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Implication des processus de régulation émotionnelle dans la réponse empathique

1.6. L’association entre la régulation émotionnelle et l’empathie

1.6.3. Implication des processus de régulation émotionnelle dans la réponse empathique

Les modèles précurseurs

La capacité à réguler ses propres émotions et à se désengager de l'état émotionnel d’autrui jouent un rôle important dans l’empathie (Batson, 1991 ; Eisenberg, 2000). Eisenberg et Fabes (1992) proposent un modèle dans lequel les différences inter-individuelles dans la perception de l'intensité émotionnelle et les capacités de régulation émotionnelle sont associées

Approche théorique – Chapitre 1

36 aux niveaux d’empathie qu’un individu déploie dans une situation d’interaction sociale. Selon Eisenberg (Eisenberg, 2000 ; Eisenberg & Strayer, 1987), l'empathie peut conduire soit à une réponse orientée vers l'autre, soit à une réponse orientée vers soi (i.e. détresse personnelle) en fonction des capacités de régulation émotionnelle. Eisenberg et Eggum (2009) suggèrent que l’association entre une activation émotionnelle empathique élevée (en réponse à une situation émotionnelle) et de faibles capacités de régulation émotionnelle peut constituer un prédicteur important de détresse personnelle. Le sentiment de détresse personnelle peut amener l'observateur à se détourner ou à échapper à la situation lorsqu'il est facile de le faire et par conséquent, à ne pas aider l’individu dans le besoin (Batson, 2011). En revanche, les personnes possédant des stratégies efficaces pour moduler l’expérience émotionnelle peuvent être capables de rester engagées de façon empathique sans éprouver de détresse personnelle (Decety & Lamm, 2009 ; Eisenberg & Eggum, 2009).

Selon Eisenberg et Fabes (1992), la qualité du comportement empathique est associée à l’intensité perçue de la stimulation émotionnelle observée. Plus précisément, ils suggèrent que la perception de la détresse d’autrui peut conduire à un certain niveau d’intensité émotionnelle, mais que les processus de régulation émotionnelle (Gross, 2013b) peuvent influencer la résultante comportementale, à savoir un comportement égocentrique (i.e. penser à améliorer son sort) ou alter-centrique (i.e. aider autrui) (Eisenberg, 2003 ; Eisenberg & Fabes, 1992). Lors d’un état d’activation émotionnelle, le degré de régulation émotionnelle (i.e. sur-régulation, régulation optimale ou sous-régulation) serait également déterminant dans la réponse empathique. D’une part, des processus de sur-régulation (suppression émotionnelle) peuvent inhiber l’empathie. D’autre part, des processus de sous-régulation (rumination, culpabilité, augmentation de la réponse émotionnelle) peuvent être associés à de l'agressivité et donc plus susceptibles de donner lieu à un comportement antisocial plutôt que prosocial (Eisenberg & Fabes, 1992). Autrement dit, face au vécu émotionnel d’autrui, posséder une capacité à réguler les émotions permet d’éprouver de la considération empathique vis-à-vis de la détresse d’autrui. En revanche, les individus ayant tendance à maintenir un niveau d’activation émotionnelle élevé en réponse aux émotions d’autrui éprouveraient des sentiments de détresse personnelle, les amenant ainsi à se focaliser sur leurs propres émotions, et à se comporter de manière à ne pas faciliter le comportement empathique dans des situations socio-émotionnelles. Ainsi, les individus capables de réguler la charge émotionnelle empathique de façon optimale éprouveraient moins de détresse en réponse aux émotions d’autrui. De ce fait, la régulation émotionnelle permet une meilleure disponibilité émotionnelle à la détresse d’autrui (Eisenberg,

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37 Fabes, Carlo & Karbon, 1992). La figure 4 illustre le modèle théorique de Eisenberg et al., (1994) décrivant les relations théoriques inhibitrices et activatrices entre l’intensité émotionnelle, les différentes composantes de l’empathie (prise de perspective, sympathie, détresse personnelle) et la régulation émotionnelle optimale.

Figure 4. Modèle théorique de Eisenberg et al., (1994) illustrant les liens entre l’empathie, l’intensité émotionnelle perçue, la sympathie, la détresse personnelle, et la

prise de perspective. Reproduit à partir de Eisenberg et al., (1994).

Note. Les flèches vertes représentent les relations théoriques activatrices. Les flèches rouges représentent relations théoriques inhibitrices.

