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3 Synthèse et discussion des résultats

3.3 Impacts anthropiques

3.3.2 Impacts indirects

Les impacts indirects peuvent être considérés comme ceux affectant les communautés au travers des conditions d'habitat au sens large (y compris la connectivité). Ils ont été appréhendés en analysant, sur les lacs du nord-est des Etats-Unis, les liens entre les attributs de ces communautés et l’utilisation des sols dans les bassins versants des plans d’eau (P5). Réaliser un travail équivalent sur les plans d’eau de France aurait certes été préférable pour la cohérence de cette thèse, mais les données collectées par l’USEPA (Baker et al. 1997) et rendues publiques présentaient une meilleure homogénéité dans les modes de collecte et ont été acquises sur des sites sélectionnés pour être représentatifs des plans d’eau de la région (Larsen et al. 1994).

L’utilisation des communautés piscicoles comme bioindicateur s’est considérablement développée depuis les travaux ayant précisé le concept d’intégrité biotique et donné dans les grandes lignes la méthode à suivre pour mettre au point des indices (IBIs – Indexes of Biotic Integrity) pour la mesurer (Karr 1981 ; Karr et al. 1986). Le nombre des articles publiés sur des adaptations de l’indice original pour les cours d’eau de diverses régions atteste du succès rencontré par cette méthode (Roset et al. in press). En comparaison, les plans d’eau semblent avoir reçu nettement moins d’attention. Certaines études ont bien été inspirées par la démarche appliquée aux cours d’eau (Dionne & Karr 1992 ; Hughes et al. 1992 ; Minns et al. 1994 ; Jennings et al. 1995 ; Jennings et al. 1999 ; Whittier 1999 ; Appelberg et al. 2000 ; Drake & Pereira 2002 ; Drake & Valley 2005), mais elles restent très partielles dans la mesure où aucune ne respecte l’ensemble des conditions suivantes :

un contrôle des facteurs environnementaux,

une sélection des métriques basée sur leur réponse à des pressions,

une méthode d’agrégation des métriques optimisant la discrimination entre sites perturbés et non perturbés,

une validation de l’indice sur un jeu de données indépendant.

Ce manque d’outils est par ailleurs encore plus criant pour les retenues artificielles que pour les lacs naturels.

Les résultats obtenus au cours de cette thèse ont montré que, sur 11 métriques candidates sélectionnées pour refléter, outre la richesse spécifique, la composition de la communauté en guildes trophiques, d’habitat et de tolérance, six répondaient significativement à l’anthropisation des bassins versants des plans d’eau. Sur les lacs naturels, les proportions d’espèces phytophiles, piscivores et pratiquant des soins parentaux augmentent avec l’urbanisation des bassins versants. Bien que les mécanismes expliquant ces réponses soient loin d'être clairement identifiés, on peut par exemple raisonnablement penser que l'urbanisation en amont des plans d'eau augmente les flux de nutriments vers ces milieux. Cet enrichissement conduirait à l'augmentation de la productivité primaire sous forme phytoplanctonique ou macrophytique, ce qui favoriserait les espèces phytophiles. L'accumulation de matière organique non dégradée au fond du plan d'eau tendrait à colmater les substrats minéraux nécessaires aux lithophiles pour leur reproduction. Cette modification des habitats physiques bénéficierait donc aux phytophiles. L'augmentation de la proportion de piscivores peut, quant à elle, être rapprochée des diverses hypothèses qui ont été proposées pour lier l'énergie disponible à la structure trophique des communautés (Abrams 1995 ; Srivastava & Lawton 1998 ; Bohannan & Lenski 2000). Il est également possible que la fréquence des introductions d'espèces d'intérêt halieutique, donc souvent prédatrices, augmente avec la proximité de centres urbains.

Une étude méthodologique a par ailleurs été réalisée pour évaluer si de tels résultats étaient sensibles (i) à l’inclusion ou l’exclusion des jeunes de l’année (0+) capturés lors des inventaires, (ii) à la nature des métriques (nombres ou proportions d’individus ou d’espèces) et (iii) au choix de la méthode de modélisation. Au final, cette étude montre que les alternatives ci-dessus ont peu d'influence sur les résultats. Sans extrapoler à d’autres régions, types de systèmes ou échelles d’approche, ceci suggère que les données supplémentaires apportées par un plan d’échantillonnage destiné à estimer les abondances, y compris des juvéniles, sont peu informatives en

terme de relation pression-impact. Collecter de telles données représente un surcroît de travail de terrain. Une baisse de l’effort porté sur chaque plan d’eau et une augmentation du nombre de sites prospectés pourrait donc s'avérer plus efficace en termes d’allocation de moyens. Une partie des moyens dégagés pourrait également être consacrée à un suivi temporel de certains sites. La question de la variabilité temporelle de court terme (entre saisons et entre années consécutives) mériterait en effet d’être examinée de façon à évaluer si des tendances de long terme (réponses au changement climatique, à l’altération des habitats, aux espèces introduites) peuvent être détectées par ce type de réseau et avec quelle incertitude.

Il est également clairement apparu que les métriques répondant à l’utilisation agricole et urbaine des sols sur les bassins versants étaient différentes entre les lacs naturels et les retenues (P5). Certes, les gammes de variation de ces deux catégories d'occupation du sol sur les bassins versants des deux types de plans d'eau ne sont pas équivalentes, ce qui peut expliquer en partie ces résultats, mais ces derniers sont de nature à porter le doute sur la possibilité d’utiliser les lacs naturels comme références à atteindre pour les retenues artificielles. Or, cette question de la référence à prendre en compte pour évaluer l’état écologique des retenues est très actuelle puisque ces milieux entrent dans le champ d’application de la DCE (P4).

La mise au point d'outils de bioindication basés sur les communautés piscicoles des plans d'eau semble un objectif réaliste mais nécessitant encore des développements scientifiques et l'acquisition de données orientée vers cet objectif. La démarche engagée pose les bases du développement de tels outils dans la mesure où elle a permis l'identification de facteurs environnementaux à contrôler, initié la caractérisation de pressions et proposé une première sélection de métriques. Dans l'idéal, ils devraient permettre, outre l'évaluation de l'intégrité écologique des milieux, de poser des diagnostics sur les causes des éventuels dysfonctionnements, voire de tester des scenarii de réponse à des actions de gestion. Pour ce faire, il sera important d'améliorer la caractérisation des pressions subies par les plans d'eau pour obtenir des évaluations des flux de polluants (au moins pour ce qui est des nutriments) et prendre en compte les pressions s'exerçant localement, telles que les altérations du régime naturel de marnage ou l'aménagement des berges.

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