Chapitre 1. Introduction Générale
IV- 2 Impacts sur la biocénose, et en particulier sur les oiseaux marins
Mise à part quelques rares cas de chauves-souris et de passereaux que l’on peut voir évoluer à
proximité des côtes, les oiseaux marins sont aujourd’hui les seules espèces volantes à avoir
véritablement colonisé les océans. Ils ont ainsi la particularité de se retrouver à l’interface de
trois milieux différents : (1) le milieu terrestre qui leur permet de se reproduire et qu’ils
fréquentent pendant une partie de leur cycle annuel, (2) le milieu aérien où ils effectuent la
quasi-totalité de leurs déplacements par leur capacité de vol, et (3) le milieu aquatique marin
dans lequel ils passent une grande partie de leur vie et dont ils tirent leurs ressources. Chacun
de ces milieux joue un rôle primordial pour la survie et la pérennité de ces espèces. Mais cela
signifie aussi que les oiseaux marins dépendent de ces trois milieux et donc qu’un
changement dans un seul d’entre eux pourrait avoir des conséquences directes ou indirectes
sur leurs populations.
(1) Milieu terrestre : les perturbations de ce milieu n’affecteront pas directement l’écologie
hivernale des oiseaux marins, puisqu’elles ne concernent qu’une courte période estivale, celle
de la reproduction. Notons tout de même qu’au travers d’une augmentation des pluies ou
d’une fonte plus rapide des neiges au printemps, les changements climatiques pourraient
provoquer des inondations plus fréquentes des nids (en particulier pour les espèces nichant
dans des cavités telles que les mergules nains ou les macareux ; Rodway et al. 1998, Schreiber
2001). De plus, les pluies verglaçantes pourraient affecter négativement la balance thermique
des poussins et donc leur survie (Burger & Gochfeld 1990). Ces perturbations terrestres
pourraient ainsi avoir d’importantes conséquences sur le succès reproducteur des oiseaux
marins concernés.
(2) Milieu aérien : deux principaux changements du milieu aérien pourraient affecter les
oiseaux marins de l’Atlantique Nord. Il s’agit d’abord de l’augmentation de la température
générale de l’air. Les oiseaux marins de ces régions sont morphologiquement et
physiologiquement adaptés à des températures ambiantes froides. On s’attend ainsi, au cours
de la période hivernale, à ce que cette augmentation ait un effet général positif sur la balance
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thermique et l’énergétique de certaines espèces, excepté chez les individus distribués dans les
régions les plus chaudes. Une des principales conséquences attendues est donc une remontée
vers le nord des limites sud de distribution des espèces. Ensuite, un changement des vents
pourrait avoir un impact non négligeable sur l’énergétique associée au comportement de vol
des oiseaux, impact positif ou négatif en fonction des espèces considérées (Loeng et al. 2005).
(3) Milieu aquatique marin : il s’agit du milieu qui aura l’impact le plus fort sur les oiseaux
marins qui intègrent l’ensemble des perturbations affectant chacun des maillons trphiques
inférieurs dont ils dépendent. Ainsi, en plus d’avoir des conséquences directes sur les oiseaux
comme les milieux précédents, ces perturbations auront des conséquences indirectes au
travers l’ensemble du réseau trophique (phénomène de bottom-up control ; e.g. Frederiksen et
al. 2006).
Voyons tour à tour comment les différents niveaux du réseau trophique de l’Atlantique Nord,
et en bout de chaîne les oiseaux marins, vont être affectés par les futures variations de
l’océanographie physique sous l’impact des changements climatiques.
