• Aucun résultat trouvé

III.3.2 Discussion diagnostique et psychopathologique

Dans le document Psychopathologie et travail : étude de cas (Page 96-98)

Le suivi de Mme R nous a confrontés à des difficultés d’analyse de son fonctionnement psychique. Concernant l’épisode actuel, nous avons retenu comme diagnostic principal un épisode dépressif majeur. Toutefois, nous avons pu identifier différentes composantes de sa personnalité que nous souhaitons étudier afin d’enrichir notre réflexion clinique.

Une symptomatologie d’allure obsessionnelle :

À propos de son investissement dans le travail, elle rapporte un plaisir de la maîtrise et de l'organisation. Elle se décrit comme un « tempérament anxieux ». Perfectionniste, elle est souvent assaillie de doutes sur ce qu'elle a exécuté, accompagnés de la peur que d’éventuelles erreurs retentissent sur le travail de son directeur. Nous ne retrouvons pas de rituels de vérification.

La relation avec sa collègue fait apparaître chez Mme R un conflit psychique insoluble où les émotions ressenties sont antithétiques. Au bureau, de nombreuses altercations ont eu lieu entre les deux femmes, et Mme R reconnaît avoir eu plusieurs accès de colère. Elle voue à sa collaboratrice une haine qui émerge à l'état brut lors des entretiens au travers d'un vocable cru, « la fracasser », « la défoncer » contrastant avec le langage habituel de la patiente. Elle a consciemment envie de réaliser un passage à l'acte agressif. Mais cette pensée est contrebalancée par un sentiment de culpabilité intolérable qu'elle exprime au travers de la crainte de lui déclencher « une poussée de sclérose en plaques irréversible ». Lors de ses ruminations anxieuses qui envahissent tout le champ de sa conscience, elle raconte imaginer avoir été contaminée par la sclérose en plaques en guise de punition.

Le modèle psychanalytique concernant la névrose obsessionnelle peut fournir du matériel pour analyser ces phénomènes. Darcourt (2006) plaide en sa faveur et nous propose d'interpréter la clinique en termes de conflit intrapsychique entre une pulsion sadique et une défense. Elle doit sans cesse maîtriser son envie de passer à l'acte. Mme R sent bien que le danger ne vient pas de l'extérieur mais d'elle-même. Cette situation est très coûteuse en termes d'énergie psychique et a pu favoriser l’émergence de sa décompensation thymique.

Une quête affective :

Son positionnement à l'égard de ses parents tend à rappeler la fixation au premier temps du conflit œdipien de l'hystérique. Elle décrit une rivalité avec sa mère, envers laquelle elle nourrit des sentiments hostiles ; elle lui reproche d’être une femme méchante et égoïste. Son père est idéalisé, il lui a offert son affection et une carrière toute tracée à l'URSSAF. Nous émettons l’hypothèse que cette configuration relationnelle a pu entrer en résonance avec les liens qu’elle entretient avec sa collègue et son directeur. Ce dernier est dépeint comme un homme attentif, auquel elle n’a jamais reproché le refus de mutation. En entretien, lorsqu’elle évoque sa collègue, comme lorsqu’elle évoque sa mère, nous notons l’émergence d’une haine qu’elle a du mal à contenir. Toutefois, la patiente n’établit aucun lien entre ces deux relations.

Notre réflexion n’est qu’une hypothèse qui, pour être vérifiée, nécessiterait bien plus d’éléments cliniques, mais elle nous permet de nous interroger sur la demande affective de Mme R qui la conduit de façon répétée dans des situations d’impasse.

Le clivage, un mécanisme de défense :

Afin de se protéger des événements traumatiques, elle se coupe des affects et des représentations qui y sont associées. Elle garde en souvenir les violences conjugales et les difficultés relationnelles avec sa collègue, mais reprend le cours de sa vie « comme si ça n’avait jamais existé ». Ces événements sont isolés du reste de sa vie psychique et ne donnent lieu à aucune élaboration. Les conséquences de ce clivage se perçoivent lors des entretiens. Le discours est globalement pauvre, il nous faut sans cesse la solliciter et aller chercher les informations. De plus, sa biographie nous paraît faite de succession de passages sans lien entre eux. Elle ne parvient pas à articuler les différentes péripéties de sa vie afin de leur donner du sens. La pauvreté de la vie fantasmatique de Mme R contraste avec une symptomatologie d’allure névrotique.

Des relations interpersonnelles difficiles :

Ses relations interpersonnelles sont pauvres et de mauvaise qualité. Elle n’a aucune vie amicale. Des violences physiques de son ex-compagnon au conflit avec collègue de travail, elle semble répéter les relations où elle se retrouve sous l’emprise de l’autre sans parvenir à s’en

extraire. A l’inverse, lorsqu’elle est « abandonnée » par ses collègues et son directeur, elle se sent acculée. La perte de son étayage social la conduit à un passage à l’acte suicidaire.

La relation thérapeutique que nous avons établie avec Mme R est faite de réticence, sans qu’elle s’engage véritablement dans les soins. L’alliance thérapeutique nous est toujours apparue précaire. Alors que nous lui posons une question qui ne nous a pas semblée intrusive, elle répond froidement « c’est privé ». Cette mise à distance de l’interlocuteur peut être interprétée comme une défense narcissique. Elle tente de maîtriser l’autre : en évitant l’interaction, elle se protège d’une éventuelle blessure narcissique.

Au total, afin d’approcher la personnalité de Mme R, il nous a fallu convoquer différents modèles psychopathologiques, sans qu’aucun ne convienne parfaitement. Elle semble avoir eu recours à divers aménagements psychiques qui l’ont jusqu’à présent protégée d’une décompensation psychopathologique sans pour autant lui permettre d’avoir une vie affective satisfaisante.

Dans le document Psychopathologie et travail : étude de cas (Page 96-98)