• Aucun résultat trouvé

B. Infection chronique et lymphomagénèse

4. Lymphomagénèse T et infection chronique : quels exemples ?

4.1. Leucémie T à grands lymphocytes granuleux (T-LGL) _________________________________ 46

4.1.3. Hypothèses physiopathologiques

Bien que la contrepartie cellulaire normale n’a pu être formellement établie dans les leucémies T-LGL, le phénotype T effecteur mémoire (TEM) CD45RA+CD62Llow de la prolifération tumorale laisse supposer qu’une stimulation antigénique chronique pourrait être impliquée dans le processus214. D’autres éléments qui seront détaillés par la suite sont en faveur du rôle d’une potentielle stimulation antigénique, comme le biais de répertoire rapporté par certaines études, quoique controversé, ou l’efficacité d’un traitement par cyclosporine dans cette pathologie -évoquant une dépendance du clone tumoral quant à la voie de signalisation du TCR. Par ailleurs, l’émergence de clones T-LGL dans un contexte de pathologie autoimmune telle qu’une polyarthrite rhumatoïde, un lupus érythémateux aigu dissséminé ou une thyroïdite de Hashimoto ont suggéré le rôle d’une stimulation antigénique par des autoantigènes dans la physiopathologie de la maladie205,215.

Des données contradictoires quant à l’existence d’un biais d’utilisation du répertoire Vß par les cellules T-LGL ont été retrouvées dans la littérature. Alors que certaines études ont montré l’existence d’une utilisation préférentielle des familles Vß2 et Vß3216 voire Vß13.1217 ou encore Vß6 (dans un contexte d’association à la polyarthrite rhumatoïde)218, d’autres n’ont pas retrouvé un tel biais, montrant notamment que les familles principalement exprimées dans les T-LGL étaient celles utilisées majoritairement dans la population contrôle analysée219,220.

Permettant une analyse plus fine du site de reconnaissance antigénique, l’analyse clonotypique (par séquençage de la région CDR3) apporte de précieuses informations. En effet, d’un point de vue théorique, l’homologie clonotypique suggère que les différents clones tumoraux ont pu être générés en réponse à un même antigène (du soi ou du non-soi) jouant probablement un rôle étiopathogénique dans la maladie. En revanche, la restriction d’un clonotype à quelques patients seulement évoque soit une restriction HLA-médiée soit l’existence d’une stimulation par plusieurs antigènes (d’un même pathogène sans immunodominance particulière par exemple) de façon propre à chaque patient. L’absence de motif particulier de la région CDR3 évoque quant à elle un processus sporadique écartant a priori l’hypothèse d’une médiation de la transformation par une stimulation antigénique, ou du moins l’hypothèse d’une stimulation par un antigène commun.

En ce qui concerne les leucémies à T-LGL, l’analyse clonotypique précise de 28 clones chez 25 patients a montré que si la séquence précise était rarement retrouvée entre patients ou chez des sujets contrôles, il existait un fort degré d’homologie220. Une des explications séduisantes pour expliquer cette homologie à la fois entre patients et entre patients et contrôles serait, comme expliqué dans le paragraphe précédent, l’existence d’un déterminant antigénique commun répandu dans la population (viral ou bactérien par exemple) combinée à une réponse dérégulée chez les patients développant une leucémie T-LGL. A l’origine de cette dérégulation, on peut imaginer l’existence de polymorphismes ou l’émergence de mutations somatiques survenant dans des gènes impliqués dans l’apoptose des lymphocytes T activés comme nous le préciserons ultérieurement. Néanmoins, comme pour l’éventuel restriction d’expression Vß, l’homologie de la région CDR3 peut correspondre seulement à la présence d’un clone dominant contenu dans la population normale qui, de par sa seule

sur-représentation, a plus de chance de donner naissance au clone transformé, sans pour autant jouer un rôle direct dans la tumorigénèse. Néanmoins, une autre étude publiée par la même équipe ultérieurement et étudiant les clonotypes de 56 patients porteurs de T-LGL a montré que chez certains patients présentant plusieurs clones, il existait des similarités entre la région CDR3 du clone dominant et du clone co-dominant de même qu’avec les autres populations T polyclonales résiduelles (qualifiées de « supporting » clonotypes) suggérant plus clairement un biais global du répertoire T vers un déterminant antigénique rendant peu probable l’hypothèse d’une émergence stochastique d’un clone221. Enfin, une autre étude a montré que dans un sous-type particulier CD4+ de T-LGL, parmi 15 patients exprimant le TCR-Vß13.1, tous étaient HLA-DRB1*0701 (P=0.004 par comparaison avec 21 patients non-TCR Vß13.1). A ceci peut s’ajouter chez ces patients une région CDR3 de faible longueur présentant de fortes homologies, l’utilisation préférentielle de la région « joining » Jß1.1 et l’utilisation d’une séquence peptidique consensus aux niveaux des jonctions 3’-Vß et 5’-Jß222.

