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3. Analyse des entretiens

3.1. Organisation du foyer

3.1.2. Implication du conjoint

Une des questions posées en lien avec l’organisation du foyer porte sur l’implication du conjoint masculin dans les tâches ménagères. Presque tous les hommes à qui nous avons parlé ont modifié leur comportement et ont dit s’impliquer davantage, entre autres pour pallier la perte du soutien offert par la parenté soit en s’impliquant au niveau des tâches ménagères, soit, et surtout, en s’impliquant au niveau de l’éducation des enfants. Les conjoints du couple 1 mentionnent ceci à propos des changements qu’a provoqués la migration quant à l’organisation du foyer :

Mr : « C’est beaucoup plus différent, c’est beaucoup plus différent! » Mme : « Ah, c’est une question de famille parce que là on est… Y’a que nous deux… Y’a que nous deux pour s’occuper d’elle… »

Mr : « Exactement! »

Mme : « Si on était chez nous, ma mère… » Mr : « Tout le monde serait impliqué! »

Pour l’homme de ce couple, c’était un changement nécessaire, il dit : « c’est un changement qu’on a senti qu’il fallait que... qu’on gère, qu’il fallait qu’on intègre une nouvelle façon de faire... ». La plupart des femmes ont mentionné que, malgré certaines modifications, les tâches n’étaient toujours pas séparées de manière égale. Elles considèrent en faire davantage, mais elles reconnaissent que leur époux fait sa

part. Ainsi, il apparaît que la majorité des tâches instrumentales liées au foyer39 demeurent la responsabilité de la femme, mais qu’en revanche, en plus de s’impliquer dans le travail domestique tel que le rapporte leur femme, les hommes vont être amenés à s’impliquer davantage dans la prise en charge des enfants et dans leur éducation, domaine traditionnellement réservé aux femmes.

Tel qu’on pourrait s’y attendre, l’implication des hommes dans le foyer est très appréciée des femmes. Mme 3 dit :

« Il m’aide beaucoup. Par exemple, 80% du temps sans demander son aide, sans chercher son aide, c’est spontané, il le fait. Heureusement, parce que ça nous aide à avancer. »

Pour cette femme, son conjoint a toujours été d’un grand soutien, mais elle est plus importante depuis qu’ils ont immigré et aiderait à surmonter les difficultés. En effet, son conjoint est activement impliqué dans la vie domestique et selon elle, il veut parfois trop en faire pour l’aider aux dépens de ses autres responsabilités comme les études universitaires qu’il mène actuellement.

Cette famille n’est pas la seule à sentir le poids des responsabilités et de la conciliation travail-famille sur l’organisation du foyer. Par exemple, la femme du couple 4 aimerait que son conjoint s’implique plus, mais il ne peut pas à cause de ses heures de travail qui peuvent s’étirer tard le soir. Pour elle, son conjoint fait de son mieux considérant la situation :

39 Par tâches instrumentales nous entendons le ménages, la cuisine, les soins apportés aux enfants, etc.

« Ben ehhh j’aimerais bien qu’il m’aide plus, mais aussi y’a pas le choix parce qu’il se réveille à 5h pour aller [au travail] à 6h. Il va chercher l’enfant [le soir], il lui donne à manger, c’est déjà… Il fait quand même de son mieux. »

