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L’identité au prisme des films et du discours culturel : métissage des références et impérialisme

Ce segment de notre recherche vise à nous pencher plus avant sur la question des identités personnelles par rapport au conflit au Moyen-Orient. Si les Etats sont les maîtres de tout un discours sur l’identité, il faut néanmoins prendre également en compte la façon dont ces identités sont reçues, vécues, par les individus. En cela, il nous faut nous pencher sur d’autres outils que les Musées et sites aménagés par les autorités, pour nous tourner vers la production et les discours d’acteurs privés, en ayant constamment à l’esprit que cela peut correspondre aussi à des relectures et des réappropriations d’objets non locaux, soit du fait de l’aura de ceux-ci, soit parce que les discours officiels ont laissé de côté l’un ou l’autre aspect, qui néanmoins fait sens pour tout un pan de la population. Aussi, cette partie de notre travail est une recherche de politique par le bas639 à partir des produits culturels, et sur le rapport entretenu avec la culture sur le plan identitaire. Aussi nous concentrerons-nous sur ces productions privées, pour l’essentiel audiovisuelles, qui dialoguent, complètent, infirment parfois, modalisent souvent, le discours des Etats, en nous focalisant pour l’essentiel sur la culture populaire, celle qui touche le plus grand nombre640. Ceci sans négliger des produits plus recherchés, mais en ayant avant tout à l’esprit la question de l’impact et de la diffusion de ces travaux, et donc sans préjuger de leur qualité artistique.

Un monde médiéval réimaginé et réapproprié

Les Croisades : identité virtualisation, répétition641

En gardant bien cette optique à l’esprit, le plus simple pour entrer dans ce champ de recherche semble de commencer justement par là où nous nous sommes arrêtés précédemment, justement, la question des Croisades. On l’a vu, le phénomène croisé, sur les terrains de recherche que nous avons fréquenté, pose problème pour les Etats, envers lesquels l’appropriation est en demi-teinte, compte tenu de la difficulté que les figures de Saladin et de Baybars, pour ne citer qu’eux, représentent, en regard de leur échec militaire récurrent, ainsi que de l’aspect unificateur, à divers titres, de la région, qu’ils représentent par rapport aux nationalismes plus locaux, et réduits, qui sont au cœur de ces Etats. Ce qui n’empêche pas la revendication de cette époque médiévale et moderne par les acteurs individuels, suppléant, complétant le discours identitaire étatique.

Quel est l’enjeu ? Compte tenu des choix, des oublis642

, la mise en valeur des pics non seulement intellectuels, et artistiques mais aussi politiques du monde musulman médiéval, de Damas à Cordoue, en passant par les institutions scientifiques de Bagdad, et, à l’occasion, les grands empires musulmans de la steppe. Un territoire donc infiniment plus étendu que les

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Jean-François Bayart, Achille Mbembe, op

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Storey, John, An introduction to cultural theory and popular culture. Hemel Hempstead: Prentice Hall, 1997, Ang, Ien. "Dallas and the ideology of mass culture." The cultural studies reader, London, Routledge (1993): 403- 420.

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Dans le titre déjà de Emran Qureishi The new Crusades, constructing the Muslim enemy Columbia University Press 2003

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délimitations plus strictes, plus locales, que l’Antiquité offre aux identités nationales étatiques, avec des centres artistiques et politiques qui correspondent pour l’essentiel avec les capitales des Etats actuels, mais représentants des territoires et des légitimités bien plus vastes.

Et une invocation de cette période qui du point de vue des individus, couvre très largement l’ensemble des sensibilités politiques : cela va de l’intitulé de la déclaration de guerre d’Oussama Ben Laden lorsqu’il met en forme son projet « Déclaration de guerre aux sionistes et aux Croisés » (c’est nous qui soulignons)643 jusqu’à des cinéastes aussi loin des thèses djihadistes que Youssef Chahine, ou Ridley Scott et leurs publics. Robert Fisk, assistant à la projection du film Kingdom of Heaven644 dans un cinéma beyrouthin a vu le public se lever et manifester sa joie lorsque Saladin relève une croix tombée à Jérusalem645, reprenant l’immense succès de l’autre film sur les mêmes événements de Youssef Chahine, Salah-ed-Din al Nasser646, qui demeure un des films les plus connus et les plus prisés d’un réalisateur pourtant prolifique et honoré.