Dans leur étude, Eisenberg et al., (1994) ont testé leur modèle théorique en évaluant les capacités de régulation émotionnelle (le contrôle émotionnel et le tempérament à réguler ses émotions), l’intensité émotionnelle (la réactivité physiologique et émotionnelle) en réponse à un film inducteur d’émotions et d’empathie. Leurs résultats ont montré que chez les participants présentant de hauts niveaux de réactivité émotionelle, la capacité à réguler les émotions par des mécanismes inhibiteurs peut faciliter la tendance à développer des sentiments de sympathie pour autrui. Les résultats confirment également le postulat selon lequel les personnes qui ont un niveau élevé de prise de perspective ne semblent pas submergées par la charge émotionnelle de la situation car elles possèdent des capacités élevées à réguler les émotions. Cette étude phare de Eisenberg et ses collaborateurs (1994) est l’une des premières recherches empiriques à tester l’implication de la régulation émotionnelle dans le modèle multidimensionnel de l’empathie. La critique principale de cette recherche réside dans le fait que les stimuli utilisés ne sont pas écologiques. Il serait intéressant d’évaluer la régulation émotionnelle et l’empathie au moyen de situations pouvant éliciter des réactions émotionnelles intenses afin d’induire des niveaux de détresse plus élevés.

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38 En résumé, les capacités de régulation émotionnelle sont associées à une meilleure considération empathique, alors que de faibles capacités de régulation émotionnelle sont associées à un haut niveau de détresse personnelle (Eisenberg et al., 1994). Dans cette perspective, les individus peuvent soit sur-réguler ou sous-réguler leur réponse émotionnelle à la détresse d’autrui. Une diminution de la réponse émotionnelle par des processus de sur- régulation émotionnelle semble favoriser une exctinction de la charge émotionnelle pouvant prédisposer à l’évitement de la situation de détresse. En revanche, une augmentation de la réponse émotionnelle par des processus de sous-régulation émotionnelle pourrait faciliter un comportement d’aide (Decety & Lamm, 2006). Ainsi, la capacité à réguler sa propre expérience émotionnelle empathique représente un processus cognitif de haut niveau modulant l’activation émotionnelle empathique en réponse à une situation émotionnelle (Decety & Jackson, 2004).

Par ailleurs, Eisenberg et al., (1994) ont précisé leur modèle théorique sur les liens de l’association entre l’intensité émotionnelle et le degré de régulation émotionnelle (sur- régulation, régulation optimale et sous-régulation) en proposant d’identifier les types de stratégies de régulation émotionnelle. La figure 5 fournit une illustration de ce modèle. Eisenberg et al., (1994) ont testé ce modèle et ont mis en évidence une association positive entre l’intensité émotionnelle perçue d’une situation, la capacité à réguler les émotions et la sympathie. Par ailleurs, les individus présentant des capacités élevées de régulation émotionnelle peuvent prendre la perspective d’autrui sans être submergés par la charge émotionnelle de la situation.

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Figure 5. Modèle théorique de Eisenberg et al., (1994) de l’influence du type de régulation émotionnelle et de l’intensité émotionnelle sur les compétences socio-

émotionnelles. Reproduit à partir de Eisenberg et al., (1994).

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40 Dans une étude basée sur des questionnaires, Lockwood, Seara-Cardoso et Viding (2014) ont évalué l’association entre l’empathie, la régulation émotionnelle et le comportement prosocial. Les auteurs ont mis en évidence une corrélation positive entre l’empathie (affective et cognitive) et le comportement prosocial chez les participants ayant un faible ou moyen niveau de réévaluation cognitive. Cependant, cette association n'était pas significative pour les individus ayant une forte tendance à la réévaluation cognitive. Ainsi, l'empathie affective constitue un facteur de motivation important pour le comportement prosocial seulement pour les individus ayant une forte tendance à utiliser la réévaluation cognitive, qui seraient plus aptes à changer de stratégie et de point de vue lorsqu'elles évaluent la situation en question.

Par ailleurs, l’empathie vis-à-vis d’une personne en souffrance peut résulter d’un jugement émotionnel biaisé appelé égocentrisme émotionnel (i.e. juger l’état émotionnel d’autrui en référence à son propre état émotionnel) (Silani, Lamm, Ruff & Singer, 2013). Dans leur première étude, Naor, Shamay-Tsoory, Sheppes et Okon-Singer (2018) ont présenté des images de scénari douloureux ou non douloureux, et ont demandé aux participants de regarder les images en imaginant comment la personne se sentait en fonction de ce qu’ils ressentiraient eux-mêmes dans une situation similaire. Chaque scenario était suivi de la présentation d’un visage dépeignant une expression faciale émotionnelle (positive, négative ou neutre) avec des intensités différentes. Leurs résultats ont mis en évidence un biais d’égocentrisme émotionnel, à savoir que les participants évaluaient l’intensité de l’expression faciale plus intensément que son évaluation initiale après avoir regardé les scenari douloureux. Dans leur seconde étude, Naor et al., (2018) ont montré que la régulation émotionnelle par la réévaluation cognitive des sentiments empathiques issus du scénario douloureux éliminait le biais d’égocentrisme émotionnel apparu après l’exposition à des scénari douloureux.

