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Si les Rendez-vous d’Imagina marquent bien l’intérêt de la Friche pour les nouvelles technologies, et constituent à ce titre une opportunité de coopération avec les Internautes

Associés, l’idée d’installer un cybercafé sur le site doit aussi et d’abord se comprendre au

travers de cet « espace métaphorique commun » dont parle Emmanuel Vergès. Celui-ci

dessine un espace imaginaire et politique partagé, dont l’une des clés de voûte est l’idée

d’espace public, entendu comme espace accessible à tous. Voyons à présent comment les

acteurs du cybercafé ont adhéré à cette conception ouverte du cyberespace, qui

rencontrera donc celle de publicité telle que défendue par la Friche, comme exposé au

cours du chapitre précédent.

3.1.1. Découverte et fondement du concept de cyber-CAFE

Comme l’explique Fabienne Ellena, l’initiatrice du projet, sur le site des Internautes

Associés

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, tout commence lors d’un voyage effectué aux Etats-Unis en 1992, durant

lequel elle visite l’Electronic Cafe International (ECI) situé à Santa Monica, en

Californie. Il s’agit d’un haut lieu de la Cyberculture américaine, connu et reconnu de

nombreux hackers et autres activistes d’Internet en ce qu’il est porteur de tous les idéaux

communautaires issus de la contre-culture et du mouvement hippie qui fondent, comme

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Ce site n’est plus en activité. Il reste toutefois accessible à l’adresse suivante :

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l’a bien montré Patrice Flichy, la partie libertaire de l’imaginaire d’Internet (2001). L’ECI

se définit comme un cyber-C.A.F.E, dont l’acronyme signifie Common Access For

Everybody (que l’on pourrait traduire par « accès libre pour tout le monde »), et se

conçoit comme un « laboratoire de recherche culturelle en réseau »

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.

Aussi, l’ECI ne se borne-t-il pas à vouloir offrir au plus grand nombre un point d’accès au

réseau, il se conçoit d’abord et avant tout comme un nouvel espace public. A l’image des

forums électroniques

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, dont les membres de l’ECI sont aussi des concepteurs et des

promoteurs, le cyber-C.A.F.E entend constituer un nouvel espace d’expression,

démocratique et décentralisé, indépendant des entreprises médiatiques traditionnelles. De

ce point de vue, il apparaît que son ambition peut se résumer à un double objectif :

décentraliser la production de l’information d’une part, permettre la communication et le

partage entre internautes d’autre part. Dans les deux cas, il s’agit de reprendre le contrôle

sur la production de l’information, de contester l’organisation hiérarchique et pyramidale

de sa diffusion, de promouvoir le débat d’idées et d’opinions. Sur le site de l’ECI, comme

chez les protagonistes des communautés hackers et les commentateurs du Web

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, la

référence au « salon littéraire » du XVIIIème siècle est omniprésente pour caractériser ce

nouvel espace public. Et il en va de même pour Fabienne Ellena qui, lorsqu’elle découvre

l’ECI au cours de son séjour à Santa Monica, adopte du même coup son argumentaire.

Ainsi, précise-t-elle à son tour que celui-ci lui rappelle « les cafés littéraires où les

artistes, les intellectuels se rencontraient, lisaient les journaux à ceux qui ne savaient pas

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« ECI is, first and foremost, a networked cultural research lab ». Fondé en « l’année orwellienne de 1984 », l’ECI se targue aussi d’être le « premier cybercafé du monde » et se considère à ce titre comme « la mère de tous les cybercafés » (voir leur site : <http://www.ecafe.com/about.html>). A noter que la fondation de ce cybercafé peut être mise en relation avec l’expérience de « démocratie locale électronique » qui a été menée à Santa Monica dès 1984, telle que la relate Patrice Flichy dans son livre (2001 : 103). C’est sur cette base que cette même municipalité inaugurera en 1989 le Public Electronic Network (PEN), qui devait permettre aux citoyens équipés de micro-ordinateur de se connecter à partir de leurs domiciles, et la mise en place d’une vingtaine de terminaux installés dans les lieux publics.

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Nicolas Auray indique à leur propos : « La genèse des forums électroniques s’est inscrite dans un mouvement de rehaussement très fort des informations “non-officielles” : bruits de couloir, tuyaux, rumeurs, etc… Les adeptes de ces forums sont en “embuscades” devant toute “fuite” ou “indiscrétion”. Les forums électroniques se sont ainsi constitués historiquement comme un espace se faisant l’écho d’informations caractérisées par une délivrance d’origine privée, décentralisée, et disséminée. Elles avaient pour point commun de contourner les circuits pyramidaux et les médias officiels (presse, télévision) » (2000 : 53).

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Mathew Mc Clure, le premier directeur de la communauté internaute hippie du Well, a ainsi pu déclarer : « Nous pensions au début que le Well pourrait être l’équivalent électronique des salons français de l’époque des Lumières » (cité par Flichy : 2000 : 93). On trouve un même rapprochement entre les forums électroniques et les « espaces publics de rassemblement collectif qui ont émergé au siècle des Lumières » chez Nicolas Auray (2000 : 52), lui-même s’appuyant sur le livre de David Porter (1997).

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encore lire, donnaient des nouvelles du monde, le refaisaient »

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. Le contenu du manifeste

des Internautes Associés, publié en ligne, nous informe plus avant sur la conception de

l’espace public qu’ils défendent, et dans laquelle la référence au café littéraire est à

nouveau mobilisée.

