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Dans le processus du développement humain, l’adolescence tient une place

fondamentale. Elle se caractérise par des changements profonds qui débouchent,

dans l’existence de celui qui la traverse, sur la construction d’une personnalité

singulière et unique, caractérisée par le fait que l’individu cherche à fixer les

repères de sa vie future d’adulte. Ce travail de construction identitaire est

dépendant à la fois d’apports de l’individu lui-même et d’apports venant de la

société. C’est cette interaction entre le sujet et le milieu qui est au cœur de

l’approche psychosociale d’Erik H. Erikson concernant la « quête d’identité » à

l’adolescence. Soulignons que le modelage du visage d’adulte, à cette période,

implique, en même temps que s’établissent les frontières de l’identité du sujet, la

construction d’un projet de vie. Comment les adolescents en situation de handicap

vivent–ils cette phase de la croissance humaine et comment se projettent-ils vers

l’avenir ?

II.1.1

DE L’ENFANCE A L’AGE ADULTE : L’ADOLESCENCE

II.1.1.1

UN STADE INTERMEDIAIRE

« Adolescence » vient du mot latin adolescentia, de adolescere qui signifie

« grandir vers » (ad : vers, olescere : croître, grandir)

1

. Elle peut se concevoir

« comme un stade intermédiaire durant lequel l’individu, qui n’est plus un enfant et

pas encore un adulte, n’a pas de responsabilités sociales en propre, mais où il peut

explorer, s’exercer, expérimenter des rôles ».

2

C’est comme un temps d’arrêt, un

« délai que la société accorde au jeune pour lui permettre de choisir

3

une voie, une

1 Par opposition au terme adultus qui désigne « celui qui est en train de grandir ».

2 Richard Clautier, Psychologie de l’adolescence, 2e édition, Boucherville (Québec), Gaëtan Morin, 1996, p. 3.

3

Chez Platon, cette phase ou « couche de l’âme », selon son expression, correspond, dans le processus de maturation graduelle humain, au développement de la raison et de l’intelligence. Aristote, quant à lui, souligne comme caractéristiques de cette phase la capacité de faire des choix et la capacité de discernement plus autonome permettant des jugements éclairés. C’est en même temps, estime-t-il, une phase caractérisée par la passion (notamment sexuelle), l’impulsivité, le manque de contrôle, autant que par le courage, l’idéalisme, le goût de la réussite et l’optimisme. Au XVIIe et XVIIIe siècles, John Locke et Jean-Jacques Rousseau sont à la base, à quelques divergences près, d’une nouvelle approche du développement qui considère l’enfant comme « une page blanche » ou « un être totalement bon ». Pour l’un ce sont les expériences (l’environnement) qui permettent de graver des impressions sur cette page (J. Locke), et pour l’autre, la société doit se garder de corrompre cet « être initialement bon » (J.-J. Rousseau). Si le premier concevait la raison comme l’élément primordial de la nature humaine, le second l’envisageait plutôt comme étant d’abord

personnalité, une identité, une carrière, etc. »

1

Pour Erik H. Erikson, l’adolescence constitue une période « naturelle de

déracinement »

2

dans le cycle vital d’un individu. C’est-à-dire que « tout comme le

trapéziste, le jeune individu doit, à un moment où il est lancé à fond, lâcher la prise

solide qu’il avait sur l’enfance, pour se saisir vigoureusement de la condition

d’adulte »

3

. Il s’agit pour l’adolescent de faire le deuil de la sécurité que lui

procuraient les phases antérieures de sa croissance pour se lancer à la conquête

d’une manière d’être nouvelle, autonome et responsable qui est celle de l’âge

adulte. Et c’est précisément ce passage « tumultueux » qui caractérise

l’adolescence. En fin de compte, ce tumulte adolescent est l’effet normal de la

croissance et témoigne de la reconstruction d’une nouvelle personnalité où les

objets d’amour de l’enfance perdent leur perfection imagée et sont réintégrés avec

leurs bons et leurs mauvais côtés dans une mosaïque personnelle différentiée et

autonome

4

.

