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Une impasse lourde sur la défense

Dans le document RAPPORT GÉNÉRAL SÉNAT N° 87 (Page 71-78)

CHAPITRE II :

B. LES PRIORITÉS DU GOUVERNEMENT : DES AFFICHAGES POLITIQUES À

2. Une impasse lourde sur la défense

Le budget 2002 ne fait que confirmer une tendance lourde constatée sur l’ensemble de la législature : le sacrifice des dépenses d’équipement militaire et la régression de l’aide au développement.

Une telle dérive, si peu cohérente d’ailleurs avec le discours tenu, risque de placer la France en bien médiocre position face aux enjeux que les attentats du 11 septembre viennent d’illustrer si gravement.

Le budget de la défense pour 2002 s’élève à 37,6 milliards d’euros (247 milliards de francs), soit un montant hors pensions de 28,9 milliards d’euros (189 milliards de francs).

Par rapport au budget voté 2001, l’évolution stagne à 0,2 % en francs courants, contre 2,5 % pour l’ensemble des budgets civils : le budget militaire reste le parent pauvre, ou plutôt la variable d’ajustement favorite de l’équilibre du budget général.

a) Le sacrifice des dépenses d’équipement militaire et d’entretien courant

Pour 2002, la priorité du budget militaire est « la condition militaire ». De fait, le titre III progresse de 2,3 %, soit un taux néanmoins inférieur de moitié à celui des budgets civils : + 5,1 %.

En 2002, les dépenses d’équipement militaire font donc, plus que jamais, les frais de l’ajustement budgétaire. A 12,4 milliards d’euros (81,4 milliards de francs), les crédits demandés diminuent de 2,5 % par rapport à 2001 (les dépenses d’investissement civil ne diminuent, elles,

« que » de 1,7 %).

En 2002, le budget militaire représentera le cinquième poste de dépenses de l’Etat, moins de 11 % du budget général, et moins de 2 % du PIB.

Depuis 1996, la part de l’effort de défense dans le budget de l’Etat aura diminué de 1,4 point (5 points depuis 1980) et la part de l’effort de défense dans le PIB de 0,5 point (2 points depuis 1980).

En réalité, le budget 2002 ne fait que confirmer une tendance constamment renforcée au cours de l’actuelle législature.

Depuis 1992, la structure du budget militaire s’est radicalement modifiée, avec une inversion absolue du poids relatif des crédits de fonctionnement et des dépenses d’équipement.

Evolution des dépenses publiques en francs courants (dépenses exécutées) (1992 = 100)

70 100 130

1992 1994 1996 1998 2000

Budget général Budget défense Dépenses d'équipement militaire

Évolution des dépenses militaires

(en milliards d’euros)

1992 1995 2000 2001 2002 Titre III 14,08 15,14 16,01 16,09 16,46 Titres V et VI 15,69 14,47 12,65 12,72 12,39

De façon constante sur la législature, les dépenses du titre III ont été privilégiées au détriment des dépenses d’équipement du titre V, qui ont systématiquement servi de variable d’ajustement budgétaire, tant en loi de finances initiale qu’en exécution budgétaire.

Le mouvement est accentué en effet par les conditions d’exécution budgétaire, qui se traduisent généralement par un gonflement des dépenses du titre III et une réduction des crédits des titres V et VI.

Evolution du budget de défense - dépenses exécutées (1992 = 100)

60 90 120

1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000

Dépenses d'équipement militaire

Dépenses de fonctionnement

Annulations intervenues en exécution sur les titres V et VI (en milliards d'euros)

- 1997 - 1998 - 1999 - 2000 - 2001(1)

0,76 1,12 1,45 0,98 0,57

(1) Arrêtés d’annulation du 21 mai et du 8 octobre 2001, avant collectif de fin d’année

Au total, sur la période 1997-2002, les annulations de crédits sur les dépenses d’équipement militaire ont atteint 4,88 milliards d’euros (32,01 milliards de francs). Ceci représente exactement le prix de deux nouveaux porte-avions ou d’un deuxième porte-avions accompagné de trois frégates Horizon…

b) Le coût croissant de la professionnalisation des armées et des opérations militaires extérieures

Si les dépenses du titre III ont été quasi constamment supérieures aux crédits initiaux, c’est à cause de la sous-estimation du coût de la professionnalisation et de l’impact des mesures fonction publique d’une part, et des modalités de financement des opérations extérieures d’autre part (dépenses du titre III financées en cours d’exécution budgétaire par prélèvement sur le titre V).