Corrélativement, à part ces films, on peut citer également, venant cette fois du Liban, au texte d’Amin Maalouf Les Croisades vues par les Arabes647

, grand succès de librairie au Liban et à l’étranger, qui s’est imposé depuis sa publication comme une des principales références sur le sujet pour le grand public, et de donner lieu à des ouvrages sur le même thème648. De l’autre côté du front, si l’on ose dire, Emmanuel Sivan, lorsqu’il étudie les Mythes politiques arabes649consacre une large partie de son travail au discours sur cette période, tandis que Bernard Lewis y revient également pour entamer sa réflexion dans Que s’est-il passé ?650

Donc, des systèmes de références communes, qui, contrairement aux cas antiques, ont davantage pour effet d’unifier le monde, et ce autour de la figure héroïque saladinienne, avant tout. A cet égard, la date, ainsi que le titre du film de Youssef Chahine sont très révélateurs : 1963, et Saladin, « al Nasser » le vainqueur, une référence assez transparente à la personne du président égyptien de l’époque, encore auréolé de la victoire de Suez, et héraut du nationalisme transfrontière de l’arabisme triomphant de l’époque. Et ce, avec un aspect de déréalisation assez intéressant.

Nous avons vu précédemment le rôle identitaire, imaginé, du Temple, en Israël. Absent, physiquement, sinon par son mur de soutènement devenu Lieu Saint essentiel, mais, dans le même temps, répété, revendiqué, représenté, quasiment de façon obsessionnelle dans les systèmes identitaires israéliens, ce qui nous a conduit à évoquer une forme de lieu de

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Cf. Gilles Kepel et Jean-Pierre Milleli Al-Qaïda dans le texte PUF 2005

644 De Ridley Scott, 2005 Pathé 645

http://www.zcommunications.org/kingdom-of-heaven-by-robert-fisk dernière consultation 28/02/13

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Lotus Films 1963 Mobarak, Salma. "L’historicité du moi et de l’autre: Lecture comparée d’Al—Nâsir Saläh al—Dîn et Adieu Bonaparte de Youssef Chahine." Ecrire l'histoire de son temps:(Europe et monde arabe)-

L'écriture et l'histoire 1 L’Harmattan 2006 647

Amin Maalouf, J’ai Lu 1999, sous-titre : la barbarie chrétienne en Terre Sainte.

648 Par exemple Francesco Gabrieli Chroniques arabes des croisades Sindbad 2001, André Miquel Ousâma, un prince syrien face aux croisés Tallandier 2007, Anne-Marie Eddé L’Orient au temps des Croisades Flammarion

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Sivan op cit

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mémoire « virtuel »651, idéalisé, qui n’en a pas moins un contenu et une valeur d’adoption particulièrement profonde. Ici, par rapport aux analyses de Pierre Nora autour des Lieux de Mémoire tels que des livres, ou des classes (le Code Civil, l’Hypokhâgne), il nous semble qu’un processus légèrement différent est à l’œuvre, au sens où ces lieux, mémoires intellectuelles, ont néanmoins un rapport différent avec le monde physique Ici, le mouvement est davantage dans le sens d’une déréalisation, partant du Temple réel, détruit, pour en faire un élément reconstruit idéellement. De façon assez comparable, il nous semble, par contraste avec un apport muséographique assez faible, il nous semble que la période des Croisades s’exprime dans le monde arabe également sur un plan assez proche, idéel, déréalisé, sinon idéal lorsque l’on procède à l’analyse du discours. Ceci en prenant également en compte que cette identité s’abreuve donc aussi à des sources étrangères, européennes et américaines.

