• Aucun résultat trouvé

Hybridation des origines sociales

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 109-116)

Présentation de la Société Meunière et Avicole du Gabon (SMAG)

II- Mon terrain

3. Hybridation des origines sociales

3.1- Origines sociales

Il est question de lire la table de recrutement des interviewés et de l’interpréter. Elle permet de connaître l’origine socioprofessionnelle des parents, en l’occurrence des pères des employés de la SMAG. En effet, de mes premières analyses, il ressortait que la profession de la mère n’était pas assez pertinente. C’est essentiellement celle du père qui permettait à la famille de survivre. D’où ce choix méthodologique.

L’étude des origines sociales permet de mettre en adéquation le milieu d’origine et la scolarité, la position initiale, l’entrée dans la vie active et, enfin, la position de fin de la vie active. Le tableau suivant résulte de la combinaison de l’origine ethnique et provinciale des parents et leur profession habituelle de 24 travailleurs de la SMAG.

Tableau 7: Origine sociale des parents des informateurs

5 Ndzebi de

Woleu-Ntem Woleu-Ntem

Source : Enquêtes personnelles, Libreville, Mars-Juillet 2007.

Ce tableau retrace l’origine sociale et la profession des parents des enquêtés. À la lecture de celui-ci, deux constats se dégagent : d’abord celui de l’hétérogénéité des milieux d’origine. En effet, la société gabonaise a toujours été stratifiée en classes sociales. Cette stratification s’opère d’abord dans le milieu intra-familial. Elle se poursuit dans le milieu intra-ethnique. Maintenant, avec l’introduction de la scolarisation, elle est présente dans le milieu professionnel avec bien évidemment la hiérarchisation des catégories socioprofessionnelles et des salaires.

Le second constat est que la quasi-totalité des parents des interlocuteurs sont issus de la même localité et appartiennent au même groupe ethnolinguistique. Cela s’expliquerait par le fait qu’autrefois et même jusqu’aux indépendances, les populations étaient plutôt

« sédentaires ». Aussi choisissaient-ils leur(s) conjoint(s) dans la contrée. Aujourd’hui en revanche, la tendance semble avoir changé en raison de l’amélioration des voies de communication, l’exode rural et la multiplication des lieux de socialisation, etc.

3.2- Origines sociales et catégories socioprofessionnelles du salarié

En Afrique et plus précisément au Gabon, l’itinéraire depuis l’enfance et la formation à la vie active introduisent une série de variances pour chaque individu dans une population d’origine sociale semblable. Le chemin migratoire que suit un individu au cours de sa scolarité est très alambiqué. On peut assister à des départs définitifs comme à des retours dans la localité. Ces allés et venus ou ces départs à plusieurs bifurcations rendent difficile une

analyse complète et détaillée de toutes les biographies. C’est pour cela que j’ai jugé utile de résumer les itinéraires par la dernière classe suivie ou le dernier diplôme obtenu.

La problématique des études que suivent les enfants et adolescents issus des milieux différents permet d’éclairer un débat : celui de la divergence des destinées. En effet, et c’est ce qui ressort de mes entretiens, tous les individus n’ont pas les mêmes chances d’accéder à telle ou telle catégorie socioprofessionnelle selon qu’ils soient issus de tel ou tel milieux sociaux. Pour élucider cette question, je me réfère au tableau récapitulatif ci-dessous :

Tableau 8: Origine sociale et catégorie

retraite de la SMAG Lolo

12 Manœuvre Fang du

Woleu-Ntem

Agent d’exécution

13 Chauffeur Fang de l’Estuaire Agent de maitrise

14 Gendarme Fang du

16 Profession libérale Miène de l’Estuaire Agent d’exécution

17 Manœuvre Ndzebi de constat se dégage. On remarque, en effet que les enfants de manœuvres retraités de la SMAG, de comptables retraités de la SMAG, et dans une moindre mesure, de cadres moyens sont dans de bonnes catégories socioprofessionnelles et donc des statuts les plus élevés. Cela témoigne d’une bonne trajectoire réalisée grâce à la situation/position professionnelle des parents.

Cependant, cela ne constitue ni un postulat, ni une donnée figée, car on retrouve bien un fils de chauffeur agent de maitrise et un fils de cultivateur cadre et cela grâce à d’autres facteurs sociaux tels que l’origine ethnique ainsi que la zone d’implantation de l’entreprise qui jouent un rôle parfois déterminant. Cela me conduit à conclure que la condition sociale ou financière des parents est certes déterminante, mais pas suffisante pour expliquer la réussite scolaire ou professionnelle en Afrique. Il y a un ensemble de discriminants cités par les informateurs notamment le milieu dans lequel on vit (village ou ville) ou le nombre de frères et sœurs aînés ayant une activité rémunérée, l’encadrement matériel et l’aide aux devoirs, sans oublier les différents réseaux de relations. Quelques exemples suffisent pour illustrer cette situation. Ainsi, ce salarié le dit en ces termes :

