de supporter les tops prédateurs (Thompson et Townsend,

2005;Thompson et al.,2012). La masse corporelle moyenne des espèces pourrait être calcu- lée, cependant ce calcul ne prend pas en compte l’abondance. Or, fonctionnellement parlant, une plus grande abondance d’une espèce équivaut à une augmentation du nombre d’espèces fonctionnellement similaires. Il serait intéressant de tester un indice basé sur l’abondance, ou la biomasse, et la taille corporelle des carnivores, avec des abondances standardisées pour tous les groupes.