« La mode du cybercafé déferle sur l’Europe et tout le monde bouffe du cyber, en veux-tu en voilà. Avant que d’être galvaudé par cette prolifération honteuse de quelques marchands avides de nouvelles vagues… Il est important de savoir que la cybernétique n’est pas un concept développé par quelques technos fans branchés qui passeront à autre chose une fois la mode passée. […] Dans l’état actuel des choses, la vigilance politico-économique doit être d’une grande rigueur afin que les nouvelles technologies d’information et de communication favorisent un nouvel essor social et économique et n’excluent personne de cette révolution. C.A.F.E. pour Common Access For Everybody car, comme au début du siècle, les cafés littéraires regroupaient la fine fleur de l’intelligentsia urbaine européenne, nous pensons que le cyber-café apparaît comme la plate forme idéale de découverte, d’apprentissage de ces nouvelles technologies. Nous n’installons pas l’Internet au café comme un divertissement, une attraction nouvelle pour une élite techno-branchée, comme un nouveau flipper… Notre concept est autre. Nous créons des espaces de convivialité, de sociabilité, d’échanges et de confrontations de cultures, de débats d’idées, d’apprentissage. Aujourd’hui notre volonté est de faire baisser le prix de toutes les connexions, de développer des accès à large bande. Notre démarche est de démocratiser l’accès du Net, de veiller à y consacrer un espace

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Extrait de la présentation du Cyb.estami.net, publiée sur le site des Internautes Associés à l’adresse : <http://Web.archive.org/Web/19961202204551/lia.imt-mrs.fr/cafe/creation.html>.

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démocratique, de respect d’autrui, et de regroupements de compétences et d’idées » 1.

On le voit, l’ambition des Internautes Associés outrepasse la stricte question de

l’information dans le sens de l’« actualité ». Ils font d’ailleurs explicitement référence

dans leur manifeste à Norbert Wiener, fondateur en 1948 de la Cybernétique et

pourvoyeur involontaire d’utopie communicationnelle (Breton et Proulx, 2006 ; Breton,

2004). Au travers de « cette étude des systèmes considérés sous l’angle de la commande

et de la communication »

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, c’est le sens même de l’outil informatique, de sa fabrication,

de son développement et de ses usages, qui est en question, mais aussi en jeu. Le risque

est celui d’une « prolifération honteuse de quelques marchands avides de nouvelles

vagues », mais les potentialités du Web sont multiples : « convivialité », « échange »,

« sociabilité », « confrontation », « débat », « apprentissage », « respect »,

« compétences » et « idées » peuvent y être développés, à condition que le net soit facile

d’accès et bon marché : « common access for everybody » donc.

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Extraits du manifeste des Internautes Associés accessible en ligne (les caractères en gras sont dans le texte) : <http://Web.archive.org/Web/19961202204659/lia.imt-mrs.fr/cafe/manifesto.html>. Ce manifeste est dédié aux célèbres hackers Lee Felsenstein et à Efrem Lipkin, tous deux à l’origine d’un projet expérimental mené en 1973 et intitulé Community Memory (la mémoire de la communauté), consistant à installer dans les lieux publics des terminaux reliés à un ordinateur en temps partagé. Selon l’un des théoriciens du projet : « Community Memory est un projet convivial incitant à la participation. […] Il s’agit d’un système d’information volontairement ouvert (“libre”), permettant une communication directe entre les usagers sans dispositif d’édition centralisé, sans aucun contrôle sur l’information échangée. […] Un tel dispositif constitue une alternative précise face aux usages dominants des médias électronique qui diffusent des messages conçus centralement vers une audience passive » (cité par Flichy : 2001 : 86). Le manifeste renvoie aussi aux poèmes hippies de Richard Brautigan, Loving grace cybernetics, et de William Burroughs, dont on a déjà parlé, sur le thème de la « révolution électronique ». On peut également avoir accès, à partir de leur site, à la célèbre Déclaration d’indépendance du cyberespace rédigée en 1996 par le non moins célèbre John Perry Barlow, ex-leader du groupe de rock psychédélique The Grateful Dead

reconverti en 1990 à l’ « hacktivisme » au sein de l’Electronic Frontier Foundation 2

Selon les termes employés par les Internautes Associés pour définir ce qu’est la cybernétique. Ainsi peut-on lire dans leur manifeste : « Le terme cybernétique a été forgé à partir du grec Kubernésis, qui signifie, au sens figuré, “action de gouverner”. Le terme fut utilisé pour la première fois par Ampère pour désigner l’art du gouvernement. Il a été mis en circulation, dans sa signification actuelle, en 1948, par Norbert Wiener à travers “Cybernetics and communication in the animal and the machine”. Norbert Wiener a fait la synthèse de toute une série de recherches poursuivies dans le domaine des mathématiques pures (théorie de la prédiction statistique), dans le domaine des mathématiques pures (machines à calculer, télécommunications), dans ceux de la biologie et de la psychologie, et, il jette les bases d’une science nouvelle, à support mathématique, destinée à couvrir tous les phénomènes qui, d’une manière ou d’une autre mettent en jeu les mécanismes de traitements de l’information. Les programmes récents dans les domaines de l’automatique et de l’informatique ont conduits a adopter une définition plus générale que celle de Wiener : la cybernétique est l’étude des systèmes considérés sous l’angle de la commande et de la communication » (Ce sont eux qui soulignent). <http://Web.archive.org/Web/19961202204659/lia.imt-mrs.fr/cafe/manifesto.html>.

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Dans cet esprit, l’espace virtuel du Web, comme le lieu physique de l’Electronic Cafe (et

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