• Aucun résultat trouvé

Au regard des données obtenues nous faisons face à plusieurs problèmes. Cependant, il est important de préciser que leur énumération ne fait pas office de procès. Il est évident qu’à l’époque à laquelle ces fouilles ont été menées les problématiques archéologiques étaient différentes. La priorité des fouilleurs était la mise en place d’une chronologie et par conséquent la recherche de marqueurs culturels. Dans cette optique, il est logique que les dents animales perforées n’aient pas été leur principale préoccupation.

Le premier problème a attrait à l’individualisation des couches. Isturitz a été fouillé consécutivement par E. Passemard et R. de Saint-Périer qui ont des visions divergentes de la stratigraphie. Les sites de Gourdan, d’Arudy et du Mas d’Azil ont été fouillés par E. Piette et H. Breuil. Ces deux protagonistes ont la même conception de la stratigraphie mais celle-ci évolue au fur et à mesure des découvertes. Ces éléments historiographiques portent à conséquence pour notre étude. En effet, nous sommes

Le second est lié au manque de précision des fouilleurs. E. Passemard, E. Piette et H. Breuil ne donnent pas de données précises sur le nombre exact de dents retrouvées sur les sites. R. de Saint-Périer est plus précis mais des approximations et des erreurs de détermination compliquent l’inventaire. De fait nous ne pouvons évaluer les pertes.

Malgré ces incertitudes, des différences notables sont néanmoins visibles entre le Magdalénien moyen et supérieur. Sur les sites d’Isturitz et du Mas d’Azil les dents animales perforées sont nombreuses et sont issues d’espèces variées au Magdalénien moyen. En revanche, au Magdalénien supérieur, elles sont en plus faible effectif et sont réduites à quelques taxons. Le gisement de Gourdan contient également des objets issus du Magdalénien moyen et supérieur mais il semble que ces niveaux aient été mélangés.

 Au final, de nombreuses incertitudes demeurent et les données dont nous disposons sont inégales d’un site à l’autre. Pour ces raisons, lors de l’étude de notre matériel, nous n’opérerons pas de distinction entre les dents issues du Magdalénien moyen et supérieur et les traiterons conjointement (Partie III).

PARTIE III : ETUDE TECHNO-

FONCTIONNELLE

Cette partie est consacrée à l’analyse techno-fonctionnelle des dents animales perforées. Nous étudierons séparément les dents à aménagement direct, les dents multiperforées puis les dents appointées. L’analyse de chacun de ces ensembles prendra en compte les supports choisis, les techniques employées lors des phases de transformation et les éventuels stigmates d’usure résultant de

I.

LES MODALITES D’ACQUISITION

Notre corpus est constitué de 475 dents qui se répartissent de manière inégale par espèce (fig. 35). La plupart des dents de notre corpus correspondent aux taxons régulièrement chassés par les Magdaléniens pyrénéens (boviné, cheval, cervidé, bouquetin) (cf Partie II, § I. 2.). Elles ont donc probablement été prélevées sur les animaux abattus. Mais la présence marginale de dents de loup et d’ours pose la question d’autres modalités d’acquisition telle que la collecte.

Figure 35 : Répartition des dents animales de notre corpus, par espèce (ou par sous-famille

animale lorsque l’espèce est indéterminable)21

Ces aspects relatifs aux modes d’introduction des dents sur les sites, peuvent être abordés à partir des données archéozoologiques, même lacunaires, dont nous disposons. En effet, dans la littérature afférente à la découverte des gisements de notre

Cerf
 19%
 Renne
5%
 Cheval
 27%
 Boviné
 30%
 Bouque;n
 8%
 Renard

 7%
 Loup
3%
 Ours
1%


retrouvées sur les sites. Pour le Mas d’Azil, Arudy et Gourdan, E. Piette et H. Breuil ne mentionnent généralement que les espèces. R. de Saint-Périer est plus précis pour Isturitz. Il évoque la découverte de « crânes » de cheval, de « maxillaires et de mandibules » de cerf, de renne, de boviné et de renard. En revanche, il mentionne uniquement la présence de dents isolées d’ours et de loup (Saint-Périer, 1930, p. 21 ; Saint-Périer, 1936, p. 13). On peut en déduire que si pour certaines espèces les crânes (ou tout du moins les mâchoires) ont été ramenés sur le gisement, pour d’autres le prélèvement aurait eu lieu sur le site d’abattage ou de collecte. L’emploi de plusieurs modalités d’acquisition de la matière première implique certainement des techniques de prélèvement différentes selon l’état de fraicheur. Celles-ci peuvent être appréhendées à partir de l’étude des stigmates liés à l’extraction.

