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3 Cadre théorique

3.2 Cadre conceptuel

3.2.1 Imaginaire géographique

La relation entre les individus et le monde qui les entoure est multidimensionnelle et peut être appréhendée et conceptualisée de diverses manières. L’imaginaire géographique est le premier moyen, la première « focale » que nous avons décidé d’utiliser afin de comprendre les rapports entre le Gängeviertel et les acteurs de ce lieu. Ici, nous utilisons l’imaginaire géographique (plutôt que l’imaginaire social) puisque nous nous intéressons à la relation entre les individus et un lieu, soit un objet géographique. Dans ce qui suit, nous nous permettons

19 parfois d’omettre le terme géographique pour alléger la lecture, mais il est toujours entendu que c’est de l’imaginaire géographique que nous parlons.

Ce concept est relativement complexe à comprendre et à utiliser dû notamment à la confusion qui règne quant à ce qu’est vraiment un imaginaire. En effet, les auteurs ne s’accordent pas sur une définition claire et précise et chacun l’utilise à sa manière et selon les objectifs de son étude. En outre, de nombreux termes et concepts ont une signification relativement proche, comme image, imagination ou encore représentation, ce qui ajoute au trouble lié à l’imaginaire. Nous n’avons pas l’ambition ici de proposer une définition universelle de ce concept ; plutôt, nous allons déterminer et définir ce que nous entendons par imaginaire géographique et expliquer comment nous allons utiliser ce concept pour mener à bien notre recherche.

Dans le dictionnaire de la géographie, Debarbieux définit l’imaginaire géographique comme un :

Ensemble d’images mentales en relation qui confèrent pour un individu ou un groupe, une signification et une cohérence à la localisation, à la distribution, à l’interaction de phénomènes dans l’espace. L’imaginaire contribue à organiser les conceptions, les perceptions et les pratiques spatiales (dans Lévy et Lussault, 2003).

Dans ce même dictionnaire de géographie, Lussault propose deux définitions d’ « image », à savoir un « […] système de signes non verbal qui représente quelque chose » et un « […]

système de signes médiatisant une relation de l’individu-acteur au monde » (Lévy et Lussault,

2003).

Les concepts d’imaginaire géographique et d’image sont donc différents et il est important d’expliciter pourquoi nous avons choisi l’un plutôt que l’autre. Lorsque l’on parle d’image, on se réfère spécifiquement à des « signes », que ce soit des signes qui représentent des objets matérielsou des signes qui médiatisent une relation entre un individu et le monde. Le concept d’imaginaire géographique, quant à lui, est plus englobant et permet de prendre en compte d’autres éléments que les signes dans la relation entre un individu et un lieu. L’imaginaire est un « ensemble d’images mentales », un « système de représentations » (Staszak, 2012) ; si l’on parle par exemple de l’imaginaire qu’a un individu de Paris, l’on ne se réfère pas à une image « carte postale » mais plutôt à tout ce que cet individu associe à « Paris », que ce soit des images, des représentations, des pensées, des rêves, des souvenirs, des connaissances, des savoirs-faires, des valeurs, etc… L’imaginaire géographique est donc un système regroupant une multitude d’éléments différents et ne pouvant être réduit à aucun de ces derniers.

Une deuxième spécificité de l’imaginaire est sa force productrice, sa capacité à « conférer une

signification et une cohérence » aux différents dimensions d’un objet géographique, à

permettre aux individus « d’établir des rapports avec l’invisible et le monde sensible » (Bachelard, 1957, dans Sénégal, 1992), « d’entrer en relation avec l’espace et la matière » (Bachelard, 1957, dans Lévy et Lussault, 2003). C’est d’ailleurs cet aspect qui, selon Legros, Monneyron, Renard et Tacussel (2006) distingue l’imaginaire de la représentation ; la représentation est le fait de « mettre en « image mentale » soit d’une réalité perspective

absente, soit une « conceptualisation » » (p. 83), tandis que l’imaginaire consiste en un

« dépassement la simple reproduction générée par la représentation, en une image

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L’imaginaire qu’un individu possède d’un lieu peut en effet influencer comment ce dernier comprend et perçoit un lieu et ce qu’il y fait. Amirou (1995) présente l’imaginaire comme un « objet transitionnel » qui permet de passer du connu à l’inconnu ; l’expérience d’un lieu est alors toujours médiatisée par les images, représentations, savoirs, etc… que l’on en avait avant. Pour continuer avec notre exemple de Paris, si la dimension « romantique » est très forte dans l’imaginaire de notre individu, il est plus probable qu’il s’y rende avec sa femme qu’avec des amis puisqu’il associe des images et des valeurs amoureuses et romantiques à ce lieu. De même, si son imaginaire comporte le savoir que les serveurs ont tendance à être assez impolis, il s’offusquera moins au cas où il est confronté à cette situation, parce qu’il aura été « préparé » à cela.

