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IV. Impacts liés au changement du niveau de la mer

IV.2. Impacts sur l’érosion côtière

Une seconde conséquence attendue de l’élévation du niveau marin est un recul du trait de côte, en particulier des littoraux bas et meubles (Wong et al., 2014). Le trait de côte marque l’interface entre la terre et la mer. De nombreux indicateurs peuvent être utilisés pour le tracer : limite de végétation permanente, pied de dune, pied ou sommet de falaise. En France, il est défini comme la ligne correspondant aux laisses des plus hautes mers pour une marée de coefficient maximal 120 dans des conditions météorologiques normales14.

IV.2.1. Phénomènes en jeu

Le trait de côte est susceptible d’évoluer de différentes manières en réponse à l’élévation du niveau de la mer (Figure IV.5) : si l’on suppose qu’aucun ajustement morphologique n’a lieu à mesure que le niveau marin s’élève, les zones les plus basses peuvent alors être inondées. Ce régime de submersion permanente peut par exemple être observé pour certains segments du delta du Chao-Praya en Thaïlande (Uehara et al., 2010).

Au contraire, une baisse rapide du niveau de la mer sans ajustement morphologique se traduira par un régime d’émergence, avec un gain des terres sur la mer.

Figure IV.5 Différents modes d’évolution du trait de côte.

Dans le cas général, les littoraux ne réagissent pas de manière passive à l’élévation du niveau de la mer. En effet, les sédiments de la zone littorale peuvent être déplacés par de nombreux processus, notamment les vagues et les courants (Figure IV.6), modifiant ainsi l’aspect de la zone côtière (bathymétrie, topographie). Des matériaux peuvent être transportés par les fleuves jusqu’aux estuaires, ou bien prélevés sur les falaises ou des coraux, pour finalement être redistribués sur les côtes. Enfin, les activités humaines peuvent modifier cette dynamique de manière directe (ex : défenses côtières, rechargements en sable) ou indirecte (ex : modification des transports solides dans les bassins versants via des aménagements fluviaux ou des modifications d’occupation des sols).

L’évolution du trait de côte se manifeste à différentes échelles de temps

14 Définition officielle : http://www.developpement-durable.gouv.fr/La-gestion-du-trait-de-cote-une.html

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(événementielle, saisonnière, interannuelle…) : à titre d’exemple, le recul de la côte sableuse d’Aquitaine s’effectue à un rythme de 1 à 3 m/an en moyenne (Bonneton et al., 2013), mais a atteint 20 m sur de nombreux sites après la succession de tempêtes de l’hiver 2013/2014 (Bulteau et al., 2014). Lors de la seule tempête Xynthia, des reculs du trait de côte allant jusqu’à 20 m ont été observés sur des plages de Vendée et de Charente-Maritime (Figure IV.7). Ceci est encore plus vrai pour les côtes à falaise pour lesquelles sont souvent fournies des valeurs de recul annuel. Or, ces dernières relatent très mal la multiplicité des facteurs responsables des mouvements gravitaires, ainsi que l’évolution saccadée dans le temps (évolution souvent multidécennales) et dans l’espace de ces formes d’ablation. À titre d’exemple, le recul des falaises crayeuses de Seine Maritime est de l’ordre de 20 cm/an, mais des effondrements peuvent faire reculer le haut des abrupts de plus 10 à 15 m en quelques secondes (Costa et al., 2004). Ainsi, les littoraux sont des systèmes dynamiques, dont l’évolution ne peut s’expliquer par la seule élévation du niveau de la mer.

Figure IV.6 Processus naturels (A) et anthropiques (B) impliqués dans la mobilité sédimentaire en zones côtières. Les variables hydrométéorologiques indiquées en gras dans la figure A (exemple : vagues, précipitations) peuvent elles-mêmes être affectées par le changement climatique. Cependant, on considère généralement que l’élévation du niveau marin est la manifestation du changement climatique qui aura le plus d’impacts sur le recul du trait de côte dans les prochaines décennies à siècles. D’après Cazenave et Le Cozannet (2014).

