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Impacts des développements jurisprudentiels sur le système de perception des

Parmi les développements jurisprudentiels précédemment analysés, deux arrêts et leurs suites respectives ont vraisemblablement provoqué une hausse de la clientèle du système de perception automatique des pensions alimentaires, soit l’arrêt Moge ayant consacré le fondement compensatoire (i) et l’arrêt Bracklow ayant mis en lumière le fondement non compensatoire (ii). Quant au fondement contractuel, son impact sur la clientèle du système paraît moins déterminant (iii).

i) Le fondement compensatoire

Sous l’égide de la Loi sur le divorce de 1968, la pension alimentaire à l’ex-époux constituait une

mesure essentiellement temporaire. Les ordonnances rendues devaient tendre à libérer les parties des liens économiques les unissant. Chacune d’elle devait parvenir à l’autonomie financière par ses propres moyens, à l’intérieur d’une période donnée. L’arrêt Moge, rendu en 1992 par la Cour

suprême du Canada, a opéré un changement de paradigme. Selon la Cour, les dispositions qui composent la loi de 1985 justifient une relecture de l’obligation alimentaire. L’indépendance économique ne constitue plus le critère prédominant. Tous les critères prévus à l’article 15.2(6) de la Loi sur le divorce doivent être considérés également. Le principe du partage équitable des

conséquences économiques découlant du mariage ou de son échec doit se substituer à la théorie du « clean break ». Si l’ancienne conception justifiait le plus souvent l’imposition d’un terme à la pension alimentaire, tel n’est pas le cas de la nouvelle. Dans la plupart des situations, la juste compensation du conjoint créancier justifiera le paiement d’une pension alimentaire de longue durée.

Le fondement compensatoire de l’obligation alimentaire entre ex-conjoints a donné lieu et donne encore lieu à de nombreuses décisions judiciaires. L’analyse de la jurisprudence récente permet de nous en convaincre. Certes, on peut croire que certains facteurs caractérisant les unions contemporaines (partage des tâches, mariage de plus courte durée, formation, etc.) entraîneront éventuellement une réduction des ordonnances alimentaires de type compensatoire. Il n’en demeure pas moins que le mariage ne sera jamais qu’un épisode tout à fait neutre dans la vie des conjoints, ne serait-ce qu’en raison du maternage qu’assument et que continueront d’assumer les femmes, le cas échéant. Qui plus est, l’idéal égalitaire ne correspond que très rarement à la réalité vécue66

Hypothèse 1 : Le fondement compensatoire de l’obligation alimentaire entre ex-conjoints se traduit par des ordonnances alimentaires qui ne pourraient autrement bénéficier d’assise légale. Il y a donc lieu de croire que l’arrêt Moge a provoqué, depuis 1992, une augmentation continue du nombre d’ordonnances alimentaires entre ex-conjoints. Incidemment, on peut présumer que le nombre d’ordonnances alimentaires rendues à durée indéterminée a suivi la même courbe.

. Le fondement compensatoire demeurera donc toujours très actuel et continuera, dans les années à venir, de justifier l’octroi de pension alimentaire de type compensatoire.

ii) Le fondement non compensatoire

Le champ d’application de l’obligation alimentaire entre ex-conjoints s’est une fois de plus élargi en 1999 au terme de l’arrêt Bracklow prononcé par la Cour suprême du Canada. Depuis, un

conjoint ne peut plus se soustraire à son obligation alimentaire en invoquant l’absence de liens entre l’état de dépendance économique dans lequel se retrouve l’autre conjoint et le mariage. En vertu du fondement non compensatoire ou social de l’obligation alimentaire, il incombera à l’ex- conjoint, et non à l’État, d’assumer la prise en charge des besoins de celui ou de celle qui, sans avoir été désavantagé par le mariage, se verra dans l’impossibilité d’atteindre son autonomie financière en raison, notamment, d’une maladie ou d’un handicap.

Après avoir traversé une période de turbulence67

Hypothèse 2 : Le fondement non compensatoire de l’obligation alimentaire entre ex-conjoints se traduit par des ordonnances alimentaires qui ne bénéficiaient autrefois pas d’assises légales claires. Il y a donc lieu de croire que l’arrêt Bracklow a provoqué, depuis 1999, une augmentation continue du nombre d’ordonnances alimentaires entre ex-conjoints.

, la jurisprudence sur le fondement non compensatoire s’est stabilisée. Ce fondement est aujourd’hui bien implanté en droit canadien et québécois et donne lieu à de nombreuses ordonnances alimentaires. La maladie et le handicap dont peut être affecté un conjoint constituent des réalités intemporelles qui ne se feront pas moins fréquentes à l’avenir.

iii) Le fondement contractuel

En vertu de la Loi sur le divorce, les époux ont la possibilité de régler conventionnellement leurs

affaires financières au moment de la rupture et de soumettre au tribunal toute entente

66 Hélène BELLEAU et Raphaëlle PROULX, « Équilibre et déséquilibre des comptes amoureux

contemporains : Le revenu familial remis en question. L’exemple québécois », (2010) 7 Recherches familiales

85.

67 Marie-Josée BRODEUR, « Les effets de l’arrêt Bracklow : un support privé pour l’ex-époux en

remplacement d’un régime public d’assurance-maladie ? », dans Développements récents en droit familial,

Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2000, Droit civil en ligne (DCL),

alimentaire. De telles ententes seront homologuées par le tribunal pour valoir jugement dans la mesure où elles sont équitables, reflètent les fondements et facteurs d’attribution prévus aux paragraphes 4 et 6 de l’article 15.1 de la Loi sur le divorce et ont fait l’objet d’un consentement

libre et éclairé de la part de chacune des parties. Depuis l’arrêt Miglin rendu en 2003, les ententes alimentaires ainsi homologuées acquièrent une grande stabilité; il ne sera possible d’en obtenir la modification ou la révocation qu’à certaines conditions bien précises.

La propension des couples d’aujourd’hui et de demain à convenir d’ententes au moment de leur divorce est indéniable. La dynamique des nouveaux rapports conjugaux pave la voie au dialogue et au règlement amiable des différends68. Selon les résultats obtenus au terme d’une recherche

empirique réalisée en 2008 pour le compte du ministère de la Justice du Québec69, la très grande

majorité des pensions alimentaires (plus de 85%) auxquelles donnent lieu les jugements de divorce résultent d’ententes convenues par les conjoints70

Cela étant, les ententes alimentaires prévoient en majorité l’établissement de pensions alimentaires à durée définie. Les résultats de la recherche mentionnée au paragraphe précédent révèlent que dans plus de 55 % des ententes homologuées, la pension alimentaire convenue est assortie d’un terme. Il semble que les juges soient enclins à homologuer le terme ainsi convenu, même lorsque les conditions factuelles ne s’y prêtent pas

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Hypothèse 3 : Compte tenu des tendances observables, tant sur le plan social que judiciaire, le fondement contractuel de l’obligation alimentaire a justifié et justifiera dans les années à venir de nombreuses ordonnances alimentaires. On ne saurait toutefois prétendre que ce fondement est en soi source d’augmentation du nombre d’ordonnances puisqu’à défaut d’entente, le tribunal conserve toujours le pouvoir d’attribuer une pension à l’un des conjoints sur la base de l’un ou l’autre des deux autres fondements. La propension des conjoints à assortir la pension d’un terme, conjuguée aux strictes conditions de révision ou de modification posées par l’arrêt Miglin, pourraient cependant influencer à la baisse la clientèle du programme de perception des pensions alimentaires.

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