Les dents sont enchâssées dans les alvéoles dentaires et maintenues par les gencives. Sur os frais, il faut donc découper les mâchoires pour les extraire. La disposition en arcade des incisives et des canines favorise l’attaque de ce découpage par la face labiale. Or, au sein de notre corpus, seule une incisive de cheval provenant du Mas d’Azil présente des traces de sciage sur cette face (fig. 36). Si les Magdaléniens ne tenaient pas à conserver la racine entière, ils ont pu découper la gencive et, une fois le sillon suffisamment profond, détacher la dent par flexion en exerçant une pression vers l’intérieur de la bouche. Cette hypothèse est confortée par le fait que ce procédé d’extraction a été reconnu sur des incisives de renne non perforées issues du même site (Péquart, 1962 ; Poplin, 1983 ; Patou, 1984). Deux incisives de boviné et une incisive de renne comportent également des stigmates de sciage sur leur racine, mais ils sont localisés sur les faces mésiales et distales. Or ces dernières ne sont pas accessibles lorsque les dents sont encore enchâssées dans les mâchoires. Cela signifie qu’elles ont été raccourcies non pas au moment de l’extraction mais une fois retirées des alvéoles dentaires.










Figure 36 : Incisive de cheval comportant des traces de sciage sur sa face labiale (Mas d’Azil, MAN)

Sur toutes les autres dents perforées de notre corpus, aucun stigmate pouvant être rapporté à l’extraction n’est visible22. Ces stigmates ont pu être effacés lors du façonnage des dents qui ont été amincies (n = 19) ou appointées (n = 28). En revanche, cela ne peut être le cas des autres pour lesquelles la seule intervention technique est la mise en place de la ou des perforation(s). Plusieurs hypothèses peuvent expliquer l’absence de traces de boucherie.

‐ Le prélèvement des dents a pu se faire sur des mâchoires en cours de décomposition, dépourvues en partie ou en intégralité de leurs substances molles. Nous avons testé expérimentalement cette hypothèse en laissant des mâchoires de cheval se décomposer à l’air libre et en terre. Après quelques semaines, les dents se déchaussaient facilement des alvéoles dentaires. Les mâchoires des animaux chassés ont pu être ramenées sur le site afin que le phénomène de décomposition puisse s’effectuer, ou alors les dents ont été récupérées sur des animaux morts depuis longtemps.

‐ Une manière plus rapide de se débarrasser des substances molles est de faire bouillir les mâchoires. Nous avons également testé cette hypothèse. Nous avons constaté que lors de l’ébullition, la structure de l’os était altérée et que les alvéoles dentaires se rétractaient autour de la dent. Si cette méthode s’avère efficace pour les dents dont les racines sont faiblement enchâssées dans les alvéoles dentaires (incisives et canines de bouquetin, de boviné, craches de cerf), elle se révèle

infructueuse pour celles dont les racines sont totalement prises dans les mâchoires (incisives de cheval, canines de carnivore).

‐ Les Magdaléniens ont également pu employer des techniques d’extraction qui ne laissent pas ou peu de traces sur la dent. M. Vanhaeren a constaté que les craches de cerf peuvent être aisément détachées du maxillaire de l’animal en « faisant levier avec une lame insérée dans l’alvéole » ou « en donnant un coup sur la couronne de la dent » (Vanhaeren, 2002, p. 32). Là encore cette hypothèse est recevable pour les craches de cerf mais ne s’applique pas aux dents dont les racines sont plus profondément enchâssées dans les mâchoires.

‐ Enfin, les Magdaléniens ont pu briser des mâchoires encore pourvues de leurs substances molles par percussion directe sans endommager les dents. R. de Saint- Périer mentionne d’ailleurs qu’un « grand nombre de mandibules [de renne] sont toujours brisées de la même manière, à quelques centimètres au-dessous de l’arcade dentaire » (Saint-Périer, 1930, p. 21). Pour les autres espèces, il parle à plusieurs reprises de maxillaires et de mandibules « fragmentés », sans préciser si ces fractures sont anthropiques ou post-dépositionnelles (Saint-Périer, 1930, p. 21 ; Saint-Périer, 1936, p. 13). Les mandibules étant particulièrement riches en moelle osseuse, elles ont pu être brisées dans un but alimentaire. Dans ce cas, la récupération des dents n’était pas l’objectif de cette opération et a été réalisée en amont, de manière opportuniste.

 Les données fauniques dont on dispose mettent en évidence deux modalités d’acquisition différentes pour les dents animales perforées : la chasse et la collecte. L’extrême rareté des stigmates d’extraction témoigne de l’emploi de techniques qui ont pour objectif de préserver les supports.