« À mon époque, il n’y avait pas d’école dans mon village à Doum. Il fallait donc parcourir neuf kilomètres à pieds tous les jours pour trouver une école au village voisin. C’est ainsi que je ne suis allé au CP1 qu’à l’âge de huit ans. De plus, il n’y avait pas de collège d’enseignement secondaire dans mon district. Après le CM2, il fallait soit aller à Oyem pour sortir instituteur, soit aller dans une ville pour y poursuivre des études secondaires. En ce qui me concerne, je n’ai opté ni pour l’un ni pour l’autre. J’avais déjà dix-neuf ans et mon grand-père avec qui je vivais au village, voulait absolument que je trouve un travail rémunéré. C’est pour cela que j’étais venu ici à Libreville chez ma tante où j’ai d’abord commencé par faire des petits boulots précaires…Avant que son mari me trouve du boulot ici à la SMAG »85.

Dans le même ordre d’idées, cet agent de maître ajoute ceci :

« Lorsque je suis entré en CP, mon père était déjà cadre moyen et nous habitions à Makokou. À cette époque, l’école était gratuite. On nous donnait les cahiers et les livres ainsi que tout le matériel scolaire nécessaire en début d’année. J’étais tout de même bien suivi par ma mère qui chaque soir m’apprenait à lire et à

85 Daniel Nguema est agent d’exécution à la SMAG depuis octobre 2000. Il est fang originaire du département de l’Okano Mitzic, marié et père de quatre enfants.

écrire(…). Je me rends compte aujourd’hui qu’ils se faisaient vraiment des soucis pour mon avenir »86.

Ces deux exemples montrent que le milieu dans lequel on vit a une influence sur la réussite sociale, et que le niveau d’instruction des parents constitue un avantage supplémentaire, notamment à travers l’aide aux devoirs dans ce cas précis.

D’autres informateurs, en l’occurrence les plus âgés dans l’entreprise mettent en cause l’éloignement des écoles. En moyenne, il y en avait une école pour trois à cinq villages. Il était donc difficile, sinon impossible, pour un enfant de six ans (parcourir plus de dix kilomètres à pieds chaque jour) de fréquenter dans de bonnes conditions. D’où l’entrée tardive en CP. Le corollaire de cette situation est bien évidemment l’âge avancé au cours duquel les élèves sortent de l’école primaire. À cela s’ajoute la prédominance des activités domestiques et culturelles généralement saisonnières : champs, chasse et pêche, etc. nécessitant la mobilisation de plusieurs bras et dont les enfants n’étaient pas épargnés.

On peut cependant relever que l’école étant gratuite à l’époque et dans une société précapitaliste où les fonctionnaires nationaux se comptaient, où les chances d’accéder à tel ou tel emplois ou niveaux d’étude étaient quasiment les mêmes pour tout le monde, à quelques disparités près. Il ne s’agit nullement d’une « égalité de chance »87 stricto sensu, mais d’une situation où chaque enfant aurait pu réussir, eu égard aux moyens alloués à chacun. Il y a donc lieu de dire que même à moyen égal, les conditions de réussite dépendent d’autres déterminants aussi bien personnels que sociaux.

3.3- Aspirations professionnelles des adolescents

Au Gabon, l’enfant est, à sa naissance, doté d’un statut social inhérent à celui de ses parents. La sphère familiale constitue sa première cellule de base et cette dernière constitue sa première référence, surtout en termes d’emploi. On constate malheureusement qu’avec l’abolition de la transmission héréditaire du statut, ces aspirations de jeunesse se voient généralement modifiées. Cela s’explique notamment par la multiplicité des cadres de socialisations dans lesquels l’enfant s’intègre au fil de la vie. C’est ainsi qu’au Gabon de manière générale, et en milieu villageois en particulier, les enfants aspirent à devenir

86 Jacques Nguema Ondo est agent de maîtrise à la SMAG depuis 1985. Il est marié et père de six enfants, fang du Nord Gabon.

87 François Dubet, L’école des chances. Qu’est-ce qu’une école juste ? Paris, Seuil, septembre 2004, 95 pages.

instituteur, infirmier ou agent des forces de l’ordre. Ce sont ces fonctionnaires de proximité qui font vivre l’économie du coin. Ils achètent les denrées alimentaires, éduquent les enfants et font respecter l’ordre. C’est donc à ce genre d’emploi que se réfère un de mes enquêtés.

« Jusqu’à l’âge de 18 ans pratiquement, je n’avais qu’un seul objectif : être gendarme. J’étais fasciné par l’uniforme des gendarmes et par leurs interventions sur le terrain. Quand ils arrivaient dans mon village, tout le monde se tenait à carreau, cachait les objets dangereux et interdits comme les fusils de chasse, les vins locaux, etc. Moi j’étais impétueux de nature et je voulais que les gens aient la trouille lorsque j’arrive. (…). Mais bon, l’important pour moi aujourd’hui, c’est d’avoir un travail rémunéré »88.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 109-116)