En soi, la forteresse du Caire est une fondation saladinienne, mais nous avons vu que cette dimension, certes bien présente, est quelque peu occultée par l’Histoire ultérieure. De même, les châteaux croisés du Liban posent les difficultés que nous avons vues, du point de vue de leur mise en valeur étatique. Et surtout, l’enjeu central, le cœur de l’épisode croisé, échappe totalement à tout investissement national, ou construction mémorielle des Etats arabes en cause. La côte palestinienne, à l’exception de Gaza, a été dès le départ quasiment toute incluse dans les partages du territoire en faveur d’Israël. Jérusalem, divisée en 1948, est totalement contrôlée par Israël après 1967, et Acre, la dernière place forte à terre des croisés était dès le plan de partage de 1947 incluse dans la part israélienne, et par ailleurs déjà investie mémoriellement par Israël : la forteresse d’Acre, également point d’arrêt de Bonaparte en Palestine, avait servi de prison et de lieu d’exécution pour les auteurs d’attentats contre les forces britanniques durant le mandat, juifs en particulier. La prison est un Musée, dédié à leur mémoire, avec l’ancienne prison centrale de Jérusalem652

.

Le champ de bataille de Hattin, qui aurait éventuellement pu jouer un rôle comparable à Kosovo Poljé pour la Serbie (encore qu’il s’agisse d’une victoire), à Alise-Sainte-Reine pour la France653, en Galilée, n’a pas eu durant l’époque mandataire un rôle de lieu de pèlerinage national, ce rôle étant largement pris par les pèlerinages religieux traditionnels relus à la nouvelle lumière nationale, dans une dynamique toujours vivante. Emma Aubin- Boltanski souligne à cet égard l’importance de la figure saladinienne dans les pèlerinages en question, qui lient la sainteté de la terre à son libérateur en inscrivant celui-ci dans le terroir. Toutefois, s’agissant précisément de pèlerinages sur des lieux qui sont différents des victoires de Saladin, cela nous semble appartenir, sur un mode très particulier, au phénomène de

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. Ce concept, développé principalement dans la réflexion sur internet et les diasporas, se retrouve chez Tim Edensor étudiant la représentation de la nation via les films en Ecosse National identity, popular culture and

everyday life Berg 2002 et "Reading Braveheart: representing and contesting Scottish identity." Scottish Affairs

(1997): 135-158. Sur les rapports entre virtuel et politique of David Holmes Virtual politics, identity and

community in cyberspace Sage 1997

652 Cu Kister, Joseph : the Irgun, the story of the Irgun Zvai Leumi in Eretz-Israel, Israeli Ministry of Defence

Publishing House 2000. Les murs détruits de la forteresse d’Acre ont été choisis comme image de couverture pour ce livre.

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Tel que le lieu a été investi à partir du Second Empire cf. Lewuillon Serge : Vercingétorix ou le mirage

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virtualisation de la mémoire des Croisades654. Après 1947, dans la Galilée conquise par les Israéliens, il a bien sûr été possible de mener des fouilles archéologiques en Galilée, mais, certainement pas d’en faire un lieu de pèlerinage national palestinien, ou arabe, chose rigoureusement impossible compte tenu du rapport entretenu par les autorités israéliennes avec leur population arabe durant les premières décennies de l’indépendance, d’autant que de nouveaux lieux de mémoire, à commencer par Kafr Kassem655, puis la Journée de la Terre depuis 1976656, s’implantaient durablement. Le village de Hittin, proche du lieu de la bataille, et qui abritait une mosquée considérée comme fondée par Saladin, a été pris dans les batailles de la guerre de 1948, ses habitants comptent au nombre des réfugiés, et la mosquée elle- même, d’après Ilan Pappé657

, ruinée, a été rendue inaccessible, puis démantelée par les habitants des kibboutz alentours, faisant du site davantage un endroit de souvenir de la Nakba que de la bataille. Par ailleurs, le village abritant un sanctuaire dédié à Nabi Sh’ayb (Jéthro, le beau-père madianite de Moïse), sacré pour les Druzes, alliés aux Israéliens depuis les origines de l’Etat hébreu, priorité leur a été donnée sur le site. Hors cela, il y a bien la « tour de Tancrède »658 sur les murailles de Jérusalem, mais le Tancrède en question, Tancrède de Hauteville659, est un des preneurs de la ville en 1099, donc un ennemi, placé là par après, dans la géographie mythique de la Terre Sainte des voyageurs étrangers, et ce sur un site sous contrôle israélien, dont la construction est par ailleurs essentiellement d’époque ottomane.

