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L’approche de la formation et des apprentissages par la compétence se conçoit régulièrement comme une façon d’adapter la formation aux besoins de l’emploi et de l’entreprise. Mais pour Yvon Minvielle (1996), ce qui est important pour la formation, ce n’est pas tant la bonne identification des besoins et des emplois, que la prise en compte de la modification des processus de travail d’où émerge la question de la compétence car elle déplace largement le cadre strict des activités du travail, en mobilisant la question des représentations sociales, des pratiques et de l’identité du professionnel. Cependant, une telle conception de la compétence est en tension avec deux approches auxquelles elle ne se substitue pas, qui se basent sur « le métier » et sur le « poste de travail ».

Dans la première, les compétences et les critères d’accès au métier sont définis par la communauté de travail et les pairs, et reposent sur un « socle de définitions des appartenances sociales professionnelles, à la fois légitimes et reconnues » (Zarifian, 2002). Cette approche repose d’abord sur le travail « bien fait » et s’entend comme un ensemble de « qualifications » spécifiques, c’est à dire de performances, qui le plus souvent ne sont jamais remises en cause, ou tout au plus agrémentées de quelques additifs au gré de carrière et/ou de l’évolution de la discipline sur laquelle le métier s’appuie. (Villet, 2001). La reconnaissance au travail passe par un processus d’institutionnalisation du métier dans lequel la formation joue un rôle central en tant qu’elle garantit et assure la reproduction des normes et des valeurs du métier par la diffusion de savoirs et de savoir-faire « experts » propres. Avec l’approche de la compétence par « poste de travail », il s’agit pour la formation professionnelle, d’intégrer les futurs professionnels à un ensemble qui n’est pas strictement lié « au métier », mais à

l’organisation dans laquelle ils travaillent. Ce faisant, si la formation se pense ici comme un processus « d’intégration sociale » au sens de François Dubet, la « culture » du métier qu’il convient de promouvoir tient à un ensemble plus large qui se construit dans les relations sociales liées aux situations de travail dans l’entreprise ou l’organisation.

Enfin, on distingue l’approche par la « compétence » centrée sur l’individu en formation et sur son autonomie dans l’action. Remarquons ici que cette conception s’est construite avec la crise de l’emploi du début des années 80, où, au même moment, l’analyse sociologique du travail prenait progressivement en compte la façon dont l’individu participait à la construction sociale de son identité au travail. Le terme de compétence a émergé et s’est peu à peu substitué à la notion de « qualification » plutôt utilisée dans les deux précédentes approches avec la complexité croissante du travail. Cependant, si la compétence se centre sur la capacité de l’individu à agir pour résoudre des problèmes, sa définition contemporaine ne se libère pas complètement de la culture du métier, ni de l’organisation dans laquelle l’individu travaille.

Aussi si l’usage de la compétence en formation est aujourd’hui très largement répandue, la réelle complexité de sa définition se mesure à la diversité des conceptions de l’apprentissage chez les enseignants de la formation initiale et les formateurs de la formation continue14, et à leurs manières variées d’exprimer ce qu’il conviendrait de faire auprès des publics en formation pour qu’ils deviennent « compétents15 ». En nous appuyant sur Philippe Zarifian (2002), nous constatons que la

Enseignants et formateurs sont deux catégories d’acteurs de la formation qui sont présents au sein d’un même établissement d’eneignement agricole.

Selon Pascal Vincent (séminaire de l’observatoire des métiers, Paris, janvier 2011) l’approche par la compétence en formation se décline selon 4 catégories principales de l’action.

Agir : La première approche de la compétence renvoie à l’action au travail, qui suppose de maîtriser un ensemble de savoirs théoriques et techniques, et de mettre en œuvre des savoir–faire propres à l’action. La compétence se décline par un ensemble d’objectifs qui repose sur la performance et des résultats normés. Si l’évaluation apprécie les capacités « d’agir » des futurs professionnels à partir d’un référentiel, elle ne « juge » pas de la capacité d’initiative ni de la pertinence de l’acte en fonction de la situation de travail. Dans cette acception normative de ce qu’est la compétence, bien que les apprentissages proposés par la formation restent centrés sur l’individu, elle ne prend pas en compte la question de son autonomie au travail.

