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Le craving peut être conceptualisé en tant que combinaison d'éléments motivationnels (ou de désir) et émotionnels. Associés à d'autres facteurs, nous avons vu que certains auteurs le considèrent comme générateur d‘un comportement : initiation de la consommation, maintien de la consommation [5],[6],[8].

Par ailleurs, les modèles de personnalité présentés, notamment celui de Cloninger abordent explicitement la dimension motivationnelle et comportementale des facteurs qui les constituent. Quel impact ces facteurs de personnalité ont-ils dans l'addiction et plus précisément sur le craving?

Il nous semble pertinent d'étudier plus avant le lien entre ce symptôme et la personnalité, envisagée sous l'angle psycho-biologique, dans le but de tenter d‘en préciser les déterminants, notamment dans quelle mesure certains facteurs de personnalité représentent une prédisposition à ressentir le craving plus ou moins intensément.

III-A -Le modèle de Cloninger et la prédiction de rechute

Parmi les tempéraments, les résultats de la littérature semblent converger dans le sens d'une forte implication de la dimension Recherche de nouveauté dans la rechute. Les études utilisant le modèle de Cloninger ont montré une constante association entre cette dimension et le comportement addictif [52].

Par ailleurs, le facteur Recherche de nouveauté semble corrélé à l'impulsivité ce qui, pour Tavares et Zilberman, rend le patient particulièrement vulnérable au craving et à l'addiction à travers une difficulté à décaler la gratification [62].

Dans une étude de 2008, Müller et Al. ont observé des scores de Recherche de nouveauté et d'impulsivité significativement plus élevés chez les rechuteurs que les abstinents à un an. La Persistance s'est quant à elle distinguée dans cette étude par sa dimension prédictive de la rechute : les patients abstinents auraient des scores plus élevés à ce facteur de personnalité [63].

Meszraos et Al. En 1999 avaient obtenu les mêmes résultats, en termes de prédiction de la rechute concernant la Recherche de nouveauté, mais dans la sous-population masculine de leur échantillon. Les résultats suggèrent par ailleurs une tendance de l'Evitement du danger à prédire les rechutes précoces dans la population féminine de l'échantillon, néanmoins sans conclusion possible par manque de puissance [64].

Les caractères, quant à eux, ont été mis en exergue dans une étude publiée en 2008 [65]. Sur une cohorte de 89 patients alcoolodépendants, les résultats suggèrent que des scores élevés aux dimensions d'Autodétermination et de Coopération prédisent une meilleure adhésion au traitement mais ne semblent pas prédictifs d'une rechute.

Le score de persistance semble être lié à une plus grande fréquence de l'abstinence.

Les résultats de ces études suggèrent une capacité prédictive des dimensions de personnalité du TCI de Cloninger dans la problématique addictive. La Recherche de nouveauté et la Persistance sont les plus fréquemment retrouvées, l'une serait facteur prédictif de rechute, l'autre d'abstinence respectivement. Le facteur « craving » n'est pas pris en compte dans ces études.

III-B -Le modèle de cloninger et le craving

Peu d'études ont exploré l'impact des facteurs de personnalité sur le craving [62]. Quelques-unes l'ont mis en relation avec le neuroticisme d'Eysenck [66]. McCusker et Brown relient neuroticisme et introversion à la réactivité du sujet dépendant face à des facteurs environnementaux et donc indirectement au craving [67]. Plus le sujet est réactif, plus il serait susceptible de ressentir rapidement et intensément le craving.

Dans une étude publiée en 2005 comparant le craving chez les parieurs pathologiques et chez les patients alcoolodépendants, Tavares, Zilberman, Hodgins et El-Guebaly observent que les dimensions recherche de nouveauté, évitement du danger et persistance sont significativement corrélées au craving chez le sujet alcoolodépendant [62].