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Figure IV.7 Exemples de reculs dunaires consécutifs à la tempête Xynthia : à gauche : recul d’environ 8 m à St Jean de Monts ; à droite : recul ayant causé l’endommagement de maisons situées en première ligne à la Tranche sur Mer.

IV.2.2. Enseignements des observations

Les observations de mouvements du trait de côte proviennent en premier lieu de mesures in-situ ou de photographies aériennes anciennes. Dans les années 1970 et 1980, l’Union Internationale de Géographie a procédé à un inventaire des données disponibles afin de réaliser un état des lieux global du phénomène de recul du trait de côte aux échelles de temps décennales et multidécennales dans le monde (Bird, 1987). Cette étude a révélé que l’érosion du littoral était un phénomène global, affectant naturellement des falaises de roche tendre, mais aussi un certain nombre de deltas et de marais côtiers et les plages sableuses.

En particulier, cette enquête a suggéré que 70 % des plages étaient actuellement en érosion.

Si, dans la plupart des cas, les taux de recul du trait de côte observés ne dépassaient pas 1 m/an, ils représentent un enjeu significatif lorsque des constructions ont été réalisées dans le voisinage immédiat du trait de côte. L’étude de Bird (1987) ne portait que sur les données publiées à l’époque de sa réalisation et la situation vis-à-vis de l’érosion demeure aujourd’hui mal connue pour un grand nombre de zones côtières (par exemple les îles du Pacifique).

En Europe, les études Eurosion (www.eurosion.org) et Corinne Erosion Côtière ont procédé à un état des lieux de l’érosion. Elles ont mis en évidence que 30 % des plages étaient en recul en Europe (41 % en France métropolitaine), ce qui reste un chiffre élevé pour une forme géomorphologique d’accumulation. Elles ont montré également que 60 % des rivages limono-vaseux européens (49 % en France) sont actuellement en accrétion. Des travaux menés dans les départements d’outre-mer ont également permis de réaliser un premier état des lieux vis-à-vis de l’érosion : 25 % des 630 km de côtes de l’archipel Guadeloupéen sont en érosion contre 60 % de côtes dites stables et 12 % en accrétion (dont la moitié en raison de l’action de l’homme); à La Réunion, 50 % des côtes sont en érosion (De La Torre, 2004). Ainsi, les observations des mouvements du trait de côte montrent non seulement que l’érosion affecte une part significative du littoral dans le monde et en France, mais aussi qu’il existe des situations très diversifiées selon les sites, les régions, les différents types de côtes (plages, falaises, marais) et les forçages auxquels ils sont exposés (marées, courants, vagues, activités anthropiques).

Quel rôle joue l’élévation du niveau de la mer actuelle dans la crise érosive des littoraux observée par Bird (1987) ? L’analyse des observations disponibles montre que la

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réponse à cette question dépend du contexte local. Ainsi, des régimes de submersion permanente ont été observés dans des zones actuellement en subsidence rapide (affaissement du sol), pour lesquelles le niveau de la mer relativement à la côte peut s’élever de plusieurs centimètres par an. À l’opposé, on peut observer l’accrétion, voire l’émergence, de certains littoraux affectés par des soulèvements du sol, vis-à-vis desquels le niveau de la mer baisse actuellement15.

Le rôle des facteurs locaux devient généralement prépondérant lorsque l’élévation du niveau de la mer se rapproche de la moyenne globale actuellement observée (Stive, 2004). Il semble que ce soit le cas de la majeure partie des côtes Françaises métropolitaines et d’outre-mer selon les données géodésiques (GPS permanents, nivellement, interférométrie radar satellitaire) et côtières actuellement disponibles16. Pour de nombreux sites, il est possible d’expliquer pourquoi le trait de côte est mobile : effets des vagues et des courants, de tempêtes, de cyclones ou d’activités anthropiques s’exerçant sur le stock de sédiments disponibles. Ces facteurs masquent la plupart du temps les effets de l’élévation du niveau de la mer actuelle, rendant impossible leur détection.