Un rapport donc essentiellement passant par des produits culturels, de large diffusion pour beaucoup (livres, CD, DVD), ainsi qu’un rapport d’assez haute culture : le souvenir des Croisades, tel que nous l’avons vu, se diffuse donc certes par des produits d’assez large diffusion, mais, des produits culturellement nobles : autrement dit, on ne trouve pas à notre connaissance de boule à neige avec Saladin à cheval dedans, et, au milieu de l’infinie variété des porte-clés en rapport avec Jérusalem au Liban et dans Jérusalem même, nous n’en connaissons pas qui présentent la prise de la ville dans ces petits objets identitaires. Quelques tee-shirts présentant la chevauchée de Saladin sont disponibles à Jérusalem dans les boutiques palestiniennes, mais ils sont plutôt l’exception qui confirme la règle.

Pas de Croisades, donc, dans les objets du quotidien. Des Lieux Saints, qui jouent le rôle de figures protectrices, identitaires, mais point de Saladin, de Baybars, ou d’étendard ayyoubide. A cet égard, il semble que cette absence fait sens, justement, par rapport à la déréalisation et l’aspect éminemment culturel de la mémoire et de la reconstruction historique, culturelle et identitaire de l’épisode croisé. Les Croisades sont pensées sur le mode de l’affrontement de deux mondes, de deux cultures, ou, plus exactement, sur le mode de l’affrontement d’une culture, de la vraie culture, et de la barbarie braillarde des Occidentaux.

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Cf. Catherine Mayeur-Jaouen (dir) : Saints et héros du Moyen-Orient contemporain Maisonneuve et Larose 2003 et Emma Aubin-Boltanski Pèlerinages et nationalisme en Palestine, prophètes, héros et ancêtres, Editions EHESS 2007.

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Voir Kafr Kassem film de Borhan Alaouié 1974, Steinberg, Shoshana "Discourse categories in encounters between Palestinians and Israelis." International Journal of Politics, Culture, and Society 17.3 (2004): 471-489.

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Laurence Louër « Les Arabes israéliens, un enjeu pour Israël et le futur état palestinien » entretien Moyen-

Orient n°5 avril-mai 2010. Cf. également au point de vue filmique Elia Suleiman Le temps qu’il reste op cit 657 Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, op cit

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Visitée par nous 2010

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Devenu régent d’Antioche après la première croisade, ses exploits sont chantés par Le Tasse dans la

Jérusalem délivrée, et faisaient donc partie du bagage culturel des orientalistes occidentaux du XIX°s qui

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Le terme semble fort, mais qu’on se souvienne du sous-titre, justement, de Amin Maalouf : la barbarie chrétienne en Terre Sainte. Des termes également très lourds de sens, et, venant d’un écrivain aussi reconnu et bon connaisseur de la langue française, qui ne peuvent avoir été choisis au hasard.

On le comprend sans peine, parmi les différentes figures de la barbarie c’est celle du barbare du Nord qui prédomine660 : l’individu grossier, culturellement en retard sur les terres qu’il conquiert, ébloui, presque naïvement par la splendeur de celle-ci, et qui ne peut les conquérir, en fait, que du fait de leur faible niveau de défense, leur impréparation, leurs divisions également, et grâce à sa propre furie, qui lui permet de l’emporter, au moins pour premier temps. En d’autres termes, des Allobroges vaincus par Marius, aux hordes de la bataille d’Andrinople661

, en passant par les Vikings, et pour en arriver finalement aux Croisés, toujours un même modèle est à l’œuvre, au moins dans le récit tel que nous l’envisageons ici. Seulement, nous allons y revenir, pour ce cas, nous n’avons pas seulement la vision des vainqueurs finaux, sous les ordres des sultans d’Egypte, mais aussi celle des « barbares » en question et de leurs descendants proclamés.