De fait, au sein même du titre III, ce sont les seules dépenses de rémunérations et de charges sociales qui se sont accélérées, les dépenses de fonctionnement et d’entretien courant ayant elles-mêmes fait l’objet d’importantes réductions, qui se traduisent aujourd’hui par une sensible détérioration des taux d’activité des forces et de disponibilité des équipements.

Au total, sur la période 1997-2002, la restructuration des armées françaises aura représenté un coût de 2,5 milliards d’euros: 0,81 milliard d’euros pour les aides au départ et à la reconversion des personnels militaires, 1,1 milliard d’euros pour les aides au départ et à la mobilité des personnels civils, 0,5 milliard d’euros pour la reconversion des personnels de DCN (Direction des constructions navales), 0,2 milliard d’euros pour limiter l’impact des restructurations sur le tissu économique local.

Liées à des considérations de préservation de l’emploi et d’aménagement du territoire, ces dépenses ont été entièrement prises en charge par le budget de la Défense, dont ce n’est pas la vocation1.

La réforme considérable que représente la professionnalisation des armées a été effectuée avec succès et surtout discrétion. Mais sans économies potentielles, bien au contraire.

De fait, les prochains budgets de défense devront impérativement tenir compte des coûts élevés nécessaires pour conserver au sein des armées les militaires professionnels.

Pour préserver au moins le niveau acquis et faire vivre dans la durée l’armée professionnelle, un effort financier supplémentaire considérable devra être consenti.

Les personnels ayant fait le choix de servir dans une armée professionnelle se montreront en effet nécessairement plus exigeants à l’égard de leurs conditions de rémunération et de fonctionnement.

Aujourd’hui, le taux de croissance moyen des dépenses de rémunération et de fonctionnement des armées américaines et britanniques est de 2 % par an en termes réels. Ces deux armées restent pourtant confrontées à des manques de personnel dans certaines unités (unités de combat, ou métiers spécifiques comme les informaticiens ou les atomiciens, dont le niveau de rémunération dans le secteur privé est sans équivalent).

c) Un an de retard pour l’équipement militaire : des inquiétudes sur la « cohérence des forces »

Le montant total de l’enveloppe initialement définie par la loi de programmation militaire pour les dépenses d’équipement militaire avait été fixée à 82,47 milliards d’euros sur 1997-2002.

1 Cette méthode ne peut être indé finiment prolongée. Votre commission souhaite vivement à cet égard que la recapitalisation du GIAT, annoncée pour le collectif de fin d’année à hauteur de 4 milliards de francs environ, ne se fasse pas au prix d’un nouveau prélèvement sur les crédits d’équipement militaire.

Evolution de la loi de programmation militaire Crédits d’équipement

(en milliards d'euros)

1997 1998 1999 2000 2001 2002 TOTAL

- Loi de programmation initiale 13,77 13,77 13,77 13,77 13,77 13,77 82,62 - LPM amendée par la « revue

de programmes » - - 13,13 13,13 13,13 13,13 80,06 - Lois de finances initiales 13,77 12,50 13,11 12,65 12,61 12,41 77,06 - dont B.C.R.D. - 0,08 0,14 0,23 0,19 0,19 0,83 - Exécution hors BCRD 12,99 11,74 11,74 11,53 11,48(1) 11,30(1) 70,78(1) Sources : - lois de règlement 1997 à 2000

- loi de finances initial 2001, projet de loi de finances 2002

Bilan en fin de programmation

(écarts en milliards d’euros par rapport à l’objectif global de la LPM) - Effet de la revue de programmes : - 2,56

- Crédits inscrits en LFI : - 5,56

- Dépenses exécutées (hors BCRD) : - 11,84

En fin de programmation, les conditions d’exécution des crédits d’équipement militaire sur la législature conduisent à un écart qui peut être estimé à 11,84 milliards d’euros par rapport aux objectifs de la loi de programmation initiale, soit l’équivalent d’environ une année de crédits d’équipement1.

De fait, fin 2001, les plus hauts responsables militaires reconnaissent désormais qu’il y a d’ores et déjà « érosion des matériels », « dégradation du contenu du modèle d’armée 2015 » et surtout, ce qui est plus grave,

« inquiétude sur la cohérence des forces ».