Les modèles actuels

Selon (Decety, 2010a), il existe différentes composantes émotionnelles à l’œuvre dans l’émergence de la réponse empathique, à savoir : l’activation émotionnelle (affective arousal), la compréhension émotionnelle (emotion understanding), et enfin la régulation émotionnelle (emotion regulation). Il considère ces différentes composantes comme interdépendantes et contribuant à différents aspects de l'expérience empathique. L’activation émotionnelle fait référence à la discrimination automatique d'un stimulus ou de ses caractéristiques — comme étant appétitif ou aversif, hostile ou familier, agréable ou désagréable, menaçant ou rassurant. La compréhension émotionnelle permet à l’individu de posséder plusieurs perspectives et

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41 correspond à un mécanisme de découplage entre l'information de soi et d’autrui. La régulation des émotions permet le contrôle des émotions, des pulsions et de la motivation. D'après le modèle de Decety (2010a), l'empathie est mise en œuvre par un réseau complexe de neurones ainsi que par des processus autonomes et neuroendocriniens impliqués dans les processus suivant les comportements sociaux et les états émotionnels. De plus, la sympathie (ou la préoccupation empathique) présente de multiples antécédents au sein de l'organisation neuronale, ainsi que divers mécanismes causaux menant au comportement empathique. De même, ce modèle spécifie les variables modératrices influençant les conditions dans lesquelles chacun de ces mécanismes fonctionne et les conséquences découlant de chacun d'eux (voir figure 6).

Figure 6. Modèle de Decety (2010) des composantes impliquées dans l'empathie. Reproduit à partir de Decety (2010a).

Bien que parcimonieux et étayé par les données empiriques en neurosciences sociales, le modèle de Decety (2010a) ne semble pas rendre compte de l’influence du type de stratégie de régulation émotionnelle sur la réponse empathique comme le modèle de Eisenberg et al., (1994) a pu le spécifier. De la même manière, certains auteurs ont déploré que le modèle de Decety rendait compte d’une relation causale unilatérale entre la régulation émotionnelle et l’empathie, en ce sens que la régulation émotionnelle influence l’empathie de manière unilatérale (Schipper & Petermann, 2013). Selon Schipper et Petermann (2013), la relation entre l’empathie et la régulation émotionnelle peut être d’influence bi-réciproque. Pour cela, les

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42 auteurs étayent leur modèle par les travaux cliniques suggérant que des déficits empathiques liés à des troubles psychopathologiques (par exemple dans l’autisme, les troubles des conduites) peuvent être associés à des difficultés à décoder les émotions et les états cognitifs chez soi et chez autrui (Moriguchi et al., 2006 ; Samson, Huber & Gross, 2012). Schipper et Petermann (2013) proposent un modèle quantitatif du lien empathie-régulation émotionnelle, proche du modèle de Eisenberg et al., (1994), selon lequel des niveaux optimaux d’empathie constituent le fondement d’une régulation efficace des émotions. Suivant un modèle de courbe en « U », de faibles capacités d'empathie (low empathy score) pourraient être la source de difficultés de régulation émotionnelle (emotion dysregulation), mais aussi, un niveau trop élevé d'empathie (high empathy score) pourrait de la même manière être à l’origine de déficits de régulation émotionnelle (emotion dysregulation) (voir figure 7).

Figure 7. Modèle de Schipper & Petermann (2013) du lien entre l’empathie et la régulation émotionnelle. Reproduit à partir de Schipper & Petermann (2013).

Pour conclure, qu’il s’agisse des composantes affective, cognitive, ou comportementale de l’empathie, l’ensemble des études abordées illustre le caractère complexe et multidimensionnel de l’empathie. À ce titre, le développement des connaissances sur les différents niveaux d’analyse de l’empathie permettrait de mettre en lumière et de comprendre les mécanismes psycho-comportementaux et physiologiques impliqués dans l’empathie.

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1.7. Caractérisation des mécanismes neurovégétatifs impliqués dans

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