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« Les tensions qu’entraînent la diversité culturelle et les exigences ou les demandes identitaires sont à bien des égards inscrites dans l’espace, ancrées dans des territoires, informées et transformées par les médias, qui eux-mêmes sont en bonne partie profondément influencés par les identités en question » (Saez, 1995). Il faut chercher à mettre en évidence les enjeux et les dimensions territoriales des affirmations identitaires. Dans notre cas, les enjeux territoriaux des affirmations identitaires sont forts. Tous luttent pour s’approprier l’espace. Les acquis des uns et des autres sont constamment remis en question65. Et dans un périmètre toujours plus concentré, les inondations forçant le déplacement, c’est la lutte pour la terre. Ceux de Momboye

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Pour les sociétés agraires, le rapport à la terre tient lieu de socialité plus que de territorialité. Quand les formes de cette socialité sont ébranlées, il y a repli sur l’appartenance territoriale. Toucher au foncier, c’est toucher aux mécanismes de la reproduction sociale. La reconnaissance sociale ne passe plus d’abord par la complexité des alliances claniques et lignagières ou du système de parenté, mais par l’emprise territoriale directe, par l’exploitation du sol (Charlery de la Masselière, 1999).

construisent sur les terres des Peuls des infrastructures, qu’ils revendiquent ensuite pour eux seuls. Ou que les autres leur laissent parce qu’ils s’en sentent exclus. Alors même si les espaces inoccupés ne sont pas forcément vacants (Lauga-Sallenave, 1999), dans cette situation, les Peuls préfèrent investir leurs terres, en s’y fixant. Occuper physiquement l’espace pour ne pas en être dépossédé. Les Haoussas, quant à eux, sont tellement confinés dans leur territoire qu’ils songent à repartir dans leur ancien site :

« Jusqu’à présent, nous avons envie de retourner là-bas parce qu’ici les terres sont exiguës. Il n’y a plus où étendre le village. On doit nécessairement retourner (…) Là, ça a commencé à inonder les terres d’ici (…) C’est pourquoi c’est vraiment une nécessité de retourner de l’autre côté. Puisqu’on ne peut ni progresser de ce côté, ni de ce côté. La seule solution c’est de retourner.

Puisque de chaque côté, il y a les villages ?

La seule alternative c’est le point de départ » (chef de Tounga Darfo)66.

Dans cette situation, les enjeux tournent également autour des dénominations. Une des causes de dissension entre Momboye et Darfo est le fait que tout se fasse au nom de Momboye. Ce que nous dit le chef de village de Tounga Darfo au sujet d’une coopérative de poissons, en fonction quelques années et qui s’est arrêtée67 :

« À l’époque, on a marqué Momboye, au lieu de marquer Darfo comme localité. Comment ça se fait qu’on ait marqué Momboye comme localité et pas Darfo ?

Vous savez, un étranger, il ne connaît pas le village. C’est un problème. Quand un étranger ne connaît pas bien, il peut commettre beaucoup d’erreurs. C’est de cette façon que le nom de Momboye a été marqué (…) Avant, j’ai travaillé dans l’ignorance mais maintenant je ne veux plus répéter cette erreur. Désormais, les gens de Momboye n’ont qu’à accepter de suivre les gens de Tounga Darfo.

Pourquoi ?

Je n’ai nulle part vu sur les papiers administratifs le nom de Momboye. Partout, il n’y a que le nom de Tounga Darfo. Je suis parti à Niamey, je n’ai pas vu le nom de Momboye. Je suis allé à Dosso, je n’ai pas vu. Je suis venu à Gaya, non plus je n’ai pas vu ».

Le fait qu’ils puissent également profiter des infrastructures ne suffit plus. Ils veulent la reconnaissance écrite, le partage de l’espace et leur inscription dans celui-ci. « Comme cet espace et ces ressources sont la base de l’existence, la lutte pour ces ressources et leur gestion est un facteur essentiel (et souvent négligé) dans l’étude de l’ethnicité et des identités culturelles » (de Bruijn et van Dijk, 2000).

« Mais l’école porte le nom de Momboye ? Oui.

Ça a fait un problème ?

C’est un problème, parce qu’au cours d’une réunion, un Dendi a eu à dire que l’école leur appartient. Parce que l’école, c’est l’école de Momboye. Ce qui a fait que eux-là cherchent leur création. Ils (les Haoussas) veulent avoir leur école. Maintenant, les Peuls aussi ont tendance à créer leur propre création » (directeur de l’école de Momboye).

En abordant toute question identitaire, il faut tenir compte de son historicité, de

sa relativité, de son caractère interactif et dynamique. L’identité est toujours

située. D’où la nécessité de replacer la réflexion sur l’identité dans un espace, de l’ancrer dans un lieu – un territoire. Traiter des relations entre identités, cultures et territoires impose de tenir compte à la fois de la plasticité de la notion d’identité, de la polysémie de la notion de culture et de la variabilité de la notion de territoire (Saez, 1995). De la même manière que l’identité est une notion ambiguë, en ce qu’elle est ce

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Extrait de l’entretien réalisé le 03.03.04.

qui est identique et différent à la fois, le territoire présente lui aussi une fonction paradoxale. Il rassemble et sépare dans le même temps (Jambes, 2000).

La géographie observe comment sont perçues, construites et revendiquées, les identités cristallisées dans leurs représentations et leurs interprétations des lieux et des relations spatiales. L’identité se joue dans et à travers l’espace. L’intérêt pour cette notion a conduit la discipline géographique à revisiter certains de ces concepts fondamentaux tels, le lieu ou le territoire. L’apparition de notion comme celle de « frontière » nous fait prendre conscience du fait que chaque formation sociale entretient un rapport particulier avec l’espace. Qu’il l’utilise et le transforme à sa façon (Pagès et Pélissier, 2000). L’espace n’est pas le simple lieu d’exercice des processus correspondants aux formes sociales. Il participe aux phénomènes de rétroaction entre le monde social et son contexte (Poche, 2000). L’espace du groupe est ce qui permet de le constituer comme une unité élémentaire du système relationnel de la vie quotidienne dans toutes ses dimensions, et ce à propos de quoi se constituent un langage et un système culturel dans toute sa généralité.

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