Les armées devront dès lors aborder la prochaine loi de programmation militaire avec une double difficulté : une réalisation en termes physiques moins favorable que prévue, et une dotation en autorisations de programme, comme en crédits de paiements, qui présente un écart sensible avec les dotations prévues pour 2003.

1 Cette hypothèse est cohérente avec les chiffres avancés par le chef d’Etat-major des armées et le délégué général pour l’armement, qui évaluent à 10,4 milliards d’euros l’insuffisance cumulée des crédits d’équipement fin 2001 : cf. audition du Général Jean -Pierre Kelche, chef d’Etat-major des armées (Commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale – 2 octobre 2001), cf. audition de M. Yves Gleizes, délégué général pour l’armement (ibid – 18 octobre 2001).

Exécution de la loi de programmation militaire Crédits d'équipement

11,00 11,30 11,60 11,90 12,20 12,50 12,80 13,10 13,40 13,70 14,00

1997 1998 1999 2000 2001 2002

- LPM initiale - LPM révisée - LFI

Dépenses exécutées hors BCRD

(en milliards d'euros)

d) Une facture conséquente pour les prochains budgets

Certes, l’actuelle loi de programmation est une loi essentiellement de développement et d’études (et donc de commandes). M. Alain Richard, ministre de la défense, se félicite d’ailleurs d’avoir lancé un important programme de commandes fin 2000, et, de ce fait, de « tenir globalement les objectifs de la LPM ».

En réalité, si les objectifs de commandes sont, à peu près, tenus, quoique bien tardivement et en fin de législature, au moment où la conjoncture se détériore, la réalisation physique des objectifs n’est pas respectée.

De fait, il faudra prévoir dès les prochains exercices budgétaires, voire peut-être dès l’exécution 2000, une augmentation conséquente des crédits de paiement pour honorer les commandes ainsi passées.

L’actuelle législature a été en effet marquée par un décalage croissant entre les engagements et les paiements ; sur chaque exercice, les autorisations de programme ouvertes par la loi de finances initiale ont été constamment supérieures aux montants votés en loi de finances initiale (du fait de l’importance du stock d’autorisations de programme disponibles à l’affectation). Parallèlement, les crédits de paiement disponibles ont été constamment inférieurs aux montants votés en loi de finances initiale (du fait des annulations intervenues en cours d’exercice).

Ainsi, sur le dernier exercice connu, soit 2000, les autorisations de programme engagées se sont élevées à 16,37 milliards d’euros (contre 13,34 milliards d’euros votées en loi de finances initiale), tandis que les crédits de paiement consommés n’ont atteint que 11,63 milliards d’euros (contre 12,64 milliards d’euros votés en loi de finances initiale) : l’écart, qui

devra bien être couvert, au moins partiellement, au cours des prochains exercices budgétaires, atteint plus de 4,57 milliards d’euros…

Cette impasse, considérable, va apparaître dès la prochaine loi de programmation, qui devra être une loi de fabrication (et de livraisons).

Ceci, s’ajoutant à l’effet des retards et décalages constants des études et des commandes, sans parler des annulations, qui ont marqué la législature, ne pourra que se traduire par d’importantes « ruptures capacitaires » pour certains équipements parfois majeurs. Certaines d’ailleurs sont d’ores et déjà

« avouées » : avions de transport, véhicules d’infanterie au sol, appareils Rafale au standard F2 (capables de tirer des missiles air-sol), frégates anti-aériennes.

On ne peut enfin que s’inquiéter, d’ores et déjà, de l’écart conséquent (plus de 0,91 milliard d’euros) entre l’annuité 2002 : 12,4 milliards d’euros hors reports (81,4 milliards de francs), et le montant retenu par la prochaine loi de programmation pour 2003 : 13,34 milliards d’euros (87,5 milliards de francs).

Hors dépenses dites de « bourrage », c’est à dire contribution du budget de la défense au BCRD et financement des compensations accordées à la Polynésie au titre de l’arrêt des essais nucléaires, la « marche » budgétaire qu’il faudra franchir dès 2003 est de l’ordre de 1,52 milliard d’euros (près de 10 milliards de francs).

Concrètement, il sera dès lors difficile d’échapper à un débat de grande ampleur sur la politique de défense de la France.

Dans le document RAPPORT GÉNÉRAL SÉNAT N° 87 (Page 71-78)