- Le phytoplancton et la production primaire
La production biologique des océans est avant tout basée sur celle du phytoplancton. La
présence de glace entraîne une diminution de la luminosité dans le milieu marin. Ainsi, la
luminosité sous la glace est similaire à celle trouvée à 40 m de profondeur en eau libre. Cette
lumière étant le facteur limitant au développement du phytoplancton, une diminution des
étendues de glace devrait permettre une augmentation de la luminosité et donc une
augmentation de la production (2 à 5 fois) et de la distribution du phytoplancton (ACIA 2004,
Loeng et al. 2005). Cependant, cela ne sera possible que dans l’hypothèse où les vents (et le
brassage des masses d’eau associé) permettraient un apport suffisant de nutriments. De plus,
une augmentation des températures de surface va avoir en parallèle un impact direct sur
l’abondance de ces espèces (Richardson & Schoeman 2004) ainsi que sur leur développement,
en diminuant notamment le temps de croissance du phytoplancton, réduisant ainsi la durée du
« spring bloom
10» et leur période de disponibilité pour leurs prédateurs.
10
Le « spring bloom » du phytoplancton est un phénomène de développement soudain d’une biomasse importante de phytoplancton au printemps dans les eaux tempérées et subpolaires. Cette émergence est notamment conditionnée par la luminosité (et donc la fonte des glaces dans certaines régions), la température et la disponibilité de nutriments.
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- Le zooplancton
Les changements climatiques pourraient également avoir un impact négatif sur les populations
de zooplancton. Par exemple, de nombreuses espèces vivent au dépend de la glace de mer qui
leur offre un habitat ainsi que des proies comme les algues planctoniques. Une fonte accélérée
de la glace de mer risque d’une part de détruire cet habitat, mais aussi d’accentuer la couche
superficielle d’eau douce résultante, entraînant un remplacement des espèces d’algues
aujourd’hui présentes et diminuant le stock de proies disponibles. De plus, de nombreuses
espèces sont inféodées à des températures bien particulières (exemple des
copépodes calanoïdes : Fig. 1.10). Un changement de quelques degrés pourrait profondément
affecter leur reproduction et on s’attend ainsi à un déplacement de ces espèces vers le Nord
(cf. Beaugrand et al. 2002b), remplacées par des espèces d’eaux tempérées. Enfin, la période
de disponibilité avancée du phytoplancton (voir ci-dessus) pourrait entraîner une
désynchronisation entre phytoplancton et zooplancton, menant à une diminution de la
productivité du zooplancton (Loeng et al. 2005).
- Les poissons
Les poissons étant des organismes ectothermes (leur température corporelle suit celle de leur
environnement) avec eux aussi des préférendums thermiques, les zones de distribution
spécifiques devraient se déplacer vers le nord sous l’effet direct de l’augmentation des
températures de l’eau. Cette augmentation devrait aussi modifier les routes de migration des
espèces ainsi que les périodes et zones de fraie, leur taux de fécondité et le taux de survie des
larves (e.g. Loeng et al. 2005, Ottersen et al. 2004a). Enfin, une désynchronisation entre
phytoplancton et zooplancton (voir ci-dessus) pourrait fortement diminuer la disponibilité des
proies pour les poissons et donc leur survie (Loeng et al. 2005). Certaines espèces plus aptes à
s’adapter pourraient profiter de ce changement de l’environnement. Ainsi, des espèces comme
les morues de l’Atlantique ou les harengs vont se déplacer vers le nord et proliférer au dépend
d’autres espèces comme le capelan ou la morue arctique dont l’abondance devrait diminuer
(Loeng et al. 2005).
- Les oiseaux
Différentes études ont suggéré qu’en réponse aux changements de distribution et d’abondance
de leurs proies, les oiseaux allaient se déplacer vers le nord (e.g. Brown 1991).
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Fig. 1.10 Préférendums thermiques de 3 espèces de copépodes calanoïdes de l’océan Nord
Atlantique. L’abondance en axe des ordonnées est une moyenne d’abondance par
prélèvement CPR
11(soit environ 3m
3d’eau de mer filtrée ; Source : Beaugrand unpublished).
11
L’étude « Continuous Plankton Recorder » est un large programme de suivi des communautés de zooplancton en Atlantique Nord et en Mer du Nord depuis 1931.