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CHAPITRE 2. MODÈLE D’ANALYSE DE LA RECHERCHE

2.3 HYPOTHÈSES

Dans cette recherche, nous souhaitons vérifier si le régime des services essentiels influence la négociation collective dans les secteurs de transport en commun et de la santé et des services sociaux. Tel que précisé à la section 1.1.5, le libre accès des bénéficiaires, le pourcentage de salariés à maintenir au travail (art. 111.10.1, 111.10.3, 111.10.4 C.t.), le préavis de 20 jours (art. 111.11 al.1 C.t. et art. 50 et 81 Loi C-12) et le fonctionnement normal de l‟urgence et des soins intensifs (art.111.10.1 C.t.) sont les éléments qui différencient le secteur de la santé et des services sociaux avec celui du transport en commun. C‟est ainsi que le présent projet permettra de déterminer plus précisément si les différences entre les deux secteurs ont un effet sur les sept dimensions choisies de la négociation collective.

Compte tenu des décisions émises par le Conseil, il se peut (et il est même probable) qu‟il y ait des différences qu‟on ne pouvait voir avant de réaliser la recherche, c‟est pourquoi un examen de ces décisions est nécessaire afin de déterminer si elles ont un impact. Sans connaître le contenu de ces décisions a priori, il est très difficile de prévoir les effets de ces décisions.

Voici donc les hypothèses de notre recherche :

H1 : Le régime des services essentiels a des effets sur diverses dimensions du processus de négociation collective.

H2 : Les différences dans le régime de services essentiels entre le transport en commun et le secteur de la santé et des services sociaux influencent de façon distincte la négociation collective.

La première hypothèse porte donc sur un aspect général de notre problématique à savoir le régime des services essentiels a-t-il une influence particulière sur le processus de négociation collective? Alors que la deuxième hypothèse tente d’identifier si les règles particulières propres à un secteur influencent de façon distincte la négociation d’une convention collective. Ces différences sont bien résumées au Tableau 3.

La prochaine section examine les effets possibles de ces différences aux trois niveaux de la négociation collective (stratégique, institutionnel et lieux de travail) sur les sept dimensions retenues pour cette analyse.

2.3.1 NIVEAU STRATÉGIQUE

Trois dimensions ont été retenues pour le premier niveau : le degré de mobilisation syndicale, le rapport de force et la nature et la fréquence des moyens de pression. La littérature montre que l’obligation de maintenir un taux élevé de syndiqués au travail lors d’une grève rend la grève uniquement symbolique (Adell, Ponak et Grant, 2001; Bernier, 1994; Hebdon, 1998) ce qui a pour effet de diminuer la mobilisation. La situation où certains salariés sont au travail alors que d’autres sont sur les piquets de grève divise les membres du syndicat et diminue aussi le degré de mobilisation. De plus, l’obligation de maintenir un taux élevé de membres au travail (Hebdon, 1998) et les problèmes reliés à la rémunération en temps de grève (Grant et Racine, 1992) divisent les membres du syndicat. Conséquemment, les membres sont moins nombreux à se mobiliser, car les répercussions qu’engendre la grève en tant que moyen de pression ultime ne sont plus les mêmes (Hebdon, 1998). Le degré de mobilisation des membres s’en trouve donc réduit. Quant au secteur de la santé et des services sociaux, nous supposons que le libre accès des bénéficiaires, le pourcentage de salariés à maintenir au travail et le fonctionnement normal de l’urgence et des soins intensifs ne feraient que rendre la mobilisation encore plus difficile à réaliser.

Quant au rapport de force, Sturmthal (1973) mentionne que la grève détermine le rapport de force entre les parties. Donc, la possibilité de recourir à la grève comme moyen de pression ultime est un aspect non négligeable du processus de négociation collective. De plus, Hebdon (1998) précise que, lorsque le pourcentage de salariés à maintenir au travail est trop élevé, la grève ou la menace de grève perd son poids dans le secteur de la santé et des services sociaux. Toujours dans le même ordre d’idée, Haiven et Haiven (2007 : 9) mentionnent que les régimes des services essentiels « give the appearance of

allowing the strike weapon while effectively removing most of its effect. Le rapport de

rôle lorsque le régime des services essentiels contraint un grand nombre de salariés à poursuivre le travail en temps de grève.

Comme le régime des services essentiels interdit la grève générale illimitée pour l’ensemble des travailleurs, la partie syndicale doit faire preuve de créativité afin d’exercer des moyens de pression autres. Ces moyens de pression sont de nature différente et la fréquence de ceux-ci diffère de la grève générale. Ils diffèrent de celle-ci, car l’ensemble des membres du syndicat ne peuvent plus cesser de travailler en attente d’un règlement possible. Ils doivent en partie poursuivre le travail tout en souhaitant l’obtention d’un règlement. L’étude de Grant et Racine (1992) montre que les syndicats, soumis à l’obligation de maintenir les services essentiels, ont mis de côté la grève générale illimitée pour la remplacer par des grèves rotatives de plus courte durée ou encore par des moyens de pression autres que la grève. Par conséquent, la nature et la fréquence des moyens de pression devraient être diversifiées dans les secteurs assujettis au régime des services essentiels comme ceux à l’étude dans le cadre de cette recherche. Enfin, il se peut que les variantes du régime n’aient pas d’effet sur la nature et la fréquence des moyens de pression, mais peut-être que le pourcentage fixe, l’avis de 20 jours, le maintien du fonctionnement normal en cas d’urgence et des soins intensifs et le libre accès des bénéficiaires forcent le syndicat à développer des moyens de pression alternatifs. Les restrictions additionnelles dans ce secteur sont peut-être plus contraignantes que ne l’est la limitation du droit de grève. Cependant, il est difficile de se prononcer sur les effets de ces variantes sur la nature et la fréquence des moyens de pression.

