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Identité des jeunes issus des mariages mixtes

SECTION II : TRANSMISSION IDENTITAIRE

3.3 Identité des jeunes issus des mariages mixtes

Une des questions explorées dans la littérature, principalement aux États-Unis, touche l’identité et la gestion de l’hétérogénéité des systèmes culturels (Williams, 1992; Diouf-Kamara, 1993; Stephan et Stephan, 2000; Mass, 1992; Hall, 1992; Judd, 1990). En France, ce thème fait l’objet d’un nombre restreint d’études (Philip-Asdih, 1993; Varro, 1995a; Barbara, 1993a). Il s’agit alors d’examiner comment chaque individu met en place son rapport aux deux cultures et comment s’élabore cet espace. L’enfant doit se situer par rapport à lui-même, à ses parents, à ses camarades (Barbara, 1993a). Est-ce que la confrontation à deux cultures entraîne la disparition de l'une d’entre elles ou leur cohabitation? Induit-elle un simple contact biculturel ou engendre-t-elle un biculturalisme? Ou donne-t-elle naissance à une troisième culture?

Les jeunes peuvent soit choisir entre l’une ou l’autre (identité ethnique simple), combiner les deux (identité ethnique multiple) ou créer une nouvelle identité. Alors que la disparition de l’une des deux cultures et l’identification à un seul des deux groupes d’appartenance ont été longtemps soutenues, une telle possibilité n’est plus présentée comme le résultat inéluctable de la mixité. L’identification à un seul groupe découle du contexte, lequel limite les choix offerts. Elle serait présente chez la majorité des Noirs-Blancs aux États-Unis qui s’identifieraient au groupe Noir (Diouf-Kamara, 1993).

Depuis le début des années 1980, on admet de plus en plus la possibilité pour des identités raciales ou culturelles mixtes. Les auteurs insistent sur la nécessité de reconnaître l’héritage multiple des enfants de couples mixtes et sur le fait qu’ils sont issus de deux cultures distinctes (Philip-Asdih, 1994). Les jeunes eux-mêmes revendiquent souvent ce double héritage, appelé «troisième voie» par Diouf-Kamara (1993), et expriment ainsi la volonté de ne pas choisir. Un tiers des enfants Noirs-Blancs aux États-Unis se réclament des deux parties de leur héritage (Diouf-Kamara, 1993). De la même façon, plusieurs enfants de couples mixtes turcs/américaines interviewés par Bilgé (1996) revendiquent à la fois leurs identités turque et américaine. À différents moments de leur vie, les individus mixtes peuvent manifester un désir de connaître l’autre moitié de leur héritage. Cette curiosité pour leurs racines amène souvent les enfants issus de couples mixtes à apprendre la seconde langue à l’école ou à voyager dans le pays d’origine pour un séjour linguistique. C’est ce qui est observé par Lagaune (1995) dans le cas des jeunes issus d'un mariage franco-chinois. Dans une recherche sur l’identité ethnique de jeunes d’héritage mixte japonais/américains et hispaniques, Stephan et Stephan (1989) font ressortir le caractère multiple de leur sentiment d’appartenance.

Une fois la mixité reconnue, les auteurs s’interrogent ensuite sur l’émergence d’une identité particulière, celle des enfants nés dans une zone où le biculturalisme devient en quelque sorte la culture d’origine (Varro, 1995a). Toutefois, le sentiment identitaire des personnes qui synthétisent des traits des deux cultures demeure toujours peu étudié.

Lorsqu’une appropriation par les individus de leur héritage culturel mixte se produit, les auteurs parlent parfois en termes de biculturalité ou de biracialisme. Pour Varro, la biculturalité n’existe pas, on ne naît pas biculturel, on le devient : «Certaines personnes que rien ne destinait à la biculturalité le sont devenues. D’autres avaient tout pour être biculturelles mais sont restées

profondément mono» (Varro, 1995a : 168). La biculturalité résulterait d’une volonté personnelle de la part des jeunes. En fait, si la mixité est largement déterminée par les parents, les enfants reproduisent ou produisent une autre biculturalité que celle de départ (Varro, 1995a). Pour Varro, le sentiment identitaire des jeunes se présente dans un continuum. Il est déterminé par la transmission par les parents aux enfants de deux langues et cultures et par l’appropriation par les enfants de leur double héritage. Barbara (1993a) parle à ce sujet de l’existence d’un sentiment de biappartenance ou encore d’identité ambivalente.