Jusqu’à présent, aucun antigène particulier et unique n’a pas pu être identifié comme étant spécifiquement reconnu par le TCR des clones T-LGL. Il apparaît d’ailleurs peu probable qu’un déterminant antigénique unique (auto-antigène ou peptide immunodominant d’un pathogène) soit impliqué dans la physiopathologie de la maladie au regard de l’hétérogénéité retrouvée des régions CDR3, et ce malgré leur degré d’homologie. En revanche, des travaux semblent avoir identifié certains antigènes ou peptides viraux comme probablement reconnus par certains clones T-LGL. Bien que concernant des patients atteints d’une forme différente de LGL appelée NK-LGL (prolifération clonale de lymphocytes NK), la première étude montrant une association entre ce type de pathologie et un antigène commun possible a été publiée par Loughran et al. en 1997 et montre la séroréactivité de 11 patients sur 15 (soit 73%) pour la protéine d’enveloppe p21E (épitope BA21) du virus HTLV, sans pour autant d’infection par le virus (contre 13% dans un panel de donneurs sains et 23% dans un groupe de patients HBV positifs). Ces travaux suggèrent pour la première fois une réactivité croisée potentielle, avec un autre virus que HTLV non identifié par exemple, des clones LGL même si la nature NK exclut ici la possibilité d’une transformation TCR-spécifique. Ultérieurement, les mêmes auteurs ont montré en 2005 que 30% des sérums de patients atteints de T-LGL étaient réactifs contre p21E, et plus particulièrement le décapeptide 417-426 de la protéine, contre 10% de la population saine contrôle. Des travaux plus récents ont démontré la prolifération et/ou la sécrétion de cytokines telles que l’IFN-γ ou le TNFα par des clones particuliers de T-LGL CD4+ en réponse à des lysats totaux de CMV puis d’un peptide spécifique du virus (chez 4 patients porteurs d’un HLADRB1*0701 capable de présenter le peptide) démontrant pour la première fois une spécificité du TCR de clones T-LGL à un antigène donné223.

Si l’hypothèse d’une stimulation antigénique chronique semble donc expliquer l’émergence de clones particuliers, initialement dans un profil poly- puis oligoclonal, elle ne suffit pas à rendre compte de l’évolution vers une monoclonalité définissant le stade leucémique de la pathologie à T-LGL. Afin d’expliquer l’émergence d’un tel clone majoritaire, il est aujourd’hui clairement démontré qu’il existe une résistance augmentée à l’apoptose, notamment médiée par la voie FasL-Fas. Des analyses de

microarrays ont montré l’existence d’une signature unique retrouvée dans les leucémies à LGL, caractérisée par une dissociation entre fonctions effectrices et mise en œuvre d’un programme pro-apoptotique caractéristique de l’AICD (activation-induced cell-death)224. En effet, la leucémie à LGL semble caractérisée d’un côté par l’acquisition de marqueurs d’activation -comparativement à des lymphocytes T naïfs- et de l’autre par une répréssion/extinction de gènes pro-apoptotiques et une induction/surexpression de gènes anti-apoptotiques -comparativement à des cellules T normales activées.

Un certain nombre de voies de signalisation sont dérégulées dans les LGL, dont un résumé est présenté dans le tableau 5, notamment les voies Ras-Mek-Erk, PI3K-Akt, NF-κB ou la voie des sphingolipides. Contrairement à la voie Fas-FasL dont le rôle prépondérant sera développé au paragraphe suivant, ces différentes voies de signalisation ne seront pas abordées ici pour 2 raisons. La première est que les différentes interventions thérapeutiques sur ces diverses voies de signalisation permettent, dans la majorité des cas, avant tout de restaurer la sensibilité à la mort induite par Fas, confirmant le rôle fondamental de cette dernière. La deuxième est que l’ensemble de ces perturbations des différentes voies de signalisation provient vraisemblablement du microenvironnement tumoral et non d’anomalies intrinsèques. En effet, l’ensemble de ces perturbation peut être modélisé par la combinaison de 3 signaux exogènes à la cellule225 : la présence d’IL-15, de PDGF et un engagement du TCR qui ont été validés expérimentalement et chez des patients (au moins pour l’IL-15)226.