Mais l’imaginaire n’est pas statique et immuable – bien au contraire – et se construit, évolue et s’adapte au fil du temps et des expériences que l’on fait d’un lieu, qu’elles soient directes ou indirectes (notamment à travers des lectures, des films ou des discussions). Par exemple, si notre individu discute avec un ami qui lui raconte ses dernières vacances – entre amis – à Paris et tout ce qui était possible de faire, à quel point ils se sont amusés, etc…, il intégrera cela à son imaginaire, et la capitale française ne sera peut-être pour lui plus seulement la ville des amoureux. De même, s’il se rend à Paris et se fait toujours servir par des serveurs très agréables et polis, il adaptera son imaginaire, par exemple en considérant le savoir « tous les serveurs sont désagréables à Paris » comme un simple cliché qui n’est en fait pas vrai du tout.

Finalement, l’imaginaire peut être individuel ou collectif, partagé par un certain groupe – une « communauté de rêveurs (Amirou, 2012). De manière générale, certains aspects sont partagés et se retrouvent dans les imaginaires de tout un groupe et chaque individu y ajoute ensuite des éléments personnels. Dans le cas du Gängeviertel par exemple, un certain imaginaire du squat est présenté par les squatteurs à travers les prospectus, brochures et livres qu’ils publient (par exemple Gängeviertel e.V., 2012), mais chacun ajoute à cela d’autres éléments selon l’expérience personnelle qu’il fait du lieu.

Utilisation du concept

La diversité des acceptions de ce qu’est l’imaginaire se retrouve dans la diversité des méthodes et techniques employées pour l’observer et l’analyser. Dans le recueil traitant de la méthodologie de l’imaginaire (Burgos, 1970), Gilbert Durand présente trois manières différentes d’étudier l’imaginaire; les investigations psychosociologiques (qui consistent en différents tests psychologiques et sociologiques), l’analyse littéraire et biographique (où le chercheur se base sur des sources écrites), et l’eschatologie et l’éthique de l’imaginaire, qui se focalisent sur les grands mythes et récits à la base des idéologies. Plus récemment, Legros, Monneyron, Renard et Tacussel (2006) s’intéressent aussi aux méthodes utiles pour analyser un imaginaire. Ils présentent alors, en plus des techniques d’analyse de contenu (basées sur l’analyse de textes mythologiques), les techniques d’analyse projective, telle que les associations de mots, la sémiométrique ou les tests de dessins et de récits projectifs. D’autres méthodes sont aussi utilisées, comme par exemple les cartes mentales (Fournand, 2003) ou les entretiens et les observations directes (Amirou, 2012).

Il existe donc beaucoup de méthodes permettant d’aborder l’imaginaire géographique et il a fallu que nous en choisissions une pour notre travail de terrain. Nous avons alors décidé d’utiliser des entretiens dans lesquels nous demandons aux interviewés de décrire le Gängeviertel et de nommer ses particularités. De cette manière, nous pouvions voir quels mots, quels attributs ressortaient le plus dans la description que les acteurs donnaient du lieu en postulant que ces éléments constituent la base de leur imaginaire. Lors de l’analyse des

21 entretiens, nous avons aussi porté attention au reste de leur discours en tâchant de prendre en compte chaque élément pouvant nous fournir des réponses aux questions : en quoi consiste l’imaginaire géographique de chaque groupe d’acteurs ? Et quelles sont les images, idées, valeurs, connaissances, savoirs-faires, rêves, représentations les plus importantes ? Pour cette étape, ainsi que pour la suivante, l’analyse est inévitablement teintée d’interprétation subjective de la part du chercheur. Il est alors important de justifier chaque réflexion et élément d’analyse en montrant ce qui, dans les entretiens, soutient notre point de vue.

Ensuite, nous poussons l’analyse plus loin en considérant la nature de cet imaginaire : est-il plutôt positif ou négatif ? Est-il uniforme, cohérent ? A quoi engage-t-il ? Quelles pratiques en découlent ?

Finalement, nous gardons aussi en tête la dimension comparative en posant la question de savoir quelles sont les similarités et les différences entre les imaginaires qu’ont les différents acteurs du Gängeviertel.