Concernant la recherche de nouveauté, ces résultats concordent avec la littérature. Zilberman, Tavares et El-Guebaly avaient déjà en 2003, obtenu une association significative entre le score total de craving et cette dimension, ainsi qu'avec le score d'impulsivité à l'échelle de Baratt (BIS-11) [68].

En 2008, Martinotti et Al. ont de même retrouvé une corrélation positive entre recherche de nouveauté et craving dans une population de 50 patients dépendants à l'alcool et aux opiacés [69].

On observe dans la littérature des arguments plutôt constants reliant positivement la dimension Recherche de nouveauté à l'intensité du craving. Les résultats concernant l'Evitement du danger et la Persistance sont plus inconsistants, mais semblent être respectivement positivement et négativement associés à l'intensité du craving. Nous n'avons retrouvé aucun résultat reliant significativement le craving à l'alcool et les caractères. Nous n‘avons retrouvé aucune étude qui tente de corréler les dimensions du TCI à la dynamique de réduction du craving.

III-C -Arguments pour une étude descriptive prospective

La littérature fournit à l'heure actuelle un faisceau de résultats qui orientent dans le sens d'un impact de la personnalité sur le craving.

En particulier avec le modèle de Cloninger, certaines dimensions sont corrélées de façon constante à des scores élevés aux échelles de craving à un instant T. La personne présentant une dimension intense de Recherche de nouveauté, par exemple, semble ressentir ce symptôme plus fréquemment et plus intensément [62],[68],[69].

Toutes ces études sont pourtant « statiques », déterminant un lien à un moment donné. Seulement, si les dimensions de personnalité sont supposées être relativement stables dans le temps ou lentement évolutives, le craving est par définition changeant selon les circonstances. Différentes études ont objectivé une réduction du craving sous traitement (antidépresseur, maintien de l'abstinence). En 2008, Martinotti et Al. ont par exemple observé une réduction significative du score de craving à l'OCDS sur 6 mois sous quetiapine [70]. Le même auteur retrouve en 2010 une réduction significative du craving à l'OCDS sur 15 jours de traitement de sevrage [71]. Cordovil De Sousa évoque l‘impact important du temps sur le craving chez des patients hospitalisés pour sevrage [45]. L'aspect dynamique du symptôme y est mis en exergue. Elles évaluent l'impact du traitement ou de la prise en charge sur les variations de l'intensité du craving dans le temps.

Par ailleurs, le TCI, outil issu du modèle de Cloninger semble présenter une capacité prédictive, au moins des rechutes, dans la problématique addictive [62-65]. Mais les études trouvées corrèlent directement les facteurs de personnalité au pourcentage de rechute sans passer par l'intermédiaire « craving ».

La dimension prédictive de ce modèle sur le risque de rechute, suggérée par les études, est-elle en lien avec le besoin urgent de consommer?

Autrement dit, est-ce à travers le craving que le modèle prédit l'évènement ? La Recherche de nouveauté par exemple, est reliée à la fois à des scores élevés de craving et à un taux de rechute plus important [63],[64],[68],[69].

Et à l'inverse, les facteurs de personnalité sont-ils prédictifs d'une réduction (ou de l'absence de réduction) des scores de craving chez des patients pris en charge pour alcoolodépendance? Et de manière plus générale, la personnalité influence-t-elle l'évolution du symptôme ? Et si oui, de quelle façon?

Cette dernière interrogation s'inscrit plus particulièrement dans le cadre d'une théorie des pratiques permettant de réfléchir à des prises en charge plus adaptées à chaque individu (Hardy-Baylé). Si l‘aspect prédictif du modèle de personnalité de Cloninger peut s‘étendre à la dimension dynamique du craving, les facteurs pourraient être alors vus comme pronostiques d‘une sensibilité (ou d‘une résistance) du patient à telle ou telle prise en charge. L‘adaptation et l‘indication des soins proposés pourrait alors se réfléchir également selon le profil de personnalité.