ETUDE VOIE DEREGULEE

Epling-Burnette et al.227

Epling-Burnette et al.228 Ras-Mek-Erk

Schade et al.229

Zhang et al.225 PI3K-Akt

Zhang et al.225 NF-κB

Epling-Burnette et al.230 JAK-STAT

Shah et al.224 Sphingolipides

Zhang et al.225 PDGF

Tableau 5. Résumé des principales voies de signalisation dérégulées dans la leucémie à LGL (d’après Shah et al.231)

Tout comme les lymphocytes activés, les T-LGL leucémiques expriment fortement à leur surface le récepteur Fas et son ligand FasL. Néanmoins, alors qu’une telle coexpression devrait logiquement entraîner leur mort apoptotique par AICD, les clones T-LGL semblent résistants à une telle apoptose Fas-FasL médiée. Ceci suggère que, soit les LGL sont déficients pour l’une des composantes de cette voie, soit que d’autres signaux (inhibiteurs de la voie Fas par exemple) sont en jeu. Certaines similarités entre les LGL et le syndrome dit ALPS (Autoimmune LymphoProliferative Syndrome dû à des mutations inactivatrices de Fas ou de FasL) chez l’homme existent : a) comme l’accumulation de lymphocytes T double négatifs CD4-CD8- (phénotype parfois rencontré dans les LGL), b) la présence d’une hépatosplénomégalie ou c) l’association à certaines pathologies autoimmunes (bien que, dans le cas des LGL, elles semblent précéder l’expression clinique de la maladie alors que dans le cas de

l’ALPS elles apparaissent vraisemblablement secondairement). Néanmoins, il existe rarement de lymphadénopathies (caractéristiques des ALPS) dans les LGL, de même que la présence d’expansions clonales CD8+ majoritaires dans les LGL ne sont pas retrouvées dans les ALPS. Surtout, il n’existe pas de mutation de Fas ou de FasL documentée à ce jour dans les LGL. Par ailleurs, l’adjonction d’IL-2 in

vitro à des cultures de clones T-LGL permet de restaurer la sensibilité à l’apoptose médiée par un

anticorps anti-Fas, preuve que la voie de signalisation reste intacte, ou tout du moins fonctionnelle. Plusieurs explications sont proposées pour expliquer ce déficit fonctionnel de la voie Fas. La première est la présence en quantité importante dans le sérum de patients LGL de Fas soluble (sFas) qui est suspecté de bloquer la liaison entre FasL et son récepteur membranaire Fas-FasL normale. Ce sFas est lui-même sécrété par le clone tumoral et semble correspondre à une forme épissée alternative de Fas qui, exprimée en quantité anormalement élevée, est alors sécrétée en extra-cellulaire. De la même façon, une sécrétion anormale de sFasL est observée. Elle correspond soit à une forme directement sécrétée par le clone tumorale soit à une forme résultant du clivage de FasL membranaire par des métalloprotéinases de la matrice extra-cellulaire. Il est paradoxal que les clones LGL exprimant eux-aussi fortement Fas semblent si peu sensibles aux taux élevés de FasL solubles présents dans le sérum des patients atteints de LGL. Toutefois, le défaut d’apoptose des LGL en réponse à l’agrégation des récepteurs Fas in vitro par un anti-Fas témoigne d’un défaut intracellulaire de la voie Fas-FasL dans ces cellules. Il a ainsi était démontré un défaut de formation du DISC (Death-Inducing Signaling Complex) en aval direct de la signalisation de la voie Fas, en raison notamment d’un taux basal anormalement élevé de FLIP (FADD-like IL-1 converting enzyme (FLICE)-inhibitory protein) cellulaire (cFLIP), un inhibiteur proximal de la voie Fas. c-FLIP contient en effet, comme les caspases initiatrices, un domaine d’association à FADD, permettant son recrutement dans le DISC mais ne possède pas de capacité protéolytique comme la caspase-8 avec laquelle elle rentre donc en compétition pour la médiation de l’apoptose Fas-dépendante. FLIP est régulé négativement par l’IL-2, expliquant la capacité de l’IL-2 à restaurer la sensibilité des T-LGL à l’apoptose induite par des anticorps anti-Fas{Yang, 2007 #35}.