En résumé, les observations suggèrent qu’aucune relation systématique entre le phénomène global de recul du trait de côte et l’élévation du niveau de la mer ne peut aujourd’hui être clairement établie. Ce jugement est modéré par le fait que les données sur l’érosion demeurent aujourd’hui trop parcellaires pour conclure de manière définitive (Cramer et al., 2014). Il est donc nécessaire de poursuivre les efforts de collecte de données relatives à la dynamique sédimentaire côtière, afin de mieux comprendre les implications actuelles, mais aussi futures de l’élévation du niveau de la mer, notamment à travers la pérennisation d’observatoires locaux et régionaux (ex : Observatoire de la Côte Aquitaine, du Languedoc Roussillon, Réseau d’Observation du Littoral Normand-Picard …). Ces efforts sont actuellement appuyés par la mise en réseau de différents observatoires du trait de côte grâce au soutien de l’Institut National des Sciences de l’Univers (Dynalit) ou encore du ministère de l’Ecologie et du Développement Durable dans le cadre de la Stratégie Nationale de Gestion Intégrée du Trait de Côte.

IV.2.3. Impacts potentiels du changement climatique

Si l’aggravation des submersions marines est la conséquence la plus immédiate de l’élévation du niveau de la mer (Nicholls et Cazenave, 2010), les conséquences pour l’érosion pourraient être très différentes selon le scénario d’émissions de gaz à effet de serre.

Si l’objectif de 2 °C est atteint, nous avons vu plus haut (section III.1.1.) que le niveau de la mer pourrait ne s’élever que de quelques dizaines de centimètres. De tels scénarios pourraient n’avoir que des conséquences modérées sur le recul du trait de côte. Au contraire,

15 Dans les deux cas, cependant, des contre-exemples existent. Le cas de la mer Caspienne pour laquelle le niveau de la mer s’est élevé de 3 m en 18 ans peut illustrer cette situation : si dans de très nombreux secteurs, de nombreuses parties du trait de côte ont reculé, quelques secteurs demeurent en accrétion, en raison d’une dynamique sédimentaire très active ou d’activités humaines (Kakroodi et al., 2014). Ainsi, même dans des cas pour lesquels l’élévation du niveau de la mer est très rapide, ses effets peuvent parfois être compensés par une dynamique sédimentaire très active. Ceci montre le rôle majeur que peuvent avoir des facteurs côtiers locaux dans les mouvements du trait de côte.

16 On peut cependant noter le cas particulier de la Guyane, pour lequel Gratiot et al. (2008) ont observé une cohérence temporelle entre la position de la limite de la mangrove et les cycles de marée de 18,6 ans. Leur étude suggère donc que les mangroves de Guyane sont très sensibles à de petites variations du niveau de la mer.

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si la trajectoire d’émission suit ou excède les scénarios RCP6.0 ou RCP8.5, l’élévation du niveau de la mer dépassera le mètre après 2100, voire avant pour des projections extrêmes du niveau de la mer, ce qui aura des conséquences majeures pour l’érosion des littoraux meubles et la submersion permanente de zones basses. S’il demeure possible de financer la protection de villes côtières pour ces scénarios, la seule adaptation économiquement viable consiste à se retirer de nombreuses zones côtières rurales ou périurbaines, parmi les plus basses (Wong et al., 2014).

La première source d’incertitudes concernant les impacts de l’élévation du niveau de la mer sur l’érosion est donc le scénario de variation du niveau marin lui-même. La seconde est liée aux modèles permettant de quantifier le recul du trait de côte induit par l’élévation du niveau marin (Wong et al., 2014 ; Cooper et Pilkey, 2004). Avec les développements récents dans le domaine de la modélisation morphodynamique long terme, il devient possible de mieux anticiper les changements du trait de côte induits par l’élévation du niveau de la mer (Ranasinghe et al., 2012, Splinter et al., 2014). De plus, la dynamique sédimentaire peut être affectée par d’autres manifestations du changement climatique, notamment des changements d’orientation des vagues (Slott et al., 2006 ; Idier et al., 2013 ; Johnson et al., 2014). Il demeure donc aujourd’hui difficile d’estimer avec exactitude le recul du trait de côte futur à différentes échéances temporelles. En revanche, les zones les plus exposées à ces risques d’érosion sont aujourd’hui bien identifiées (Gornitz, 1991) : il s’agit avant tout des littoraux meubles, particulièrement ceux pour lesquels un déficit sédimentaire est actuellement observé.