Par ailleurs, si nous citons Andrinople, c’est aussi parce que la vision présentée par Amin Maalouf n’est au fond pas si éloignée de celle de la princesse Anne Comnène déjà rencontrée, et qui est citée d’ailleurs dans le récit libanais662. D’autre part, une vision, arabe et byzantine, qui en fait n’est pas non plus sans rappeler le système de base des successions dynastiques selon Ibn Khaldoun663 : une population, moins culturellement raffinée, surgit des marges, renverse la dynastie, puis s’affine à son tour, perd de sa cohésion, et finalement est à son tour submergée, dans le cas présent renvoyée d’où elle est venue du fait de son incapacité finale à réellement s’assimiler. En tout cas, vaincue. Tel quel, rien de problématique, mais l’intérêt dans le cas présent tient aussi à ce que un tel système appliqué au cas croisé tend également à envisager celui-ci comme d’une part un affrontement culturel, et d’autre part à proposer une hiérarchie des cultures, les conquérants occidentaux, brutaux et sanguinaires, y occupant la dernière place.

Toutes choses qui posent difficulté, si l’on se réfère aux acquis de Lévi-Strauss664 lorsqu’il évoque l’évolution des sociétés non pas en diachronie, avec des sociétés plus culturellement avancées, mais en synchronie, rejetant vigoureusement l’idée que les Indiens amazoniens sur lesquels il travaillent soient en quelque sorte que ce soit « en retard » sur les citadins brésiliens du XX°s. Leurs chemins n’ont tout simplement pas suivi la même voie. Il y a un différentiel technologique évident, des formes d’organisation qui sont radicalement différentes, mais qui ne préjugent pas d’un niveau de développement autre. Les Amazoniens ne vivent pas, selon cette analyse « comme à l’âge de pierre », ils vivent pleinement leur époque, différemment. Dans ce cas, il en serait évidemment de même pour les Croisés par rapport à leurs voisins byzantins ou musulmans (et, sur un autre plan, des Polonais encore païens par rapport à leurs voisins allemands). De ce point de vue, le récent film Fire and

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Sur les typologies de la barbarie, cf. François Hartog op cit, Tzvetan Todorov La peur des barbares : au-delà

du choc des civilisations Livre de Poche 2009 Roger Pol-Droit Généalogie des barbares Odile Jacob 2007 661 Alessandro Barbero Le jour des barbares Flammarion 2010

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Anne Comnène, Alexiade op cit. Reprise par Amin Maalouf op cit et Alessandro Barbero Histoires de

Croisades Flammarion 2010 663

Ibn Khaldoun op ct, Yves Lacoste op cit

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sword, quand le soleil était un dieu665sur les derniers temps de la Pologne païenne, est intéressant au sens où, nationaliste, il présente une vision de la Pologne idolâtre sous un jour très positif, avec une religiosité païenne apaisée, et certainement non barbare. Mais, nous l’avons vu, sur le plan de l’appréhension, dans la région, la notion de progrès, au sens de progrès culturel, les acquis techniques pouvant jouer un rôle de signes de civilisation, demeure assez largement partagée, et conduit, dans le cadre de l’appréciation, à voir une forme de hiérarchie entre les différents protagonistes de ces événements. Les Croisés, que les livres d’Histoire et la culture populaire dépeignent désormais y compris en Occident assez volontiers comme fascinés par les avancées orientales, depuis la médecine666 (avec le fameux passage de Saladin envoyant ses médecins à ses ennemis), jusqu’aux découvertes astronomiques667, aux tissus, et ainsi de suite, apparaissent ainsi comme les brutes épaisses de ce temps, face à des ennemis à qui ils apparaissent à peine sortis des bois. Soit le renversement de la perspective des anciens orientalistes et des penseurs coloniaux, et de leurs idées sur les « races sans histoire »668.

Avant de continuer plus avant sur ce thème, peut-être vaut-il la peine de s’arrêter un instant sur les identités des auteurs de ces produits culturels arabes sur les Croisades. Amin Maalouf, tout comme Youssef Chahine sont tous deux chrétiens. Plus, tous deux catholiques, uniate melkite pour le premier669, catholique d’Egypte pour le second. Autrement dit des

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