Pouvoir agir : La seconde manière de définir la compétence renvoie à une approche « stratégique » et prospective du travail. L’autonomie de l’individu dans l’action vise à son adaptation et à son implication dans les visées stratégiques de l’entreprise, et elle s’appuie sur la prise d’initiative et la responsabilité. La compétence de l’individu tient d’abord de sa capacité à traiter, analyser les enjeux, le contexte, les résistances, et à mobiliser les ressources nécessaires pour agir. Cette compétence s’inscrit dans un processus dynamique dont il convient d’en apprécier préalablement les contours. Outre que cette approche stratégique soit généralement mal perçue compte tenu de la dimension utilitariste qu’on lui prête, elle suppose une légitimité institutionnelle car les compétences liées à l’action sont susceptibles d’interagir sur la situation, les individus devant alors porter la responsabilité de leurs actes.

Vouloir agir : On distingue également une approche « subjective », centrée sur le sujet, et la motivation qu’il met à travailler. Elle porte non seulement sur les manières de faire, mais également sur le regard réflexif qu’il doit avoir sur son action, sur les choix qui sont les siens face aux situations qu’il rencontre. Centrées sur la pratique, leur caractère formel n’étant pas toujours abouti, ces compétences ont parfois du mal à se faire reconnaître et se pose la question de leur régulation sociale.

Savoir agir : On distingue enfin, l’approche axiologique de la compétence qui renvoie à l’éthique, aux valeurs et au sens qu’une communauté donne au travail. Les compétences sont d’ordre comportemental et renvoient à une forme de déontologie.

définition qu’en donnent les sciences de l’éducation procède d’un métissage de ces différentes approches, où le métier, la situation de travail et l’individu trouvent chacun leur place.

Etre « compétent » c’est d’abord maîtriser des savoirs, des savoir-faire et des aptitudes relationnelles, (qui se posent alors comme « ressources ») et les mobiliser de façon pertinente, en fonction des situations de travail. La compétence procède aussi d’une « intelligence pratique » au sens où elle n’est pas forcément donnée d’emblée et peut se construire dans l’expérience au travail : elle ne relève pas d’une simple application des connaissances explicites et tacites, elle mobilise une expérience qui les transforme et les ajuste. Mais ces transformations dynamiques ne se développent qu’en interaction avec autrui, car pour être définie en tant que telle, la compétence suppose une reconnaissance pour soi et par les autres. Finalement, la compétence peut se concevoir comme l’ensemble des aptitudes qui permettent de mobiliser des ressources variées, savoirs et savoir-faire, donnés et/ou construits par l’expérience en situation de travail, afin d’effectuer une tâche ou de résoudre un problème, dans un cadre social qui permet d’ajuster et de déplacer les limites en fonction des valeurs et du sens donnés au travail. Nous pouvons reprendre la définition de Nicole de Roelens pour qui « les compétences de chacun sont coproduites dans les interactions symboliques et font l’objet de transactions qui se réalisent autour de la répartition des rôles et des places » de chacun dans les organisations au travail (Roelens, 1998, 123).

Dans cette acception, nous considérons alors que la définition de la compétence intègre le processus de travail et ses dynamiques sociales, dépassant ainsi le cadre strict des activités, en intégrant ce qui est consenti par les individus pour donner un sens « partagé » à leur travail. Si la construction des compétences du métier d’agriculteur opère à partir d’un ensemble de transactions sociales dans des scènes variées qui peuvent être actives du point de vue de la régulation sociale du métier, nous admettons avec Catherine Paradeise (1985) que cette construction se joue à partir de la production d’une rhétorique qui cherche notamment à redéfinir les compétences propres de l’agriculteur ; les compétences et le sens donné au travail d’agriculteur sont alors en « train de se faire ». Dans ces conditions, l’enseignement agricole est invité à se déplacer vers une posture plus « constructiviste » où l’institution scolaire agricole et ses agents sont invités à (re)trouver une plus grande proximité avec la profession agricole et l’ensemble des acteurs qui ont aussi quelque chose à dire sur l’agriculture, pour prendre part au travail de recomposition du métier d’agriculteur. Nous entendons ici que l’enseignement agricole doit se positionner dans une perspective où les réalités sociales sont appréhendées comme des constructions historiques et quotidiennes des acteurs individuels et collectifs (Corcuff, 2007), position qui suggère alors aux enseignants-formateurs de repenser leur mode d’action, de revoir la conception de la notion de compétence en tenant compte de la façon dont celles- ci se construisent. C’est autour de cet ajustement de la position de l’enseignement agricole et de ses agents que nous allons construire alors, notre hypothèse de la « médiation pédagogique ».

3. Problèmes posés à la formation : vers l’hypothèse de la médiation