La vision de Mr est quelque peu différente. Pour lui, son implication est la même que s’ils avaient été au Maroc et il dit ne pas avoir senti le besoin de s’impliquer plus une fois ici ce qui vient contredire, dans une certaine mesure, les propos de sa conjointe. Selon elle, son époux ne s’impliquerait pas autant s’ils étaient au Maroc à cause de la présence de la parenté. Son implication ne serait pas vraiment nécessaire, mais aussi que ça ne se « ferait » pas, tout simplement. De tels propos laissent croire qu’il existerait une certaine pression sociale dans le pays d’origine par rapport à l’implication de l’homme dans le foyer ce qui rejoint les conclusions de Battaglini et al. : « En l’absence de réseau, surtout familiaux, les conjoints vivent un contexte qui favorise leur implication et qui leur offre la possibilité de transgresser certaines normes qui habituellement gèrent la division sexuelle des tâches dans leur pays d’origine » (2002b: 62). On peut penser que cette pression trouve son origine dans les prescriptions religieuses et culturelles des rôles conjugaux, tel que nous l’avons expliqué plus tôt en référant aux valeurs associées à la tradition patrilinéaire toujours présente et aux stéréotypes associés à la division des rôles et responsabilités dans le foyer. Ainsi, il semble que, tel que l’affirme Battaglini dans son texte sur la paternité en contexte migratoire : « l’immigration constitue une expérience favorisant l’émergence d’exceptions aux normes qui prévalent au pays d’origine quant aux valeurs et comportements paternels » (2002a : 117, italique dans le texte).

Sur l’ensemble des couples rencontrés, les couples 5 et 6 ont, quant à eux, une vision qu’on pourrait qualifier de plus dichotomique du travail domestique, des responsabilités familiales et de l’organisation du foyer dans son ensemble. Pour eux, et plus particulièrement pour le couple 5, les femmes et les hommes ont chacun leurs responsabilités. Le couple 6 fait souvent référence à la division des rôles conjugaux prescrite par la religion selon la perspective que le rôle de l’homme soit de subvenir aux besoins du foyer et celui de la femme, d’éduquer les enfants. Toutefois, monsieur soutient que la réalité est dorénavant différente : la société a changé et les besoins d’un foyer sont rendus trop importants pour que l’homme puisse s’en sortir seul. La femme doit donc travailler. Néanmoins, dans les faits, l’homme du couple 6 confie subvenir à toutes les dépenses du foyer sauf pour les frais liés aux enfants qui sont la responsabilité de sa conjointe. Celle-ci débourse entre autres pour les frais de garderie. Toutefois, il faut garder en tête que celle-ci était sans emploi au moment de l’entretien et recevait des prestations d’assurance-sociale ainsi qu’un montant pour la garde des enfants. Du coup, on peut se demander si cette division inégale des frais est réellement liée à la perception qu’ils ont des rôles conjugaux où est-ce plutôt le fruit de la situation économique du foyer. Malgré cela, selon ce conjoint, la prise en charge des frais liés au foyer demeure la responsabilité de l’homme peu importe la situation : « non non non, c’est pas moitié moitié chez nous, l’homme il doit prendre en charge la famille au complet, même si la femme travaille ». Nous avons pu constater au cours de nos entretiens que tous les couples ne voient pas la chose du même œil. En effet, pour le couple 1, cette responsabilité de l’homme de prendre en charge les dépenses du foyer ne semblait pas être très importante puisque dès leur arrivée, c’est

Mme qui a rempli le rôle de pourvoyeur, et ce, quelques années jusqu’à ce que sont conjoint puisse bénéficier de bourses d’études.

Les entretiens confirment que, à l’instar de Battaglini (2002a), Hernandez (2002) et Dyke et Saucier (2002), le rôle et le comportement des hommes qui immigrent ici changent effectivement par rapport à ce qu’il était dans le pays d’origine, mais pas systématiquement. En effet, il semble que, selon qu’il y a présence de plusieurs membres de la famille élargie dans le pays d’accueil, la redistribution des rôles (tâches) et l’implication de l’homme ne sera pas la même. Dans le cas des six hommes de l’échantillon, il est possible de constater des changements dans l’implication chez cinq d’entre eux, mais toujours à des degrés divers. Aussi, force est de constater que le rôle de l’homme/père pourvoyeur demeure important après la migration. Cette stabilité est particulièrement prégnante dans le discours de l’homme du couple 6. Tout semble donc indiquer que le comportement des hommes se situe à mi-chemin entre ce qu’il aurait été dans le pays d’origine et celui des hommes qu’ils côtoient dans le pays d’accueil. On peut donc avancer que cela constitue une certaine adaptation du rôle du père aux nouvelles réalités qu’entraîne la migration.

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