2.3.2 NIVEAU INSTITUTIONNEL

Le déroulement des négociations de la convention collective et la durée de l’arrêt de travail sont les deux dimensions retenues au niveau institutionnel. Grant et Racine (1992) ont montré que lorsqu’une première liste de services essentiels est négociée, la négociation collective est de plus longue durée. Lorsqu’il n’y a aucune liste d’établie, les parties, généralement les comités de négociation, doivent allouer du temps pour discuter des services qui seront maintenus pendant la durée d’une grève éventuelle. Par le fait

même, la négociation concernant les clauses normatives et/ou monétaires est reportée jusqu’à la conclusion d’une entente au sujet de la liste des services essentiels. D’où l’augmentation du temps attribué au déroulement de la négociation collective. De plus, Morin, Brière, Roux et Villaggi (2010) sont d’avis que « les règles de droit sur le

maintien des services essentiels en période de différend produisent des effets sur la dynamique même de tout le processus de négociation. » (2010 : 1205). Il est donc

possible que le régime des services essentiels ait d’autres effets sur le déroulement des négociations. Par exemple, comme le moyen de pression ultime qu’est la grève générale illimitée ne s’exerce plus, la grève ne peut plus jouer son rôle, par conséquent, l’absence de moyen de pression ultime est susceptible de prolonger la durée de la négociation collective. Par contre, il demeure difficile de déterminer les effets du régime à partir des différences entre le secteur de la santé et celui du transport en commun. Cependant, il est possible de croire que plus le régime est contraignant, plus le déroulement de ces négociations sera long y compris les négociations relatives aux services essentiels.

Par ailleurs, on s’attend à ce que la durée des arrêts de travail ait été influencée par le régime des services essentiels. Grant et Racine (1992) ont établi que la nature et la fréquence des moyens de pression en avaient été modifiées. Si par exemple, les grèves à durée illimitée ont été remplacées par des grèves rotatives de courte durée, alors il se peut que la durée de l’arrêt de travail s’en trouve diminuée. D’autre part, avec la présence des services essentiels, les grèves durent plus longtemps, car la population est moins affectée et se manifeste moins comme l’ont constaté Grant et Racine (1992). De plus, les auteurs Haiven et Haiven (2007 : 11) constatent aussi qu’un régime imposant un haut taux de pourcentage de travailleurs à maintenir au travail en temps de grève, comme celui du Québec dans le secteur de la santé et des services sociaux, prolonge la durée de la grève. Lorsque les services essentiels sont bien rendus, un arrêt de travail peut perdurer dans le temps, alors que la mise en place de grèves rotatives limiterait la durée de l’arrêt de travail. Considérant ces arguments contraires, il est difficile de conclure quant à l’effet du régime sur la durée de l’arrêt de travail.

2.3.3 NIVEAU DES LIEUX DE TRAVAIL

Le troisième et dernier niveau de notre modèle est celui des lieux de travail. Il comprend deux dimensions : les résultats de la négociation et le climat de travail. Nous anticipons une relation entre les règles législatives et les décisions émises par le Conseil et l’obtention d’un règlement. Le régime des services essentiels aurait des effets non négligeables sur la conclusion d’une entente favorable à l’employeur (Bernier 1994 et Hebdon 1998). De façon générale, plus le régime est contraignant, plus cela se reflétera dans la convention collective. Par exemple, si les règles et les décisions du Conseil sont favorables au syndicat, il y aurait donc un accroissement des droits des salariés et à l’inverse les droits de gérance seraient à la baisse. Ou encore, plus le régime est contraignant pour le syndicat, plus il y aura un accroissement des droits de gérance et une baisse des droits des salariés.

Nous anticipons que le régime des services essentiels a un impact sur le climat de travail, dernière dimension selon le modèle de cette recherche. Le climat de travail reflète la motivation, la productivité, le sentiment d’appartenance et la participation à des projets de la part des membres. Dans le secteur du transport en commun, comme le Conseil est intervenu pour la première fois lors de la négociation précédente, on peut supposer que les règles et les interventions du régime aient des effets non négligeables sur les membres exerçant leurs droits syndicaux comprenant de nouvelles règles. Dans le secteur de la santé et des services sociaux, les règles additionnelles prévoyant un pourcentage minimum, l’accès à l’établissement à tous, les 90 jours de délai pour l’obtention du droit de grève ont possiblement à leur tour une incidence sur le climat de travail. La motivation chez les membres s’en trouve-t-elle diminuée, le sentiment d’appartenance s’en trouve-t-il amoindri, la participation à des projets est-elle réduite? Quoi qu’il en soit, nous supposons à ce stade que le régime des services essentiels influence cette septième dimension du niveau des lieux du travail.