La notion de « désidéalisation », mise au point par Peter Blos, rend bien

compte de la dynamique que nous décrivons ci-dessus. En effet, au cours du

émotionnel. C’est ainsi que pour Rousseau, à la période de l’adolescence, la conscience se développe et laisse apparaître la morale. C’est une période où la personne acquiert une maturation émotionnelle qui permet d’ouvrir aux autres et lui permet d’aimer vraiment. Chez Rousseau, le strict respect de la nature humaine dans son processus développemental a le risque d’ignorer ou de reléguer au second plan le rôle de l’environnement ; rôle dont il est question dans la théorie d’Erikson. J. Locke, par contre, intègre bien la notion de l’environnement dans sa conception. Il déclare que les hommes sont égaux à la naissance. Leurs degrés de perfection, cependant, varient selon l’environnement dans lequel ils auront évolué. On peut reprocher à Locke de n’avoir pas mis en valeur l’aspect psychologique lié au développement. La première théorie psychologique axée spécifiquement sur l’adolescence sera l’œuvre de Granville Stanley Hall. Pour lui, le plan du développement de l’espèce humaine est inscrit dans la structure génétique de chaque individu. Hall met au point sa théorie biogénétique de « récapitulation » selon laquelle les différentes étapes du développement humain correspondraient à celles par lesquelles l’humanité est passée depuis les débuts de son évolution et qui ont laissé une trace génétique. L’adolescence serait comparable à une époque où l’homme vivait dans des sociétés tribales sans technique. C’est une période des transitions fréquentes et turbulentes, de tumulte et de stress. Hall reconnaît cependant que l’adolescence est une période fondamentale pouvant transformer le cours de la vie future. C’est le moment où les rôles sociaux se déterminent, où les valeurs se développent en fonction des capacités nouvelles de raisonner. La grande limite de la théorie de Stanley Hall, comme Chez Rousseau, est d’avoir fait abstraction de l’environnement. Bien que s’inscrivant dans une approche psychodynamique, Erikson se démarque de ses prédécesseurs en raison de la place importante qu’il accorde à l’interaction « sujet-milieu » et la capacité qu’a le sujet de participer activement à son développement. Ainsi résout-il deux impasses. La première est celle qui prône le « déterminisme génétique » caractérisant les différents stades psychosexuels sans prendre en compte l’environnement. La deuxième est celle qui stipule le « déterminisme environnemental » sans prendre en compte l’autonomie de l’individu ou sa capacité d’être soi-même.

1

Richard Clautier, op. cit., p. 3

2 Erik H. Erikson, Ethique et psychanalyse, Paris, Flammarion, 1971, p. 90.

3 Ibid.

processus de l’adolescence, le jeune défait les images parentales idéales (père et

mère) de son enfance en découvrant toutes leurs imperfections. De même, par la

découverte de ses propres limites personnelles, il défait l’idéal de soi qu’il s’était

forgé. Cette « désidéalisation », d’après Peter Blos, est nécessaire à la

construction de nouveaux objets plus adaptés à la réalité de la condition humaine.

1

Par ailleurs, souligne Erik H. Erikson, « toute la combinaison d’impulsions

personnelles et d’autodéfenses, de sublimations et d’aptitudes » que le jeune « a

développée durant son enfance doit » par la suite « trouver un sens au regard des

possibilités concrètes qui s’offrent à lui, tant dans le domaine professionnel que

dans le domaine affectif ; tout ce que l’individu a appris à reconnaître en lui doit par

la suite coïncider avec ce que les autres attendent et pensent de lui ; toutes les

valeurs qui ont acquis un sens pour lui doivent maintenant cadrer avec une

certaine signification universelle »

2

. Bref, l’adolescence est une phase si intense

de changement que Peter Blos n’hésite pas à la comparer à la révolution

copernicienne, où l’homme a perdu sa place au centre de l’univers dans la pensée

scientifique.

II.1.1.2

LA QUETE D’IDENTITE

II.1.1.2.1

LA FORMATION DU MOI3

Selon la théorie psychosociale d’Erik H. Erikson, la personnalité est un

produit des interactions sociales et des choix de l’individu dans la vie. C’est

pourquoi l’identité du « moi » pourrait se définir comme « le résultat de la fonction

de synthèse » de l’environnement en tant que réalité sociale transmise à l’enfant

au cours d’une succession de crises et des expériences propres du sujet

4

.

Chez l’adolescent, d’après Erikson, trois composantes participent à la construction

identitaire : l’émergence d’un sentiment d’unité intérieure qui intègre l’agir en un

1 Ibid., p. 12.

2

Erik H. Erikson, op. cit., p. 90.

3 Cinq stades, d’après Freud, jalonnent le processus du développement humain ; des stades de développement psychosexuels dont la succession est déterminée génétiquement indépendamment de l’environnement (stade oral, sous stade oral dépendant, sous stade oral agressif, stade anal, stade phallique et stade génital). L’adolescence, suivant cette théorie, correspondrait au stade génital qui se caractérise par une grande préoccupation à l’égard des moyens adultes de satisfaction sexuelle et par une croissance marquée des pulsions sexuelles. Les travaux d’Anna Freud et Peter Blos s’inscrivent dans la continuité de ceux de Freud. Anna Freud souligne les deux tendances contradictoires qui caractérisent l’adolescence : la tendance qui consiste à être dépassé par les pulsions et celle qui consiste à les contrôler de façon excessive. Ceci explique la lutte intérieure que mène l’adolescent entre le contrôle et les satisfactions libidinales.

tout cohérent ; l’acquisition d’un sentiment de continuité temporelle reliant le passé,

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