En France métropolitaine, les régions du Languedoc, du delta du Rhône et de l’Aquitaine sont particulièrement concernées (Paskoff, 2004), mais le reste de la côte atlantique et la plaine de Corse orientale le sont également. En revanche, dans un premier temps, les conséquences de l’élévation du niveau de la mer devraient rester limitées pour les marais côtiers qui sont aujourd’hui le plus souvent en accrétion. Les lagunes littorales dont les cordons protecteurs sont les plus fragiles pourraient également être exposées à la montée du niveau marin. Celles-ci deviendraient alors plus larges, plus profondes et leurs eaux deviendraient plus salées (Paskoff, 2004). L’élévation du niveau de la mer ne devrait pas non plus significativement accélérer le recul des côtes de falaises de Haute-Normandie ou du Pays Basque. Dans ces régions, les besoins d’adaptation apparaissent donc plus localisés.

Les risques induits par le recul du trait de côte futurs dépendent non seulement des conséquences du changement climatique, de la dynamique sédimentaire côtière locale et régionale, mais aussi de l’exposition des infrastructures à l’aléa recul du trait de côte et de la dynamique démographique. Quelles que soient les zones côtières affectées par une nouvelle littoralisation, il conviendra de faire en sorte que l’exposition aux risques ne s’accroisse pas, en décourageant les nouvelles constructions dans les zones les plus exposées. En Outre-Mer, peu de scénarios de mobilité du trait de côte ont été réalisés17. Pourtant, l’adaptation peut s’y révéler particulièrement complexe, car les zones basses côtières y sont des zones essentielles pour le développement.

IV.2.4. Synthèse sur l’érosion côtière

Une part significative des côtes – notamment des plages sableuses - sont actuellement

17 Les zones les plus vulnérables ont cependant été identifiées à La Réunion (Explore 2070).

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en recul en France et dans le monde. Pourtant, très peu d’études ont pu quantifier précisément la part de l’élévation du niveau de la mer sur l’évolution du trait de côte actuellement observé. Au contraire, d’autres processus tels que les effets couplés des vagues et des courants ont actuellement des influences beaucoup plus importantes sur l’évolution du trait de côte, masquant ainsi les effets de l’élévation du niveau de la mer actuelle.

Les impacts futurs de l’élévation du niveau marin sur le recul du trait de côte sont potentiellement très importants. Même si la quantification exacte de ces derniers est aujourd’hui difficile, on peut distinguer deux cas selon les échelles de temps et les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre:

• sur le court terme (quelques dizaines d’années), et vraisemblablement davantage pour le scénario d’élévation du niveau de la mer correspondant au RCP 2.6, l’évolution du trait de côte sera affectée par l’élévation du niveau de la mer, mais dépendra fortement de la dynamique hydro-sédimentaire locale et régionale et des actions humaines. En effet, dans ce cas, l’élévation du niveau de la mer ne sera que de quelques dizaines de centimètres en général. Aussi, selon les sites, un large spectre d’options d’adaptation pourra être envisagé.

• sur le long terme (2070 et au-delà), l’évolution du trait de côte dépendra des scénarios d’élévation de niveau de la mer et d’émission de gaz à effet de serre : pour des scénarios d’émissions tels que le RCP 6.0 ou 8.5, il est vraisemblable que l’élévation du niveau de la mer dépassera le mètre après 2100, voire avant pour des projections extrêmes du niveau de la mer. De tels scénarios ne peuvent se traduire que par des effets majeurs sur les littoraux bas et meubles, induisant des reculs du trait de côte importants, mais qu’il demeure aujourd’hui difficile de quantifier avec exactitude.

Quel que soit le scénario d’émissions anticipé, deux mesures d’adaptation peuvent d’ores et déjà offrir des bénéfices immédiats: la première consiste à éviter l’aggravation de l’exposition aux risques côtiers, en considérant l’élévation du niveau de la mer dans la gestion des risques, y compris pour des infrastructures sensibles à longue durée de vie. La seconde vise à préserver de l’espace pour les processus de transports sédimentaires littoraux, afin de permettre aux systèmes côtiers de s’ajuster naturellement à de nouvelles conditions environnementales.

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