Le mixte peut se revendiquer comme un nouvel alliage, une nouvelle unité : «une synthèse qui combine les traits des cultures paternelles et maternelles au contact desquelles toute personne se forme, comprenant les diverses influences et compétences, langage et sensibilités, expériences et apprentissages qui jalonnent l’existence» (Varro, 1995a : 181). «L’enfant du couple mixte ne deviendrait-il pas la synthèse dynamique d’une double appartenance culturelle constituée d’éléments qui, se combinant, valoriseraient les deux cultures en les confrontant positivement?» s’interroge pour sa part Barbara (1993a : 245). Les jeunes diffèrent à la fois des autres et de leurs parents. Selon Varro : «En s’appropriant soi-même les éléments de leur double héritage en tant que marqueurs distinctifs et singularisants, l’adolescent pourra développer le sentiment de posséder une culture différente de celle de ses amis mononationaux, tout en distinguant clairement ses propres expériences de celles de ses parents» (1995 : 175).

Selon quelques auteurs, la mixité, plus qu’une synthèse de deux ou plusieurs cultures, donnerait naissance à une culture entièrement nouvelle (Williams, 1992; Delcroix et al., 1989; Leonard, 2000). Une telle synthèse entraîne alors une identification plus large, soit aux individus dont les parents appartiennent à des groupes similaires (Asiatique-Américain par exemple) ou encore à l’ensemble des individus mixtes, regroupés sous l’appellation multiethnique. Ces deux types d’identifications sont tour à tour observés dans les travaux.

Pour Williams, il s’agit clairement d’une troisième culture, c’est-à-dire «the intercultural meeting of the first and second cultures or the creation of a new culture through the synthesis of the two parent cultures» (1992 : 299). Les jeunes Américains-Asiatiques qu’elle a observés mettent le plus souvent de l’avant l’aspect multiculturel et multiracial Ils ont à la fois le sentiment d’avoir beaucoup en commun avec les autres Américains mixtes et de former un groupe ethnique

à part, «Haafu». Selon Williams, ces jeunes développeraient même leur propre langage, un mélange de japonais et d’anglais.

Pour désigner l’ensemble des jeunes de mariages mixtes, Delcroix et al. (1989) parlent de l’identification possible au groupe des «mixed blood». De son côté, Leonard (2000) suggère que les deuxièmes générations et les générations subséquentes issues de couples punjabi et mexicain vont au-delà de leur héritage biethnique et revendiquent une identité multiethnique plus large.

Selon les observations, les divers types de réponses coexistent souvent au sein d’un même groupe d’individus (Stephan et Stephan, 2000; Mass, 1992; Barbara, 1993a; Philip-Asdih, 1994; Hall, 1992; Varro, 1995a) et même à l’intérieur d’une famille. Le fait d’être un enfant biculturel ne préjuge pas de sa propre perception de son identité, qu’il peut désigner comme biculturelle, ou comme mixte, soit comme n’étant ni l’un ni l’autre (Varro, 1995a). Root mentionne la possibilité pour les individus mixtes de revendiquer deux ou plusieurs appartenances, ou encore celle de se déclarer multiracial (2000). Dans leur étude, Stephan et Stephan (2000) observent deux types de situations. Une partie des individus d’héritage mixte possède une identité ethnique unique et l’autre, des identités ethniques multiples. Hall (1992) obtient des résultats similaires dans ses travaux sur de jeunes Noirs-Japonais. Par ailleurs, dans le cas des Sino-Américains, les variations apparaissent si grandes qu’il est difficile de parler d’un groupe de référence biracial (Lee Sung, 1990a). Leur identité prend la forme d’une combinaison de plusieurs groupes ethniques.

De plus, même si les enfants de couples mixtes peuvent être regroupés sous des étiquettes communes, ils ne formeraient pas une catégorie sociale ou ethnique, parce que des différences entre eux existent (Philip-Asdih, 1994). Des variations sont possibles non seulement d’un individu à l’autre, mais également chez un même individu. Un même individu peut au cours de son existence se sentir près du groupe de son père, de celui de sa mère ou encore de l’ensemble des autres individus mixtes. Mais dans tous les cas, l’existence de la biculturalité ou de la multiculturalité suppose une définition non essentialiste de l’identité. En effet, l’identité y apparaît non seulement comme un processus dynamique mais comme un produit multiple.

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